II

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II Où Summy Skim s’engage malgré lui sur la voie des aventures. Rentré chez lui, Summy Skim prit les dispositions que lui imposait la mort de Josias Lacoste. Il s’occupa des faire-part à envoyer aux amis de la famille, du deuil qu’il fallait prendre, du service religieux qu’il convenait de commander à la paroisse. Quant au règlement des affaires personnelles de son oncle, il y aurait lieu de s’en entretenir sérieusement avec Me Snubbin quand les deux cousins se seraient mis d’accord, et lorsque le notaire aurait reçu les renseignements demandés par dépêche lui permettant de dresser l’inventaire de la succession du défunt. Ben Raddle ne rentra à Montréal que cinq jours plus tard, dans la matinée du 22 mars, après un mois de séjour à New York, où il avait étudié pour le compte d’un puissant syndicat le gigantesque projet de jeter un pont sur l’Hudson entre la Métropole et le New Jersey. Ben Raddle s’était attelé de tout son cœur à ce travail de nature à passionner un ingénieur. Mais il ne semblait pas que la construction du pont dût être prochainement entreprise. Si on en parlait beaucoup dans les journaux, si on l’étudiait non moins sur le papier, une année sans doute, deux peut-être s’écouleraient avant le commencement effectif des travaux. Aussi Ben Raddle s’était-il décidé à revenir. Son absence avait paru longue à Summy Skim. Combien il regrettait de ne pouvoir convertir son cousin à ses propres idées, de ne pouvoir lui faire aimer son existence sans soucis ! Cette grande affaire de l’Hudson Bridge ajoutait encore à ses inquiétudes. Si Ben Raddle y prenait part, ne le retiendrait-elle pas longtemps, des années peut-être, à New York ? Et alors Summy Skim serait seul dans la maison commune, seul à la ferme de Green Valley ! Dès que l’ingénieur fut de retour, son cousin lui apprit la mort de leur oncle Josias, décédé à Dawson City, en laissant pour toute fortune le claim n° 129 situé au bord du Forty Miles Creek, sur le territoire du Klondike. À ce dernier nom, très retentissant alors, l’ingénieur dressa l’oreille. Vraisemblablement, il n’accueillait pas avec la belle indifférence d’un Summy Skim la perspective d’être désormais propriétaire d’un gisement aurifère. Quelle que fût sa pensée à cet égard, d’ailleurs, il ne l’exprima pas sur le moment. Avec son habitude d’étudier les choses à fond, il désirait réfléchir avant de se prononcer. Vingt-quatre heures lui suffirent à peser le pour et le contre de la situation, et, dès le lendemain, au cours du déjeuner, il interpellait ex abrupto Summy Skim, qui le trouvait singulièrement absorbé : « Dis donc, cousin, si nous parlions un peu du Klondike ? – S’il ne s’agit que d’en parler un peu !... – Un peu... ou beaucoup, Summy. – À ton aise ! mon cher Ben. – Le notaire ne t’a pas communiqué les titres de propriété de ce claim 129 ? – Non, répondit Summy Skim, je n’ai pas pensé qu’il fût utile d’en prendre connaissance. – Je te retrouve bien là, mon bon Summy ! s’écria Ben Raddle en riant. – Pourquoi cela ? objecta Summy. Il n’y a pas lieu, ce me semble, de tant se tracasser pour cette affaire. C’est très simple : ou cet héritage a quelque valeur, et nous le liquiderons au mieux de nos intérêts, ou, ce qui me paraît infiniment plus probable, il n’en a aucune, et nous ne nous en occuperons même pas. – Tu as raison, accorda Ben Raddle. Mais rien ne presse... Avec ces placers, on ne sait jamais... On les croit pauvres, épuisés... et un coup de pioche vous donne une fortune. À ces mots, Summy Skim sentit poindre un commencement d’inquiétude. – Eh bien, mon cher Ben, dit-il en s’échauffant, c’est précisément ce que doivent savoir les gens de la partie, ceux qui exploitent en ce moment ces fameux gisements du Klondike. Si le claim de Forty Miles Creek vaut quelque chose, nous essaierons, je le répète, de nous en défaire au prix le plus avantageux... Mais comme il est probable, n’est-ce pas ? que notre oncle Lacoste ait quitté ce monde juste au moment d’être millionnaire !... – C’est ce qui reste à déterminer, répondit Ben