Le Modérateur

II (2)

II (2)Romeo Styx, un mètre quatre-vingt-dix, le corps musculeux, les cheveux courts, bruns, les yeux marron, se vêt de ses plus belles parures, se parfume délicatement, se peigne, ajuste son col pour accroître sa bienséance ; se contemple sous tous les angles dans sa salle aux mille miroirs. « Qu’il est beau, mon Romeo !

— ®Antinoüs, ®je ®déteste ®ton ®ironie.

— Point d’ironie, mon cher. Vérité, vérité.

— ®Je ®me ®dois ®de ®me ®montrer ®digne ®de ®ma ®maison.

— Ah ! oui, j’oubliais la fameuse Maison majeure souveraine des Amériques. Pardonnez mon insolence, Votre Altesse.

— ®Antinoüs, ®tu ®es ®incorrigible. »

Tout en sélectionnant avec la plus grande méticulosité les bracelets qu’il portera, il ne cesse de lire et de relire les mots du serment officiel à prononcer. « Prends garde à toi, ô mon Académicien, ô mon Romeo !

— ®Merci, ®Antinoüs ®Bora ®Bora. »

Sur ce, il sort de son palais et monte dans sa limousine volante. « ®Votre ®Altesse, ®bonjour. ®Avez-®vous ®bien ®dormi ?

— ®Comme ®un ®ange.

— ®Direction ®l’®Académie, ®Votre ®Altesse ?

— ®Oui ®et ®au ®trot.

— ®Comme ®il ®vous ®plaira, ®Votre ®Altesse. »

Décollage vertical, le véhicule de trente mètres de long progresse dans les avenues de la grande Amérique.

Il emprunte le pont transatlantique, dans lequel la vitesse est limitée à 6000 km/h. La limousine fait montre de sa puissance. Le confort y est tel que la vitesse ne semble pas dépasser les 100 km/h.

Les membres des Maisons majeures souveraines ont un Humanibis comme chauffeur, en plus du système de navigation autoguidée propre aux moyens de locomotion du commun des mortels.

Les Humanibis, hauts de trois mètres, larges de deux, forment la garde d’élite semi-robotisée de la Planète Terre. Leur squelette est amélioré, renforcé à l’excès. Leurs yeux sont bioniques, munis de lentilles super-grossissantes, de près comme de loin (leur vue étant estimée à cent dixièmes).

En cas de blessure, ils s’auto-guérissent. S’ils se trouvent trop faibles pour affronter tel ou tel ennemi, ils ont la faculté de modifier leur ADN, remplaçant ainsi les gènes et chromosomes défectueux.

Véritables tireurs d’élite, ils sont regroupés en deux forces composées chacune de quarante millions de soldats.

À la tête de cette armée, un général, nommé au sein de l’Académie. « ®Votre ®Altesse ®est ®arrivée.

— ®Bien. ®Le ®temps ®a ®l’®air ®au ®beau ®fixe.

— ®Il ®ne ®pleuvra ®que ®lorsque ®vous ®serez ®de ®nouveau ®assis ®dans ®le ®Mobilord, ®Votre ®Altesse.

— ®Parfait. ®Au ®revoir, ®Asteroz ®XB-9.

— ®Au ®revoir, ®Votre ®Altesse. »

Romeo se meut vers le grand portail du monumental édifice. Un valet l’attend. « ®Votre ®Altesse, ®je ®suis ®heureux ®que ®vous ®soyez ®arrivé. ®Toute ®la ®communauté ®académique ®vous ®attend. ®Me ®permettez-®vous ®d’®ôter ®de ®votre ®bel ®uniforme ®ce ®qui ®semble ®être ®un ®pardessus ®tout ®d’®or ®tissé, ®Votre ®Altesse ?

— ®Faites ®donc. ®Il ®est ®tout ®d’®or ®et ®de ®cachemire ®tissé, ®en ®effet.

— ®Oh ! ®l’®heure… ®Que ®Votre ®Altesse ®daigne ®se ®diriger ®vers ®la ®Grande ®Salle ®m’®emplirait ®de ®joie.

