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Nouveaux mystères et Aventures

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Extrait : "Mon existence a été accidentée et la destinée y a fait entrer maintes aventures peu ordinaires. Mais parmi ces incidents, il en est un d'une étrangeté telle que, quand je passe en revue ma vie, tous les autres deviennent insignifiants."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de qualité de grands livres de la littérature classique mais également des livres rares en partenariat avec la BNF. Beaucoup de soins sont apportés à ces versions ebook pour éviter les fautes que l'on trouve trop souvent dans des versions numériques de ces textes.

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I
IMon existence a été accidentée et la destinée y a fait entrer maintes aventures peu ordinaires. Mais parmi ces incidents, il en est un d’une étrangeté telle que, quand je passe en revue ma vie, tous les autres deviennent insignifiants. Celui-là surgit au-dessus des brouillards d’autrefois avec un aspect sonore et fantastique, en jetant son ombre sur les années dépourvues d’évènements qui le précédèrent et le suivirent. Cette histoire-là, je ne l’ai pas souvent racontée. Bien petit est le nombre de ceux qui l’ont entendue de ma propre bouche et c’étaient des gens qui me connaissaient bien. De temps à autre ils m’ont demandé de faire ce récit devant une réunion d’amis, mais je m’y suis constamment refusé, car je n’ambitionne pas le moins du monde la réputation d’un Munchausen amateur. Pourtant, j’ai déféré jusqu’à un certain point à leur désir en mettant par écrit cet exposé des faits qui se rattachent à ma visite à Dunkelthwaite. Voici la première lettre que m’écrivit John Thurston. Elle est datée d’avril 1862. Je la prends dans mon bureau et la copie textuellement. « Mon cher Lawrence. Si vous saviez à quel point je suis dans la solitude et l’ennui, je suis certain que vous auriez pitié de moi et que vous viendrez partager mon isolement. Souvent vous avez vaguement promis de visiter Dunkelthwaite et de venir jeter un coup d’œil sur les landes du Yorkshire. Quel moment serait plus favorable qu’aujourd’hui pour votre voyage ? Certes, je sais que vous êtes accablé de besogne, mais comme en ce moment vous n’avez pas de cours à suivre, vous seriez tout aussi à votre aise pour étudier que vous l’êtes dans Bakerstreet. Emballez donc vos livres comme un bon garçon que vous êtes et arrivez. Nous avons une chambrette bien confortable pourvue d’un bureau et d’un fauteuil qui sont juste ce qu’il vous faut pour travailler. Faites-moi savoir quand nous pourrons vous attendre. En vous disant que je suis seul, je n’entends point dire par là qu’il n’y ait personne chez moi. Au contraire, nous formons une maisonnée assez nombreuse. Tout d’abord, naturellement, comptons mon pauvre oncle Jérémie, bavard et maniaque, qui va et vient en chaussons de lisière, et compose, selon son habitude, de mauvais vers à n’en plus finir. Je crois vous avoir fait connaître ce dernier trait de son caractère la dernière fois que nous nous sommes vus. Cela en est arrivé à un tel degré qu’il a un secrétaire dont la tâche se réduit à copier et conserver ces épanchements. Cet individu, que se nomme Copperthorne, est devenu aussi indispensable au vieux que sa marotte ou son Dictionnaire universel des Rimes. Je n’irai point jusqu’à dire que je m’inquiète de lui, mais j’ai toujours partagé le préjugé de César contre les gens maigres – et pourtant, si nous en croyons les médailles, le petit Jules faisait évidemment partie de cette catégorie. En outre, nous avons les deux enfants de notre oncle Samuel, qui ont été adoptés par Jérémie, – il y en a eu trois, mais l’un d’eux a suivi la voie de toute chair – et une gouvernante, une brune à l’air distingué, qui a du sang hindou dans les