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– Pauvre garçon ! disait Philippe à sa mère, il ne faut pas le tracasser, laissez-le s’amuser. Ce dédain, aux yeux de la mère, semblait une preuve de tendresse fraternelle. – Philippe aimera toujours son frère et le protègera, pensait-elle. En 1816, Joseph obtint de sa mère la permission de convertir en atelier le grenier contigu à sa mansarde, et la Descoings lui donna quelque argent pour avoir les choses indispensables au métier de peintre ; car, dans le ménage des deux veuves, la peinture n’était qu’un métier. Avec l’esprit et l’ardeur qui accompagnent la vocation, Joseph disposa tout lui-même dans son pauvre atelier. Le propriétaire, sollicité par madame Descoings, fit ouvrir le toit, et y plaça un châssis. Ce grenier devint une vaste salle peinte par Joseph en couleur chocolat ; il accrocha sur les murs quelques esquisses ; Agathe y mit, non sans regret, un petit poêle en fonte, et Joseph put travailler chez lui, sans négliger néanmoins l’atelier de Gros ni celui de Schinner. Le parti constitutionnel, soutenu surtout par les officiers en demi-solde et par le parti bonapartiste, fit alors des émeutes autour de la Chambre au nom de la Charte, de laquelle personne ne voulait, et ourdit plusieurs conspirations. Philippe, qui s’y fourra, fut arrêté, puis relâché faute de preuves ; mais le Ministre de la Guerre lui supprima sa demi-solde en le mettant dans un cadre qu’on pourrait appeler de discipline. La France n’était plus tenable, Philippe finirait par donner dans quelque piège tendu par les agents provocateurs. On parlait beaucoup alors des agents provocateurs. Pendant que Philippe jouait au billard dans les cafés suspects, y perdait son temps, et s’y habituait à humer des petits verres de différentes liqueurs, Agathe était dans des transes mortelles sur le grand homme de la famille. Les trois sages de la Grèce s’étaient trop habitués à faire le même chemin tous les soirs, à monter l’escalier des deux veuves, à les trouver les attendant et prêtes à leur demander leurs impressions du jour pour jamais les quitter, ils venaient toujours faire leur partie dans ce petit salon vert. Le Ministère de l’Intérieur, livré aux épurations de 1816, avait conservé Claparon, un de ces trembleurs qui donnent à mi-voix les nouvelles du Moniteur en ajoutant : Ne me compromettez pas ! Desroches, mis à la retraite quelque temps après le vieux du Bruel, disputait encore sa pension. Ces trois amis, témoins du désespoir d’Agathe, lui donnèrent le conseil de faire voyager le colonel. – On parle de conspirations, et votre fils, du caractère dont il est, sera victime de quelque affaire, car il y a toujours des traîtres. – Que diable ! il est du bois dont son Empereur faisait les maréchaux, dit Bruel à voix basse en regardant autour de lui, et il ne doit pas abandonner son état. Qu’il aille servir dans l’Orient, aux Indes… – Et sa santé ? dit Agathe. – Pourquoi ne prend-il pas une place ? dit le vieux Desroches, il se forme tant d’administrations particulières ! Moi, je vais entrer chef de bureau dans une Compagnie d’Assurances, dès que ma pension de retraite sera réglée. – Philippe est un soldat, il n’aime que la guerre, dit la belliqueuse Agathe. – Il devrait alors être sage et demander à servir… – Ceux-ci ? s’écria la veuve. Oh ! ce n’est pas moi qui le lui conseillerai jamais. – Vous avez tort, reprit du Bruel. Mon fils vient d’être placé par le duc de Navarreins. Les Bourbons sont excellents pour ceux qui se rallient sincèrement. Votre fils serait nommé lieutenant-colonel à quelque régiment. – On ne veut que des nobles dans la cavalerie, et il ne sera jamais colonel, s’écria la Descoings. Agathe effrayée supplia Philippe de passer à l’étranger et de s’y mettre au service d’une puissance quelconque qui accueillerait toujours avec faveur un officier d’ordonnance de l’Empereur. – Servir les étrangers ?