— ®J’®y ®vais ®de ®ce ®pas. »

Que d’or et de diamants, dans cette salle ! Toujours autant de richesses… Chaque académicien est à sa place. Nombreuses sont les discussions de voix traînardes autant que haut perchées. La même exclamation revient sans cesse, qui n’est autre que la devise de l’Académie : « Honnie soit la gueusaille ! ».

« ®Ah ! ®mais ®voilà ®Romeo ®Styx, ®de ®la ®Maison ®majeure ®souveraine ®des ®Amériques !

— ®Bonjour, ®Votre ®Gracieuse ®Majesté.

— ®La ®cérémonie ®va ®commencer. ®Installez-®vous ®à ®ma ®droite. »

Le silence se fait, sans que la moindre consigne ne soit donnée. Le Grand Académicien, le menton en l’air, ses bajoues plus impressionnantes que jamais, ses favoris grisonnants bien brossés, son cou bien serré par un col blanc épinglé d’un soleil d’or, véritable strangulation honorifique, la bedaine sécurisée par un ample vêtement, parle ainsi :

« ®Mes ®chers ®confrères, ®bonjour. ®J’®ai ®l’®honneur ®de ®vous ®présenter ®l’®homme ®ayant ®brillamment ®exposé ®sa ®thèse, ®traitant ®des « ®Grandes ®valeurs ®intrinsèques ®au ®système ®de ®Notre-®Père ®le ®Modérateur ».

®Cet ®homme, ®cet ®étudiant, ®désormais ®docteur, ®prince ®de ®sang ®de ®la ®Maison ®majeure ®souveraine ®des ®Amériques, ®descendant ®de ®grands ®bâtisseurs, ®passionné ®de ®religion, ®fou ®épris ®du ®culte ®galactique, ®cet ®homme, ®dis-®je, ®va ®devant ®vous ®prêter ®serment.

®Jeune ®prince, ®à ®vous ®l’®honneur !

— ®Je ®vous ®remercie ®du ®fond ®du ®cœur, ®Votre ®Gracieuse ®Majesté. ®Mes ®très ®chers ®maîtres ; ®ici ®et ®devant ®vous, ®je ®fais ®le ®serment, ®sur ®ma ®vie, ®de ®conserver ®le ®système ®en ®l’®état, ®dans ®la ®plus ®pure ®tradition ®modératrice, ®de ®tuer, ®de ®mes ®propres ®mains ®si ®besoin, ®tout ®ennemi, ®tout ®parjure, ®tout ®rebelle, ®de ®faire ®de ®votre ®sécurité, ®ma ®priorité.

— ®Vous ®êtes ®désormais ®membre ®à ®vie ®de ®l’®Académie. ®Je ®vous ®remets ®votre ®insigne ®d’®Académicien, ®votre ®couteau ®et ®votre ®gant ®d’®inquisiteur. »

Romeo, l’enfilant, sent que son avant-bras droit devient incontrôlable. Il hurle de douleur, ses doigts pianotant, sa tête chauffant, son corps vibrant. Il hurle encore plus fort, puis reprend ses esprits, en une fraction de seconde, surpris.

« ®Grâce ®à ®ce ®gant, ®vous ®saurez, ®à ®l’®instar ®de ®chacun ®de ®vos ®confrères ®et ®de ®chaque ®agent ®de ®notre ®Police ®Robotisée ®pour ®la ®Prévention ®du ®Crime, ®repérer ®toute ®personne ®ne ®communiquant ®pas ®de ®manière ®respectueuse. ®Une ®seule ®sentence ®sera ®de ®vigueur : ®l’®enfermement ®à ®vie ®dans ®le ®plus ®mathématique ®des ®pénitenciers, ®le ®plus ®effroyable ®aussi, ®j’®ai ®nommé ®la ®Prison ®de ®la ®Raison. ®Levez-®vous, ®Romeo ®Styx, ®je ®vous ®fais ®Seigneur-®Général ®de ®l’®armée ®Humanibis, ®et ®vous ®charge ®de ®vous ®rendre ®sur ®Mars ®au ®plus ®vite, ®car ®j’®ai ®une ®mission ®pour ®vous. »