Raddle. Le métier de prospecteur est fécond en surprises de ce genre. On est toujours à la veille de découvrir une heureuse veine, et, par ce mot de veine, je n’entends pas dire la chance, mais le filon aurifère où les pépites abondent. Enfin il est, tu ne le contesteras pas, de ces chercheurs d’or qui n’ont point eu à se plaindre... – Oui, répondit Summy Skim, un sur cent, sur mille, sur cent mille plutôt, et au prix de quels soucis, de quelles fatigues, et l’on peut ajouter de quelles misères !... – Voilà de belles phrases, Summy, dit Ben Raddle, mais rien que des phrases. Moi, ce n’est pas sur de la littérature que j’entends raisonner, mais sur des faits, rien que des faits. Summy Skim, sentant, sans autrement s’en étonner, où son cousin voulait en venir, se raccrocha au thème familier, et l’éternelle discussion recommença une fois de plus. – Mon cher ami, est-ce que l’héritage que nous ont laissé nos parents n’est pas suffisant ? Est-ce que notre patrimoine ne nous assure pas l’indépendance et le bien-être ?... Si je te parle ainsi, c’est que je m’aperçois que tu donnes à cette affaire plus d’importance qu’elle n’en mérite à mon avis... Voyons, ne sommes-nous pas assez riches ? – On ne l’est jamais assez quand on peut l’être davantage. – À moins qu’on ne le soit trop, Ben, comme certains milliardaires, qui ont autant d’ennuis que de millions, et qui prennent plus de peine à conserver leur fortune qu’ils n’en ont eu à l’acquérir. – Allons, allons, répondit Ben Raddle, la philosophie a beau être une belle chose, il ne faut pas en abuser. D’ailleurs, ne me fais pas dire ce que je ne dis point. Je ne m’attends pas à trouver des tonnes d’or dans le claim de notre oncle Josias. Je veux me renseigner, voilà tout. – Nous nous renseignerons, mon cher Ben, c’est convenu, et fasse le ciel que, informations prises, nous ne nous trouvions pas en présence d’une situation embarrassée, à laquelle nous devrions faire face par respect pour notre famille... Dans ce cas, j’ai assuré Me Snubbin... – Tu as bien fait, Summy, interrompit Ben Raddle. Mais il me paraît superflu d’envisager cette éventualité qui ne se réalisera probablement pas. S’il y avait des créanciers, ils se seraient déjà fait connaître, sois tranquille. Causons plutôt du Klondike. Tu dois bien penser que je n’en suis pas à entendre parler de ces gisements. Bien que l’exploitation en remonte à deux ans à peine, j’ai lu tout ce qu’on a publié sur les richesses de ces territoires, et je puis te dire des choses qui troubleront ta superbe indifférence. Après l’Australie, la Californie, l’Afrique du Sud, on pouvait supposer que notre globe ne contenait pas d’autres placers. Et voici que, dans cette partie du Nord-Amérique, sur les confins de l’Alaska et du Dominion, le hasard en fait découvrir de nouveaux. Il semble d’ailleurs que ces contrées septentrionales de l’Amérique soient privilégiées sous ce rapport. Non seulement il existe des mines d’or au Klondike, mais on en a trouvé dans l’Ontario, le Michipicoten, la Colombie anglaise, où de puissantes compagnies se sont constituées, telles que la War Eagle, la Standard, le Sullivan Grup, l’Alhabarca, le Ferm, le Syndicate, la Sans Poel, le Cariboo, le Deer Trail, la Georgie Reed, et tant d’autres, dont les actions sont en plus-values constantes, sans parler des mines d’argent, de cuivre, de manganèse, de fer, de charbon. En ce qui concerne plus spécialement le Klondike, songe, Summy, à l’étendue que mesure cette région aurifère, deux cent cinquante lieues de longueur, sur environ quarante de largeur, et cela rien que sur le territoire du Dominion, en négligeant les gisements de l’Alaska. N’est-ce pas là un immense champ ouvert à l’activité humaine, le plus vaste, peut-être, qui ait été reconnu à la surface de la terre ? Qui sait si les produits de cette région ne se chiffreront pas un jour, non par millions, mais par milliards ! Ben Raddle aurait pu longtemps parler sur ce sujet, Summy Skim ne l’écoutait plus. Ce dernier se contenta de dire en haussant les épaules : – Allons, Ben, c’est trop visible, tu as la fièvre... – Comment ?... j’ai la fièvre ? – Oui, la fièvre de l’or, comme tant d’autres, et c’est une fièvre qu’on ne guérit pas avec le sulfate de quinine, car elle n’est malheureusement pas intermittente. – Rassure-toi, mon cher Summy, répondit Ben Raddle en riant, mon pouls ne bat pas plus vite que d’ordinaire. Je me reprocherais, d’ailleurs, de compromettre ta magnifique santé, en t’exposant au contact d’un fiévreux... – Oh ! moi !... je suis vacciné, repartit sur le même ton Summy Skim, mais je te vois avec peine, je l’avoue, te perdre dans des songes creux qui ne peuvent mener à rien de bon, et t’emballer... – Où vois-tu cela ? interrompit Ben Raddle. Il n’est question, pour le moment, que d’étudier une affaire et d’en tirer profit si on le peut. Tu penses que notre oncle n’a guère été heureux dans ses spéculations. Il est possible, en effet, que ce claim de Forty Miles Creek lui ait rapporté plus de boue que de pépites. Mais peut-être n’avait-il pas les ressources nécessaires pour l’exploiter. Peut-être n’opérait-il pas avec méthode comme l’aurait pu faire... – Un ingénieur, n’est-il pas vrai, Ben ? – Sans doute, un ingénieur... – Toi... par exemple ? – Pourquoi pas ? répondit Ben Raddle. En tout cas, ce n’est pas de cela qu’il est actuellement question. Il s’agit de se renseigner, tout simplement. Lorsque nous saurons à quoi nous en tenir sur la valeur du claim, nous verrons ce qu’il conviendra de faire. » La conversation en resta là. En somme, il n’y avait rien à objecter aux propositions de Ben Raddle. Il était naturel de se renseigner avant de prendre une décision. Que l’ingénieur fût un homme sérieux, intelligent, pratique, cela ne pouvait être mis en doute. Summy n’en était pas moins affligé et inquiet, en voyant avec quelle sorte d’avidité son cousin se jetait sur cette proie si inopinément offerte à son ambition. Parviendrait-il à le retenir ? Assurément, en aucun cas, Summy Skim ne se séparerait de Ben Raddle. Leurs intérêts resteraient communs, quoi qu’il pût arriver. Mais il ne se faisait pas faute de pester contre la mauvaise idée qu’avait eue l’oncle Josias d’aller chercher fortune au Klondike, où l’attendaient la misère et la mort, et il en arrivait à désirer que les renseignements demandés fussent tels qu’il n’y eût pas lieu de donner suite à cette affaire. Dans l’après-midi, Ben Raddle se rendit à l’étude du notaire et prit connaissance des titres de propriété, qu’il trouva parfaitement en règle. Un plan à grande échelle permettait de préciser avec exactitude la situation du claim 129. On le trouvait à quarante-deux kilomètres de Fort Cudahy, bourgade fondée par la Compagnie de la baie d’Hudson, sur la rive droite du Forty Miles Creek, l’un des innombrables affluents du Yukon, ce grand fleuve qui, après avoir arrosé les territoires occidentaux du Dominion, traverse toute l’Alaska, et dont les eaux, anglaises dans son haut cours, sont devenues américaines en aval, depuis que cette vaste région a été cédée par les Russes aux États-Unis. « Vous n’avez pas remarqué une particularité assez curieuse, maître Snubbin, dit Ben Raddle après avoir examiné la carte. Le Forty Miles Creek coupe, avant de se jeter dans le Yukon, le 141e méridien choisi comme ligne de démarcation entre le Dominion et l’Alaska, et ce méridien se confond avec la limite occidentale de notre claim qui est ainsi mathématiquement situé à la frontière commune des deux contrées. – En effet, approuva le notaire. – Vraiment, reprit Ben Raddle en poursuivant son examen, cette situation ne me paraît pas mauvaise à première vue. Il n’y a pas de raison pour que le Forty Miles Creek soit moins favorisé que la Klondike River ou son affluent la Bonanza, ou ses sous-affluents la Victoria, l’Eldorado et autres rios si productifs et si recherchés des mineurs ! Ben Raddle dévorait littéralement du regard cette merveilleuse contrée dont le réseau hydrographique roule à profusion le précieux métal, qui, au taux de Dawson City, vaut deux millions trois cent quarante-deux mille francs la tonne ! – Excusez-moi, monsieur Raddle, hasarda le notaire. Oserais-je vous demander