Avant-propos
En mer, aux environs de deux heures du matin, par une nuit calme, sous un ciel plein d’étoiles.
Yves se tenait sur la passerelle auprès de moi, et nous causions du pays, absolument nouveau pour nous deux, où nous conduisaient cette fois les hasards de notre destinée. C’était le lendemain que nous devions atterrir ; cette attente nous amusait et nous formions mille projets.
— Moi, disais-je, aussitôt arrivé, je me marie…
— Ah ! fit Yves, de son air détaché, en homme que rien ne surprend plus.
— Oui… avec une petite femme à peau jaune, à cheveux noirs, à yeux de chat. – Je la choisirai jolie. – Elle ne sera pas plus haute qu’une poupée. – Tu auras ta chambre chez nous. – Ça se passera dans une maison de papier, bien à l’ombre, au milieu des jardins verts. – Je veux que tout soit fleuri alentour ; nous habiterons au milieu des fleurs, et chaque matin on remplira notre logis de bouquets, de bouquets comme jamais tu n’en as vu…
Yves semblait maintenant prendre intérêt à ces projets de ménage. Il m’eût d’ailleurs écouté avec autant de confiance, si je lui avais manifesté l’intention de prononcer des vœux temporaires chez des moines de ce pays, ou bien d’épouser quelque reine des îles et de m’enfermer avec elle, au milieu d’un lac enchanté, dans une maison de jade.
Mais c’était réellement bien arrêté dans ma tête, ce plan d’existence que je lui exposais là. Par ennui, mon Dieu, par solitude, j’en étais venu peu à peu à imaginer et à désirer ce mariage. – Et puis surtout, vivre un peu à terre, en un recoin ombreux, parmi les arbres et les fleurs, comme cela était tentant, après ces mois de notre existence que nous venions de perdre aux Pescadores (qui sont des îles chaudes et sinistres, sans verdure, sans bois, sans ruisseaux, ayant l’odeur de la Chine et de la mort).
Nous avions fait beaucoup de chemin en latitude, depuis que notre navire était sorti de cette fournaise chinoise, et les constellations de notre ciel avaient rapidement changé : la Croix du Sud disparue avec les autres étoiles australes, la Grande Ourse était remontée vers le zénith et se tenait maintenant presque aussi haut que dans le ciel de France. Déjà l’air plus frais qu’on respirait cette nuit-là nous reposait, nous vivifiait délicieusement – nous rappelait nos nuits de quart d’autrefois, l’été, sur les côtes bretonnes…
Et pourtant, à quelle distance nous en étions, de ces côtes familières, à quelle distance effroyable !…