… s’écria Philippe avec horreur. Agathe embrassa son fils avec effusion en disant : – C’est tout son père. – Il a raison, dit Joseph, le Français est trop fier de sa Colonne pour aller s’encolonner ailleurs. Napoléon reviendra d’ailleurs peut-être encore une fois ! Pour complaire à sa mère, Philippe eut alors la magnifique idée de rejoindre le général Lallemand aux États-Unis, et de coopérer à la fondation du Champ-d’Asile, une des plus terribles mystifications connues sous le nom de Souscriptions Nationales. Agathe donna dix mille francs pris sur ses économies, et dépensa mille francs pour aller conduire et embarquer son fils au Havre. À la fin de 1817, Agathe sut vivre avec les six cents francs qui lui restaient de son inscription sur le Grand-Livre ; puis, par une heureuse inspiration, elle plaça sur-le-champ les dix mille francs qui lui restaient de ses économies, et dont elle eut sept cents autres francs de rente. Joseph voulut coopérer à cette œuvre de dévouement : il alla mis comme un recors ; il porta de gros souliers, des bas bleus ; il se refusa des gants et brûla du charbon de terre ; il vécut de pain, de lait, de fromage de Brie. Le pauvre enfant ne recevait d’encouragements que de la vieille Descoings et de Bixiou, son camarade de collège et son camarade d’atelier, qui fit alors ses admirables caricatures, tout en remplissant une petite place dans un Ministère. – Avec quel plaisir j’ai vu venir l’été de 1818 ! a dit souvent Bridau en racontant ses misères d’alors. Le soleil m’a dispensé d’acheter du charbon. Déjà tout aussi fort que Gros en fait de couleur, il ne voyait plus son maître que pour le consulter ; il méditait alors de rompre en visière aux classiques, de briser les conventions grecques et les lisières dans lesquelles on renfermait un art à qui la nature appartient comme elle est, dans la toute-puissance de ses créations et de ses fantaisies. Joseph se préparait à sa lutte qui, dès le jour où il apparut au Salon, en 1823, ne cessa plus. L’année fut terrible : Roguin, le notaire de madame Descoings et de madame Bridau, disparut en emportant les retenues faites depuis sept ans sur l’usufruit, et qui devaient déjà produire deux mille francs de rente. Trois jours après ce désastre, arriva de New-York une lettre de change de mille francs tirée par le colonel Philippe sur sa mère. Le pauvre garçon, a***é comme tant d’autres, avait tout perdu au Champ-d’Asile. Cette lettre, qui fit fondre en larmes Agathe, la Descoings et Joseph, parlait de dettes contractées à New-York, où des camarades d’infortune cautionnaient le colonel. – C’est pourtant moi qui l’ai forcé de s’embarquer, s’écria la pauvre mère ingénieuse à justifier les fautes de Philippe. – Je ne vous conseille pas, dit la vieille Descoings à sa nièce, de lui faire souvent faire des voyages de ce genre-là. Madame Descoings était héroïque. Elle donnait toujours mille écus à madame Bridau, mais elle nourrissait aussi toujours le même terne qui, depuis 1799, n’était pas sorti. Vers ce temps, elle commençait à douter de la bonne foi de l’administration. Elle accusa le gouvernement, et le crut très capable de supprimer les trois numéros dans l’urne afin de provoquer les mises furieuses des actionnaires. Après un rapide examen des ressources, il parut impossible de faire mille francs sans vendre une portion de rente. Les deux femmes parlèrent d’engager l’argenterie, une partie du linge ou le surplus de mobilier. Joseph, effrayé de ces propositions, alla trouver Gérard, lui exposa sa situation, et le grand peintre lui obtint au Ministère de la Maison du Roi deux copies du portrait de Louis XVIII à raison de cinq cents francs chacune. Quoique peu donnant, Gros mena son élève chez un marchand de couleurs, auquel il dit de mettre sur son compte les fournitures nécessaires à Joseph. Mais les mille francs ne devaient être payés que les copies livrées. Joseph fit alors quatre tableaux de chevalet en dix jours, les vendit à des marchands, et apporta les mille francs à sa mère qui put solder la lettre de change. Huit jours après, vint une autre lettre, par laquelle le colonel avisait sa mère de son départ sur un paquebot dont le capitaine le prenait sur sa parole. Philippe annonçait avoir besoin d’au moins mille autres francs en débarquant au Havre. – Bon, dit Joseph à sa mère, j’aurai