CHAPITRE DEUX

2173 Words
CHAPITRE DEUX Chloé ne savait pas trop à quoi s'attendre quand elle entra au QG du FBI le lendemain matin. Mais ce à quoi elle ne s'attendait absolument pas du tout, c'était d'être accueillie par un agent plus âgé dans le hall d’entrée. Elle remarqua qu’il l’avait aperçue et elle se demanda comment réagir quand elle le vit marcher droit sur elle. Pendant un instant, elle pensa qu'il s'agissait de l'agent Greene, l'homme qui lui avait fait office d'instructeur et de partenaire dans l'affaire qui lui avait permis de découvrir la vérité à propos de son père. Mais après l’avoir mieux regardé, elle se rendit compte que cet agent était une toute autre personne. Il paraissait taillé dans la roche, sa bouche dessinant une ligne étroite à travers sa mâchoire. « Chloé Fine ? » demanda l'agent. « Oui ? » « Le directeur Johnson aimerait vous parler avant la séance d'orientation. » Elle se sentit à la fois excitée et terrorisée. Le directeur Johnson avait fait une exception avec elle quand elle avait fait équipe avec Greene. Avait-il changé d'avis ? Ses actions dans cette dernière affaire lui avaient-elles porté préjudice ? Était-elle arrivée aussi loin pour voir, dès le premier jour, ses rêves s'écrouler ? « Pour quelle raison ? » L'agent haussa les épaules, comme s'il s'en moquait royalement. « Par ici, s'il vous plaît, » dit-il. Il l'accompagna jusqu’aux ascenseurs et, pendant un moment, Chloé eut l’impression de faire un retour dans le passé. Elle se revit marchant vers ces mêmes ascenseurs, un peu plus de deux mois auparavant, avec cette même boule d'inquiétude au ventre, en sachant qu'elle allait rencontrer le directeur Johnson. Et tout comme la dernière fois, cette boule d'inquiétude commença à envahir tout son corps au moment où l’ascenseur se mit à monter. L'agent au visage impassible l’accompagna en dehors de l'ascenseur quand celui-ci s'arrêta au deuxième étage. Ils traversèrent plusieurs salles et bureaux avant que l'agent ne s'arrête devant le bureau de Johnson. La secrétaire hocha poliment la tête pour les saluer, avant de dire : « Vous pouvez entrer. Il vous attend. » L'agent au visage impassible lui fit également un léger hochement de tête - mais pas de manière aussi polie - et il fit un signe vers la porte du bureau. Il était clair qu'il n'allait pas entrer. S'efforçant de rester calme et détendue, Chloé se dirigea vers la porte du bureau du directeur Johnson. Qu'est-ce qui me rend aussi nerveuse ? se demanda-t-elle. La dernière fois qu’il m’a convoquée dans son bureau, il m’a assigné des responsabilités et des tâches que beaucoup de nouveaux agents n’ont pas la chance d’avoir. C'était vrai, mais cela ne l'aidait en rien à se calmer. Quand elle entra, le directeur Johnson était assis à son bureau, occupé à lire quelque chose sur son laptop. Quand il leva la tête, il fixa toute son attention sur elle ; il referma même son ordinateur. « Agent Fine, » dit-il. « Merci d’être venue. Cela ne prendra qu'une seconde. Je ne veux pas que vous ratiez une partie de la séance d'orientation – qui, je vous le dirai franchement – est assez rapide. » Être appelée Agent Fine la combla de joie, mais elle essaya qu'il n'en paraisse rien. Elle prit une chaise en face de son bureau et lui adressa un sourire aussi détaché que possible. « Aucun problème, » lui dit-elle. « Suis-je... enfin, il y a quelque chose qui ne va pas ? » « Non, non, pas du tout, » dit-il. « Je voulais juste vous parler d’une autre option en ce qui concerne votre affectation. J’ai cru comprendre que vous dirigiez votre carrière vers l’équipe scientifique. Est-ce que c’est quelque chose que vous avez toujours voulu faire ? » « Oui, monsieur. J'ai toujours eu un bon œil pour les détails. » « Oui, c'est ce que j'ai entendu dire. L'agent Greene a parlé de vous en termes élogieux. Et mis