Cela faisait maintenant deux semaines que j’étais à l’université, et si quelqu’un m’avait dit que je me retrouverais épuisée à ce point, j’aurais sûrement ri. Pourtant, c’était loin d’être drôle. Chaque jour ressemblait à une bataille sans fin. Les cours étaient d’une intensité redoutable, et j’avais l’impression de ne jamais pouvoir rattraper mon retard. Mes nuits étaient trop courtes et peuplées de révisions, au point que je sentais la fatigue me peser jusque dans les os. Mon reflet, avec ses cernes marqués et son regard las, semblait m’observer avec pitié. Mes gestes, autrefois vifs, étaient devenus lents, et le simple fait de penser à la journée à venir m’épuisait davantage.
Malgré tout, je continuais de m’accrocher. Pourquoi ? Peut-être par peur. Peur de ce que cela dirait de moi si j’abandonnais. Peur de décevoir ceux qui avaient placé leurs espoirs en moi. Chaque matin, je me levais avec cette lutte intérieure, balançant entre l’envie de tout laisser tomber et celle de prouver que j’étais à ma place ici.
« Et si je partais élever des chèvres dans les Alpes ? » Cette idée absurde, mais tentante, me traversait souvent l’esprit. Les montagnes m’appelaient, leur silence et leur paix semblaient si attirants comparés au tumulte de cette vie universitaire. Mais je secouais la tête, me rappelant pourquoi j’étais ici. Pas question de baisser les bras à la première difficulté.
Les journées se suivaient et se ressemblaient, une boucle infernale de cours, de révisions et de repas avalés à la va-vite. Même les week-ends étaient devenus des marathons d’écriture de CV et de lettres de motivation, dans l’espoir de décrocher un petit job. Mais ce samedi-là, j’avais besoin de sortir de cette routine, de respirer. Alors, sans hésiter, je pris la décision d’explorer un peu la ville, de m’échapper du campus pour retrouver, même pour quelques instants, une sensation de liberté.
Après avoir déposé quelques CV dans des commerces du quartier, une envie irrépressible de me récompenser me saisit. Pour moi, cela ne pouvait signifier qu’une chose : de la nourriture. Mon estomac me guida jusqu’à un café dont un professeur m’avait parlé avec enthousiasme. Il était réputé pour sa tarte aux poires à la crème double. Rien que d’y penser, j’en avais l’eau à la bouche.
Le café avait une atmosphère chaleureuse et réconfortante, bien différente de la froideur impersonnelle de ma chambre universitaire. J’étais sur le point de pousser la porte lorsque, sans prévenir, un choc brutal me projeta en arrière. Tout se passa si vite que je me retrouvai assise sur le trottoir, le souffle coupé, la tête bourdonnante.
Une main se tendit devant moi, forte et rassurante. En levant les yeux, je croisai un regard bleu, perçant et captivant, mêlant amusement et contrition. Ses cheveux bruns légèrement en bataille lui donnaient un air à la fois décontracté et mystérieux. « Je suis vraiment désolé, je ne vous avais pas vue », dit-il d’une voix grave, presque hypnotique. Une voix douce mais puissante, capable de désarmer la colère la plus vive.
J’acceptai sa main, encore un peu étourdie, et il m’aida à me relever. Pendant un instant, nous restâmes là, figés, à nous dévisager. C’était étrange, mais ce moment semblait suspendu, comme si le monde autour de nous s’était arrêté.
« Excusez-moi, je peux passer ? » Une voix impatiemment agacée nous ramena à la réalité. Je lâchai précipitamment sa main, sentant mes joues s’embraser.
« Euh, bien sûr », balbutiai-je, tentant de masquer mon embarras.
« Peter », se présenta-t-il avec un sourire en coin, tendant à nouveau la main pour une poignée de main plus formelle. « Et vous êtes… ? »
« Clara », répondis-je en lui serrant la main. « Enchantée, Peter. »
« Le plaisir est pour moi, Clara », dit-il, son sourire faisant battre mon cœur un peu plus vite. « Vous alliez entrer ? »
« Oui, j’avais entendu dire que cet endroit servait la meilleure tarte aux poires à la crème double du canton. »
« Vous avez très bon goût ! Puis-je me joindre à vous ? »
Surprise par sa proposition, je fis semblant d’hésiter. Mais comment refuser une telle invitation ? « Avec plaisir », dis-je finalement, en tentant de garder mon calme.
Nous entrâmes ensemble dans le café et prîmes place à une table près de la fenêtre. La conversation s’engagea naturellement, fluide et agréable. Peter n’était pas seulement charmant, il avait également un sens de l’humour subtil, et je découvris que nous partagions plusieurs centres d’intérêt. Chaque mot échangé m’amenait à sourire davantage. Je me sentais bien, presque légère, comme si ce moment suspendu nous appartenait entièrement.
Alors que nous dégustions la fameuse tarte, le téléphone de Peter se mit à vibrer sur la table. Il s’excusa, décrocha et s’éloigna pour répondre. Pendant qu’il parlait, je ne pus m’empêcher de remarquer une tension dans son expression, une gravité nouvelle qui assombrit son visage. Lorsqu’il revint, il semblait préoccupé.