fini mes copies, tu lui porteras mille francs. – Cher Joseph ! s’écria tout en larmes Agathe en l’embrassant, Dieu te bénira. Tu l’aimes donc, ce pauvre persécuté ? il est notre gloire et tout notre avenir. Si jeune, si brave et si malheureux ! tout est contre lui, soyons au moins tous trois pour lui. – Tu vois bien que la peinture sert à quelque chose, s’écria Joseph heureux d’obtenir enfin de sa mère la permission d’être un grand artiste. Madame Bridau courut au-devant de son bien-aimé fils le colonel Philippe. Une fois au Havre, elle alla tous les jours au-delà de la tour ronde, bâtie par François Ier, attendant le paquebot américain, et concevant de jour en jour les plus cruelles inquiétudes. Les mères seules savent combien ces sortes de souffrances ravivent la maternité. Le paquebot arriva par une belle matinée du mois d’octobre 1819, sans avaries, sans avoir eu le moindre grain. Chez l’homme le plus brute, l’air de la patrie et la vue d’une mère produisent toujours un certain effet, surtout après un voyage plein de misères. Philippe se livra donc à une effusion de sentiments qui fit penser à Agathe : – Ah ! comme il m’aime, lui ! Hélas ! l’officier n’aimait plus qu’une seule personne au monde, et cette personne était le colonel Philippe. Ses malheurs au Texas, son séjour à New-York, pays où la spéculation et l’individualisme sont portés au plus haut degré, où la brutalité des intérêts arrive au cynisme, où l’homme, essentiellement isolé, se voit contraint de marcher dans sa force et de se faire à chaque instant juge dans sa propre cause, où la politesse n’existe pas ; enfin, les moindres évènements de ce voyage avaient développé chez Philippe les mauvais penchants du soudard : il était devenu brutal, buveur, fumeur, personnel, impoli ; la misère et les souffrances physiques l’avaient dépravé. D’ailleurs le colonel se regardait comme persécuté. L’effet de cette opinion est de rendre les gens sans intelligence persécuteurs et intolérants. Pour Philippe, l’univers commençait à sa tête et finissait à ses pieds, le soleil ne brillait que pour lui. Enfin, le spectacle de New-York, interprété par cet homme d’action, lui avait enlevé les moindres scrupules en fait de moralité. Chez les êtres de cette espèce, il n’y a que deux manières d’être : ou ils croient, ou ils ne croient pas ; ou ils ont toutes les vertus de l’honnête homme, ou ils s’abandonnent à toutes les exigences de la nécessité ; puis ils s’habituent à ériger leurs moindres intérêts et chaque vouloir momentané de leurs passions en nécessité. Avec ce système, on peut aller loin. Le colonel avait conservé, dans l’apparence seulement, la rondeur, la franchise, le laissez-aller du militaire. Aussi était-il excessivement dangereux, il semblait ingénu comme un enfant ; mais, n’ayant à penser qu’à lui, jamais il ne faisait rien sans avoir réfléchi à ce qu’il devait faire, autant qu’un rusé procureur réfléchit à quelque tour de maître Gonin ; les paroles ne lui coûtaient rien, il en donnait autant qu’on en voulait croire. Si, par malheur, quelqu’un s’avisait de ne pas accepter les explications par lesquelles il justifiait les contradictions entre sa conduite et son langage, le colonel, qui tirait supérieurement le pistolet, qui pouvait défier le plus habile maître d’armes, et qui possédait le sang-froid de tous ceux auxquels la vie est indifférente, était prêt à vous demander raison de la moindre parole aigre ; mais, en attendant, il paraissait homme à se livrer à des voies de fait, après lesquelles aucun arrangement n’est possible. Sa stature imposante avait pris de la rotondité, son visage s’était bronzé pendant son séjour au Texas, il conservait son parler bref et le ton tranchant de l’homme obligé de se faire respecter au milieu de la population de New-York. Ainsi fait, simplement vêtu, le corps visiblement endurci par ses récentes misères, Philippe apparut à sa pauvre mère comme un héros ; mais il était tout simplement devenu ce que le peuple nomme assez énergiquement un chenapan. Effrayée du dénuement de son fils chéri, madame Bridau lui fit au Havre une garde-robe complète ; en