à part quelques contretemps dans les événements d'il y a deux mois, je dois l'admettre – j'étais moi-même très impressionné. Vous vous comportez avec une confiance en vous inébranlable, ce qui est rare chez les nouveaux agents. Et c'est pour cette raison, et au vu des éloges que j'ai reçus de l'Agent Greene et de certains de vos instructeurs à l'académie, que je voudrais vous demander de reconsidérer le choix de votre département. » « Est-ce que vous pensez à un département en particulier ? » demanda Chloé. « Avez-vous déjà entendu parler du programme ViCAP ? » « Le Programme de Détention de Criminels Violents ? Oui, j'en ai entendu parler. » « Le nom s'explique de lui-même, mais je pense que c'est compatible avec vos capacités d’attention aux détails. De plus, pour être tout à fait sincère avec vous, l'Équipe Scientifique se compose déjà d’un groupe plutôt conséquent d'agents de première année. Plutôt que de venir simplement grossir les rangs, je vous verrais plus au sein du ViCAP. Est-ce que c’est quelque chose qui pourrait vous intéresser ? » « Pour être tout à fait honnête, je ne sais pas. Je n'y ai jamais pensé. » Johnson acquiesça mais Chloé était presque sûre qu'intérieurement, il avait déjà pris sa décision. « Si cela vous tente, j'aimerais que vous fassiez un essai. Si dans quelques jours, vous trouvez que cela ne vous convient pas, je m'engage personnellement à ce que vous retrouviez votre place actuelle avec l'Équipe Scientifique. » Franchement, elle ne savait pas quoi répondre. Mais en revanche, ce qu'elle savait avec certitude, c'était que le fait que son directeur pense à elle pour un poste en particulier, uniquement sur base de ses capacités et du feedback positif de ses pairs, la remplissait de fierté. « Oui, je veux bien essayer, » répondit-elle finalement. « Fantastique. J'ai déjà pensé à vous mettre sur une affaire. Vous commenceriez demain matin. C’était la police du Maryland qui s’en occupait, mais nous avons reçu ce matin-même un appel nous demandant de les aider. Je vous l'assigne, et vous serez accompagnée d'une autre agent qui se retrouve aujourd’hui sans partenaire. Celui que nous lui avions attribué s'est effondré sous la pression et nous a appelés hier pour donner sa démission. » « Puis-je en demander la raison ? » « Avec le Programme de Détention de Criminels Violents, les crimes ont tendance à être plutôt abjects. C’est quelque chose qui arrive parfois avec les nouvelles recrues... Ils finissent la formation, en analysant des cas concrets, et même des enquêtes réelles. Mais pour finir, quand ils se rendent compte qu'ils vont vivre ces affaires de près... Certains craquent. » Chloé resta silencieuse. Elle devait prendre une décision importante et ça la dépassait un peu. Elle avait toujours voulu un poste tel que celui-là, d'aussi loin qu’elle s’en rappelle – depuis le moment même où elle avait compris la différence entre le bien et le mal. « Vais-je avoir besoin d'une formation supplémentaire ? » « Je vous conseillerais des entraînements supplémentaires au stand de tir, » répondit Johnson. « Je m'assurerai que tout soit arrangé pour vous. Lorsque vous avez été recrutée par l'Équipe Scientifique, vos résultats en maniement d’armes à feu étaient plutôt bons. Il vous sera néanmoins utile de développer des aptitudes supplémentaires dans ce domaine, une fois que vous aurez intégré le ViCAP – si vous décidez d’y rester. » « Je comprends. » « Alors, à moins que vous n'ayez d’autres questions, je pense que vous pouvez aller assister à la séance d'orientation à l'étage d’en bas. Il vous reste trois minutes avant que ça ne commence. » « Plus de questions pour l’instant. Et merci pour l’opportunité offerte. Et pour votre confiance en moi. » « Je vous en prie. Je vais m'occuper de la paperasse et quelqu'un vous appellera pour votre affectation