si votre intention est d’exploiter vous-même le placer de feu Josias Lacoste ? Ben Raddle eut un geste évasif. – C’est que M. Skim... insinua Me Snubbin. – Summy n’a pu se prononcer, déclara nettement Ben Raddle, et moi-même je réserve mon opinion jusqu’au moment où j’aurai tous les renseignements utiles... et, s’il le faut, vu par moi-même... – Songeriez-vous donc à entreprendre ce long voyage du Klondike ? demanda Me Snubbin en hochant la tête. – Pourquoi pas ? Quoi qu’en puisse penser Summy, l’affaire, à mon avis, vaut qu’on se dérange... Une fois à Dawson City, on serait fixé... Ne fût-ce que pour vendre ce claim, pour en évaluer la valeur, vous en conviendrez avec moi, maître Snubbin, le mieux serait de l’avoir visité. – Est-ce bien nécessaire ? observa Me Snubbin. – Ne serait-ce que pour trouver un acquéreur ? Le notaire allait répondre. Il en fut empêché par l’entrée d’un employé porteur d’une dépêche. – Si ce n’est que cela, dit-il après l’avoir ouverte, voici qui pourra vous éviter les fatigues d’un tel voyage, monsieur Raddle. Ce disant, Me Snubbin tendit à Ben Raddle un télégramme daté de huit jours, lequel, après avoir été porté de Dawson City à Vancouver, arrivait à Montréal par les fils du Dominion. Aux termes de ce télégramme, l’Anglo-American Transportation and Trading Co (Chicago-Dawson), syndicat américain déjà possesseur de huit claims dont l’exploitation était dirigée par le capitaine Healey, faisait, en effet, pour l’acquisition du claim 129 de Forty Miles Creek, une offre ferme de cinq mille dollars, qui seraient envoyés à Montréal dès le reçu du télégramme d’acceptation. Ben Raddle avait pris la dépêche et la lisait avec le même soin qu’il venait de mettre à étudier les titres de propriété. – Qu’en dites-vous, monsieur Raddle ? demanda le notaire. – Rien, répondit l’ingénieur. Le prix offert est-il suffisant ? Cinq mille dollars pour un claim du Klondike ! – Cinq mille dollars sont toujours bons à prendre. – Moins que dix mille, maître Snubbin. – C’est évident. Je présume toutefois que M. Skim... – Summy sera toujours de mon avis, si je puis appuyer cet avis de bonnes raisons. Et, si je lui prouve qu’il est nécessaire d’entreprendre ce voyage, il l’entreprendra, n’en doutez pas. – Lui ?... s’écria Me Snubbin, l’homme le plus heureux, le plus indépendant que jamais notaire ait rencontré dans l’exercice de sa profession ! – Oui, cet heureux, cet indépendant, si je lui montre qu’il peut doubler son bonheur et son indépendance... Que risquerions-nous, après tout, puisque nous serons toujours en mesure d’accepter la somme offerte par ce syndicat ? » Ben Raddle, après avoir quitté l’étude, prit par le plus court, tout en réfléchissant au parti qu’il convenait d’adopter. Quand il arriva à la maison de la rue Jacques-Cartier, son opinion était faite. Il monta aussitôt à la chambre de son cousin. « Eh bien, demanda celui-ci, tu as vu Me Snubbin ? Y a-t-il du nouveau ? – Du nouveau, oui, Summy, et des nouvelles. – Bonnes ? – Excellentes. – Tu as examiné les titres de propriété ?... – Comme de juste, ils sont en règle. Nous sommes bien propriétaires du claim 129. – Voilà qui va joliment accroître notre fortune ! observa en riant Summy Skim. – Plus que tu ne penses, peut-être, déclara l’ingénieur d’un ton sérieux. Et Ben Raddle tendit à son cousin la dépêche de l’Anglo-American Transportation and Trading Company. – Mais c’est parfait, s’écria celui-ci. Il n’y a pas à hésiter. Vendons notre claim à cette obligeante société, et le plus vite possible encore !... – Pourquoi céder au prix de cinq mille dollars ce qui peut en valoir bien davantage ?... ajouta Ben Raddle. – Cependant, mon cher Ben... – Eh bien ! ton cher Ben te répond qu’on ne traite pas ainsi les affaires. Pour agir en connaissance de cause, il faut avoir vu, vu de ses propres yeux, ce qui s’appelle vu. – Tu en es toujours là ?... – Plus que jamais. Réfléchis donc, Summy. Si l’on nous fait cette proposition d’achat, c’est que l’on connaît la valeur du claim, c’est que cette valeur est infiniment plus considérable. Il ne manque pas d’autres placers