écoutant le récit de ses malheurs ; elle n’eut pas la force de l’empêcher de boire, de manger et de s’amuser comme devait boire et s’amuser un homme qui revenait du Champ-d’Asile. Certes, ce fut une belle conception que celle de la conquête du Texas par les restes de l’armée impériale ; mais elle manqua moins par les choses que par les hommes, puisqu’aujourd’hui le Texas est une république pleine d’avenir. Cette expérience du libéralisme sous la Restauration prouve énergiquement que ses intérêts étaient purement égoïstes et nullement nationaux, autour du pouvoir et non ailleurs. Ni les hommes, ni les lieux, ni l’idée, ni le dévouement ne firent faute ; mais bien les écus et les secours de cet hypocrite parti qui disposait de sommes énormes, et qui ne donna rien quand il s’agissait d’un empire à retrouver. Les ménagères du genre d’Agathe ont un bon sens qui leur fait deviner ces sortes de tromperies politiques. La pauvre mère entrevit alors la vérité d’après les récits de son fils ; car, dans l’intérêt du proscrit, elle avait écouté pendant son absence les pompeuses réclames des journaux constitutionnels, et suivi le mouvement de cette fameuse souscription qui produisit à peine cent cinquante mille francs lorsqu’il aurait fallu cinq à six millions. Les chefs du libéralisme s’étaient promptement aperçus qu’ils faisaient les affaires de Louis XVIII en exportant de France les glorieux débris de nos armées, et ils abandonnèrent les plus dévoués, les plus ardents, les plus enthousiastes, ceux qui s’avancèrent les premiers. Jamais Agathe ne put expliquer à son fils comment il était beaucoup plus une dupe qu’un homme persécuté. Dans sa croyance en son idole, elle s’accusa d’ignorance et déplora le malheur des temps qui frappait Philippe. Un effet, jusqu’alors, dans toutes ces misères, il était moins fautif que victime de son beau caractère, de son énergie, de la chute de l’Empereur, de la duplicité des Libéraux, et de l’acharnement des Bourbons contre les Bonapartistes. Elle n’osa pas, durant cette semaine passée au Havre, semaine horriblement coûteuse, lui proposer de se réconcilier avec le gouvernement royal, et de se présenter au Ministre de la Guerre : elle eut assez à faire de le tirer du Havre, où la vie est horriblement chère, et de le ramener à Paris quand elle n’eut plus que l’argent du voyage. La Descoings et Joseph, qui attendaient le proscrit à son débarquer dans la cour des Messageries royales, furent frappés de l’altération du visage d’Agathe. – Ta mère a pris dix ans en deux mois, dit la Descoings à Joseph au milieu des embrassades et pendant qu’on déchargeait les deux malles. – Bonjour, mère Descoings, fut le mot de tendresse du colonel pour la vieille épicière que Joseph appelait affectueusement maman Descoings. – Nous n’avons pas d’argent pour le fiacre, dit Agathe d’une voix dolente. – J’en ai, lui répondit le jeune peintre. Mon frère est d’une superbe couleur, s’écria-t-il à l’aspect de Philippe. – Oui, je me suis culotté comme une pipe. Mais, toi, tu n’es pas changé, petit. Alors âgé de vingt et un ans, et d’ailleurs apprécié par quelques amis qui le soutinrent dans ses jours d’épreuves, Joseph sentait sa force et avait la conscience de son talent ; il représentait la peinture dans un Cénacle formé par des jeunes gens dont la vie était adonnée aux sciences, aux lettres, à la politique et à la philosophie ; il fut donc blessé par l’expression de mépris que son frère marqua encore par un geste : Philippe lui tortilla l’oreille comme à un enfant. Agathe observa l’espèce de froideur qui succédait chez la Descoings et chez Joseph à l’effusion de leur tendresse ; mais elle répara tout en leur parlant des souffrances endurées par Philippe pendant son exil. La Descoings, qui voulait faire un jour de fête du retour de l’enfant qu’elle nommait prodigue, mais tout bas, avait préparé le meilleur dîner possible, auquel étaient conviés le vieux Claparon et Desroches le père. Tous les amis de la maison devaient venir, et vinrent le soir. Joseph avait averti Léon Giraud, d’Arthez, Michel Chrestien, Fulgence Ridal et Bianchon, ses amis du