avant la fin de la journée. Et agent Fine... Ça va bien se passer. Je pense que vous serez un atout remarquable pour le ViCAP. » C'est à ce moment-là, quand elle se leva pour quitter le bureau, qu'elle se rendit compte qu’elle n’avait jamais été très douée pour accepter les compliments. Peut-être parce qu'elle n'en avait pas reçu beaucoup dans son enfance. Elle lui adressa simplement un sourire gêné et sortit du bureau. La boule de nervosité qui avait grossi dans son ventre avait maintenant disparu, remplacée par une sensation de légèreté et l’impression de flotter littéralement dans les airs. *** La séance d'orientation était telle qu'elle se l'était imaginé. Elle consistait en une liste de choses à faire et à ne pas faire, énumérée par toute une panoplie d'agents expérimentés. Il y avait des exemples d'affaires qui avaient mal tourné, à un tel point que plusieurs agents avaient démissionné après coup, ou en étaient même arrivés au suicide. Les instructeurs racontèrent des histoires tristes d'enfants assassinés et de violeurs en série qui, à ce jour, n'avaient toujours pas été élucidées. Alors qu'elle écoutait ces histoires, Chloé entendit tout bas les bribes d'une conversation dans l'assistance. À deux sièges à sa gauche, elle entendit une femme murmurer quelque chose à un homme assis à côté d’elle. « Apparemment, mon partenaire a entendu ce genre d’histoires avant nous. C'est peut-être pour ça qu'il a démissionné. » dit-elle d'un ton malveillant qui dérangea tout de suite Chloé. Avec ma chance, c'est elle la nouvelle partenaire dont Johnson m’a parlé, pensa Chloé. La séance d’orientation se termina finalement pour le déjeuner. Mais avant ça, les instructeurs regroupèrent les assistants en fonction de leurs différentes affectations. Lorsque Chloé entendit appeler l’équipe scientifique, elle ressentit une pointe d'amertume. Elle regarda la vingtaine de recrues descendre vers l’estrade et se rassembler sur la droite. Le fait qu’elle pensait encore il y a moins de trois heures qu’elle allait faire partie de ce groupe la fit se sentir un peu seule, plus encore lorsqu'elle remarqua que certains agents de l’équipe s’étaient déjà liés d’amitié. Lorsqu'ils appelèrent les agents pour le Programme de Détention des Criminels Violents, elle se leva et se dirigea à son tour vers l’estrade. Le nombre d'agents était inférieur à celui de l'équipe scientifique. Avec elle compris, elle compta neuf personnes. Et l'une d'entre elles était cette femme qui avait fait ce commentaire désobligeant à propos de son partenaire qui avait démissionné. Elle était tellement obnubilée par cette femme qu'elle ne prêta pas attention à l'homme qui se trouvait derrière elle. « Je ne sais pas toi, » commença-t-il, « mais moi, je me sens un peu intimidé. Faire partie d'un programme dont le nom contient le mot violent... me donne l'impression d'être jugé par les gens. » « Je ne l’avais jamais envisagé sous cet angle, » répondit Chloé. « Est-ce que tu as une tendance à la violence ? » Il posa la question avec un petit sourire en coin et Chloé remarqua qu’il était extrêmement séduisant. « Pas que je sache, » répondit-elle d’un air gêné, alors qu'ils atteignaient l'endroit où était réuni leur groupe. « OK, » commença l'instructeur, un homme d'un certain âge vêtu d'un jean et d'un t-shirt noir. « Nous allons d’abord aller manger, puis nous nous réunirons dans la salle de conférence numéro trois pour continuer la séance d’information et de questionséponses. Mais d’abord... » Il s'interrompit et regarda une feuille de papier, en cherchant quelque chose du doigt. « Y-a-t-il parmi vous une Chloé Fine ? » « C'est moi, » dit Chloé, en transpirant de nervosité à l'idée d'être appelée individuellement devant un groupe qu'elle ne connaissait pas. « J’aimerais vous parler un moment, s'il vous plaît. » Chloé