disponibles, le long des rios ou dans les montagnes du Klondike. – Qu’en sais-tu ?... – Et, poursuivit Ben Raddle sans s’occuper de l’interruption, si une société qui en possède déjà plusieurs veut acquérir le nôtre, c’est qu’elle a, non pas cinq mille raisons pour offrir cinq mille dollars, mais dix mille, mais cent mille... – Un million, dix millions, cent milliards, continua Summy railleur. Vraiment, Ben, tu jongles avec les chiffres. – Les chiffres, c’est la vie, mon cher, et je trouve que tu ne chiffres pas assez... – C’est peut-être que tu chiffres trop. – Voyons, mon cher Summy, c’est très sérieusement que je te parle. J’hésitais à partir. Depuis l’arrivée de cette dépêche, je suis décidé à porter ma réponse en personne. – Quoi !... tu veux partir pour le Klondike ?... – Oui. – Sans avoir pris de renseignements ?... – Je me renseignerai sur place. – Et tu vas encore me laisser seul ?... – Non, puisque tu m’accompagneras. – Moi ?... – Toi. – Jamais !... – Si, car l’affaire nous regarde tous deux. – Je te donnerai mes pouvoirs. – Je les refuse, c’est ta personne que je veux. – Un voyage de quinze cents lieues !... – Pas du tout !... Dix-huit cents seulement. – Seigneur !... Et qui durera ?... – Ce qu’il devra durer. Il peut arriver, en effet, que nous ayons intérêt, non pas à vendre notre claim, mais à l’exploiter. – Comment... à l’exploiter ?... s’écria Summy Skim éperdu. Alors, c’est toute une année... – Deux, s’il le faut. – Deux ans !... deux ans !... répétait Summy Skim. – Qu’importe !... s’écria Ben Raddle. Lorsque chaque mois, chaque jour, chaque heure accroîtra notre fortune !... – Non, non !... s’exclamait Summy Skim, en se blottissant, en s’enfonçant dans son fauteuil, comme un homme résolu à ne jamais le quitter. Mais il avait affaire à forte partie. Ben Raddle, bien certainement, ne lui ferait grâce que lorsqu’il aurait emporté son consentement de haute lutte. – Quant à moi, Summy, conclut-il, je suis décidé à partir pour Dawson City, et je ne puis croire que tu refuses de m’accompagner. D’ailleurs, tu as été trop sédentaire jusqu’ici !... Il faut un peu courir le monde... – Eh !... fit Summy Skim, j’aurais bien d’autres contrées à visiter en Amérique ou en Europe, si j’en avais le goût. Assurément, je ne commencerai pas par m’enfoncer jusqu’au cœur de cet abominable Klondike. – Qui te paraîtra charmant, Summy, lorsque tu auras constaté par toi-même qu’il est semé de poudre d’or et pavé de pépites. – Ben, mon cher Ben, supplia Summy Skim, tu me fais peur !... oui, tu me fais peur !... Tu veux t’embarquer là dans une affaire où tu ne trouveras que périls et désillusions. – Nous le verrons bien !... – À commencer par ce maudit claim qui n’a sans doute pas la valeur d’un carré de choux !... – Alors pourquoi cette compagnie en offrirait-elle plusieurs milliers de dollars ?... – Et quand je songe, Ben, qu’il faut l’aller chercher, ce claim dérisoire, dans un pays où la température tombe à 50 degrés au-dessous de zéro !... – Nous ferons du feu. À tout, Ben Raddle trouvait la réplique. La détresse de son cousin le laissait complètement insensible. – Mais Green Valley, Ben ?... soupirait celui-ci. – Bon !... répliquait Ben Raddle, le gibier ne manque pas aux plaines, ni le poisson aux rios du Klondike. Tu chasseras, tu pêcheras dans un pays nouveau qui te réserve des surprises. – Mais nos fermiers, nos braves fermiers qui nous attendent !... gémissait Summy. – Auront-ils lieu de regretter notre absence, lorsque nous serons revenus assez riches pour leur bâtir d’autres fermes et pour acheter tout le district ? » Finalement, Summy Skim dut s’avouer vaincu... Non, il ne laisserait pas son cousin partir seul pour le Klondike... Il l’accompagnerait, ne fût-ce que pour l’en ramener plus vite... Aussi, ce jour-là, une dépêche s’envola-t-elle sur les fils télégraphiques du Dominion, annonçant au capitaine Healey, directeur de la Transportation and Trading Company, Dawson City, Klondike, le prochain départ de MM. Ben Raddle et Summy Skim, propriétaires du claim 129.
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