« Clara, je suis vraiment désolé, mais je dois partir immédiatement. C’est une urgence. »
« Oh, bien sûr, je comprends », répondis-je, tentant de masquer ma déception.
Avant de partir, il me lança un dernier regard, sincère et empreint de promesse. « Clara, ce fut une belle rencontre. J’espère que nous aurons l’occasion de nous revoir. »
Alors que je savourais les dernières bouchées de la tarte, une voix familière se fit entendre :
« Clara ! Je savais bien que je finirais par te croiser ici. »
Je levai les yeux pour voir Lucie, une camarade de classe pétillante et pleine d’énergie avec qui j’avais sympathisé dès le premier jour. Elle s’installa en face de moi, un sourire complice aux lèvres. « Dis-moi, tu ferais quoi ce soir ? Il y a une soirée pour les étudiants au Café du Lac, près du quai d’Ouchy. Ça commence vers 20h, et ce serait parfait pour décompresser et rencontrer du monde. »
Je réfléchis un instant, pesant l’idée. La perspective de me détendre et de sortir un peu de la routine des études devenait de plus en plus tentante. Finalement, je hochai la tête, un léger sourire aux lèvres. « D’accord, Lucie, je viendrai. Ça me fera du bien de me changer les idées. »
Le visage de Lucie s’éclaira de joie. « Génial ! On se retrouve devant le Café du Lac à 20h. On va passer une super soirée, c’est promis. »
Après m'être préparée avec soin, je quittai mon appartement pour me rendre au Café du Lac, près du quai d’Ouchy, le lieu de rendez-vous convenu avec Lucie. En approchant du café, je remarquai déjà l’agitation à l’extérieur : des groupes d’étudiants riaient, discutaient et semblaient profiter de la douce soirée. Les lumières tamisées du café se reflétaient sur le lac tout proche, créant une atmosphère presque magique. L'endroit était charmant, avec ses guirlandes lumineuses suspendues en arc au-dessus des tables en bois, et la vue apaisante sur le lac ajoutait une touche de tranquillité à l’effervescence de la fête.
Lucie m’attendait près de l’entrée, un grand sourire aux lèvres. « Clara ! Par ici ! » cria-t-elle joyeusement en me faisant signe de la main. Je la rejoignis, et ensemble, nous nous dirigeâmes vers la grande salle où la fête battait son plein.
Une fois à l'intérieur, l’ambiance festive m’enveloppa immédiatement. La musique résonnait fort, remplissant chaque recoin du café, et le plancher vibrait au rythme des basses. Des étudiants dansaient au centre de la pièce, tandis que d’autres discutaient autour de petites tables éclairées par des bougies. Il y avait un mélange de rires, de discussions animées, et de gestes familiers, comme si tout le monde avait laissé de côté la fatigue des cours pour se retrouver dans ce moment d’euphorie partagée.
Lucie et moi nous faufilâmes à travers la foule, cherchant un endroit où nous installer. Plus je regardais autour de moi, plus je me détendais. C’était la première fois depuis longtemps que je me sentais vraiment bien, en phase avec les autres, loin de la pression des cours et des responsabilités.
Alors que nous naviguions dans la foule, mes yeux se posèrent sur une silhouette familière de l’autre côté de la salle. Je reconnus Peter instantanément, et une vague de
surprise me traversa. Que faisait-il ici ? Peut-être qu’il étudie à l’université aussi, pensai-je, intriguée. Mais mon regard fut rapidement attiré par la fille à ses côtés : Kéllia. La fille la plus populaire de notre université, avec ses longs cheveux lisses, sa tenue impeccable, et son attitude naturellement confiante. Ils semblaient très proches, presque intimes, ce qui me fit penser que Kéllia devait être sa petite amie.
J’essayai de détourner le regard pour ne pas me trahir, mais Peter m’aperçut et se fraya un chemin vers moi, un sourire sincère aux lèvres.
« Clara ! Je ne m’attendais pas à te voir ici. »
Je lui rendis son sourire, tentant de dissimuler mon embarras. « Oui, j’ai décidé de faire une pause dans mes révisions. »
Peter fit un signe de tête vers Kéllia, qui avait suivi chacun de ses pas. « Clara, voici Kéllia. Et Kéllia, voici mon amie Clara, » ajouta-t-il en se tournant aussi vers Lucie.
Le sourire de Kéllia était poli, mais son regard glacial démentait toute cordialité. Une vague de malaise m’envahit en sentant la tension dans ses yeux fixés sur moi. Elle resta collée à Peter, comme pour affirmer sa place auprès de lui. Malgré cela, Peter et moi continuâmes à discuter de nos cours et de la vie à Lausanne, tout en échangeant des anecdotes sur nos journées. Mais il m’était impossible d’ignorer le regard de Kéllia, un mélange de mépris et de défiance qui rendait chaque mot échangé avec Peter moins naturel.
Au bout d'un moment, le téléphone de Peter se mit à vibrer sur la table. « Désolé, je dois répondre, » dit-il en s’éloignant légèrement pour prendre l’appel.
À peine avait-il tourné le dos que Kéllia se rapprocha de moi, son sourire prenant une teinte glaciale et calculée. Elle s’approcha si près que sa voix n’était qu’un murmure, mais ses mots étaient lourds de froideur.