se dirigea vers l'instructeur, en voyant qu’il faisait signe à un autre agent. « Agent Fine, je vois ici que vous allez intégrer le ViCAP, directement recommandée par le directeur Johnson. » « En effet. » « Content de vous compter parmi nous. À présent, laissez-moi vous présenter votre partenaire, l’agent Nikki Rhodes. » Il fit un signe de la tête à l'autre agent qu'il avait invité à les rejoindre. Évidemment, c'était la g***e de tout à l'heure. Nikki Rhodes sourit à Chloé d'une manière qui indiquait clairement qu'elle avait bien conscience de sa beauté. Même Chloé devait l'admettre. Elle était grande, bronzée, avec des yeux bleus pétillants et de magnifiques cheveux blonds. « Enchantée, » dit Rhodes. « De même, » répondit Chloé « Vous pouvez aller manger maintenant, » dit l'instructeur. « D'après les informations qu’on m’a données, vous commencerez dès demain à travailler sur une affaire. Vous étiez les meilleures dans vos classes respectives, donc j'attends de grandes choses de vous. » Rhodes lui adressa un sourire qui avait l’air forcé. Chloé détestait avoir des préjugés sur les gens, mais son instinct ne l'avait jamais trompée. L'instructeur avait tourné les talons pour rejoindre le reste du groupe, en laissant les deux femmes seules. Une fois que le regard d'un supérieur n'était plus posé sur elle, Rhodes tourna également les talons sans rien ajouter de plus. Chloé se tint à l'écart du groupe pendant un moment, en essayant de garder la tête froide. Elle s'était réveillée ce matin, excitée à l'idée de commencer sa carrière en tant que membre de l'équipe scientifique. Son avenir était tout tracé. Et la voilà maintenant, replacée dans un département qu’elle ne connaissait pas, et associée à une équipière détestable. « Elle n'a pas l'air très sociable, on dirait, » lâcha quelqu'un derrière elle. Elle se retourna et vit l'homme qui était descendu avec elle vers l’estrade – l’homme séduisant qui lui avait demandé si elle avait une tendance à la violence. « Non, en effet. » « Imagine-toi l'avoir dans la plupart de tes cours à l'académie, » dit-il. « C'était horrible. Ce qui me fait penser à... Je ne me rappelle pas t'avoir vue dans aucun de mes cours ou modules. » « Oui... Je suis nouvelle, en quelque sorte. J'ai été placée dans ce département ce matin. » Il eut une expression un peu surprise. « Ah, OK. Eh bien, bienvenue au ViCAP. Mon nom est Kyle Moulton et si ta partenaire ne souhaite pas déjeuner en ta compagnie, je prendrai volontiers sa place. » « Comme tu veux, » dit Chloé, en se rapprochant du reste du groupe. « Le moins que l'on puisse dire, c'est que c'est la suite logique de ma journée. » « Comment ça ? » « Parce que rien ne s'est passé comme prévu. » Moulton se contenta de hocher la tête alors qu'ils sortaient de la salle où avait eu lieu la séance d’orientation. Malgré le fait que Moulton soit un inconnu (un bel inconnu, il est vrai), elle était contente qu'il l'accompagne jusqu'au déjeuner, qui les attendait quelque part dans le bâtiment. Elle était anxieuse qu'en avançant seule vers cet avenir incertain, elle finisse par changer d'avis. « Planifier, c'est surfait de toute façon, » dit Moulton. « Pas pour moi. Planifier signifie structurer. Planifier signifie prévoir. » « Je ne crois pas que prévoir fait partie du descriptif de nos postes, » dit Moulton, en plaisantant. Chloé sourit en hochant la tête, mais elle ne voyait pas ça de la même manière. À vrai dire, elle était un peu inquiète. Ce qui n'avait pas de sens. Sa vie avait toujours ressemblé à une suite d’imprévus, alors pourquoi sa carrière serait-elle différente ? Heureusement, elle avait appris à encaisser les coups. Et si une g***e prétentieuse comme Nikki Rhodes venait à se mettre en travers de son chemin, le problème serait vite réglé.
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