Cénacle. La Descoings dit à Bixiou, son prétendu beau-fils, qu’on ferait entre jeunes gens un écarté. Desroches le fils, devenu par la roide volonté de son père licencié en Droit, fut aussi de la soirée. Du Bruel, Claparon, Desroches et l’abbé Loraux étudièrent le proscrit dont les manières et la contenance grossières, la voix altérée par l’usage des liqueurs, la phraséologie populaire et le regard les effrayèrent. Aussi, pendant que Joseph arrangeait les tables de jeu, les plus dévoués entourèrent-ils Agathe en lui disant : – Que comptez-vous faire de Philippe ? – Je ne sais pas, répondit-elle ; mais il ne veut toujours pas servir les Bourbons. – Il est bien difficile de lui trouver une place en France. S’il ne rentre pas dans l’armée, il ne se casera pas de sitôt dans l’administration, dit le vieux du Bruel. Certes, il suffit de l’entendre pour voir qu’il n’aura pas, comme mon fils, la ressource de faire fortune avec des pièces de théâtre. Au mouvement d’yeux par lequel Agathe répondit, chacun comprit combien l’avenir de Philippe l’inquiétait ; et, comme aucun de ses amis n’avait de ressources à lui présenter, tous gardèrent le silence. Le proscrit, Desroches fils et Bixiou jouèrent à l’écarté, jeu qui faisait alors fureur. – Maman Descoings, mon frère n’a pas d’argent pour jouer, vint dire Joseph à l’oreille de la bonne et excellente femme. L’actionnaire de la Loterie Royale alla chercher vingt francs et les remit à l’artiste, qui les glissa secrètement dans la main de son frère. Tout le monde arriva. Il y eut deux tables de boston, et la soirée s’anima. Philippe se montra mauvais joueur. Après avoir d’abord gagné beaucoup, il perdit ; puis, vers onze heures, il devait cinquante francs à Desroches fils et à Bixiou. Le tapage et les disputes de la table d’écarté résonnèrent plus d’une fois aux oreilles des paisibles joueurs de boston, qui observèrent Philippe à la dérobée. Le proscrit donna les preuves d’une si mauvaise nature que, dans sa dernière querelle où Desroches fils, qui n’était pas non plus très bon, se trouvait mêlé, Desroches père, quoique son fils eût raison, lui donna tort et lui défendit de jouer. Madame Descoings en fit autant avec son petit-fils, qui commençait à lancer des mots si spirituels, que Philippe ne les comprit pas, mais qui pouvaient mettre ce cruel railleur en péril au cas où l’une de ses flèches barbelées fût entrée dans l’épaisse intelligence du colonel. – Tu dois être fatigué, dit Agathe à l’oreille de Philippe, viens te coucher. – Les voyages forment la jeunesse, dit Bixiou en souriant quand le colonel et madame Bridau furent sortis. Joseph, qui se levait au jour et se couchait de bonne heure, ne vit pas la fin de cette soirée. Le lendemain matin, Agathe et la Descoings, en préparant le déjeuner dans la première pièce, ne purent s’empêcher de penser que les soirées seraient excessivement chères, si Philippe continuait à jouer ce jeu-là, selon l’expression de la Descoings. Cette vieille femme, alors âgée de soixante-seize ans, proposa de vendre son mobilier, de rendre son appartement au second étage au propriétaire qui ne demandait pas mieux que de le reprendre, de faire sa chambre du salon d’Agathe, et de convertir la première pièce en un salon où l’on mangerait. On économiserait ainsi sept cents francs par an. Ce retranchement dans la dépense permettrait de donner cinquante francs par mois à Philippe en attendant qu’il se plaçât. Agathe accepta ce sacrifice. Lorsque le colonel descendit, quand sa mère lui eût demandé s’il s’était trouvé bien dans sa petite chambre, les deux veuves lui exposèrent la situation de la famille. Madame Descoings et Agathe possédaient, en réunissant leurs revenus, cinq mille trois cents francs de rentes, dont les quatre mille de la Descoings étaient viagères. La Descoings faisait six cents francs de pension à Bixiou, qu’elle avouait pour son petit-fils depuis six mois, et six cents francs à Joseph ; le reste de son revenu passait, ainsi que celui d’Agathe, au ménage et à leur entretien. Toutes les économies avaient été dévorées.
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