veines. Outre ces personnes, il y a trois servantes et le vieux groom. Vous voyez par là que nous formons un petit univers dans notre coin écarté. Ce qui n’empêche, mon cher Hugh, que je meurs d’envie de voir une figure sympathique et d’avoir un compagnon agréable. Comme je donne à fond dans la chimie, je ne vous dérangerai pas dans vos études. Répondez par le retour du courrier à votre solitaire ami. John H. THURSTON. » À l’époque où je reçus cette lettre, j’habitais Londres et je travaillais ferme en vue de l’examen final qui devait me donner le droit d’exercer la médecine. Thurston et moi, nous avions été amis intimes à Cambridge, avant que j’eusse commencé l’étude de la médecine et j’avais grand désir de le revoir. D’autre part, je craignais un peu que, malgré ses assertions, mes études n’eussent à souffrir de ce déplacement. Je me représentais le vieillard retombé en enfance, le secrétaire maigre, la gouvernante distinguée, les deux enfants, probablement des enfants gâtés et tapageurs, et j’arrivai à conclure que quand tout cela et moi nous serions bloqués ensemble dans une maison à la campagne, il resterait bien peu de temps pour étudier tranquillement. Après deux jours de réflexion, j’avais presque résolu de décliner l’invitation, lorsque je reçus du Yorkshire une autre lettre encore plus pressante que la première. « Nous attendons des nouvelles de vous à chaque courrier, disait mon ami, et chaque fois qu’on frappe je m’attends à recevoir un télégramme qui m’indique votre train. Votre chambre est toute prête, et j’espère que vous la trouverez confortable. L’oncle Jérémie me prie de vous dire combien il sera heureux de vous voir. Il aurait écrit mais il est absorbé par la composition d’un grand poème épique de cinq mille vers ou environ. Il passe toute la journée à courir d’une chambre à l’autre, ayant toujours sur les talons Copperthorne, qui, pareil au monstre de Frankenstein, le suit à pas comptés, le calepin et le crayon à la main, notant les savantes paroles qui tombent de ses lèvres. À propos, je crois vous avoir parlé de la gouvernante brune si pleine de chic. Je pourrais me servir d’elle comme d’un appât pour vous attirer, si vous avez gardé votre goût pour les études d’ethnologie. Elle est fille d’un chef hindou, qui avait épousé une Anglaise. Il a été tué pendant l’Insurrection en combattant contre nous ; ses domaines ayant été confisqués par le Gouvernement, sa fille, alors âgée de quinze ans, s’est trouvée presque sans ressources. Un charitable négociant allemand de Calcutta l’adopta, paraît-il, et l’amena en Europe avec sa propre fille. Celle-ci mourut et alors miss Warrender – nous l’appelons ainsi, du nom de sa mère, – répondit à une annonce insérée par mon oncle, et c’est ainsi que nous l’avons connue. Maintenant, mon vieux, n’attendez pas qu’on vous donne l’ordre de venir, venez tout de suite ». Il y avait dans la seconde lettre d’autres passages qui m’interdisent de la reproduire intégralement. Il était impossible de tenir bon plus longtemps devant l’insistance de mon vieil ami. Aussi tout en pestant intérieurement, je me hâtai d’emballer mes livres, je télégraphiai le soir même, et la première chose que je fis le lendemain matin, ce fut de partir pour le Yorkshire. Je me rappelle fort bien que ce fut une journée assommante, et que le voyage me parut interminable, recroquevillé comme je l’étais dans le coin d’un wagon à courants d’air, où je m’occupais à tourner et retourner mentalement maintes questions de chirurgie et de médecine. On m’avait prévenu que la petite gare d’Ingleton, à une quinzaine de milles de Tarnforth, était la plus rapprochée de ma destination. J’y débarquai à l’instant même où John Thurston arrivait au grand trot d’un haut dog-cart par la route de la campagne. Il agita triomphalement son fouet en m’apercevant, poussa brusquement son cheval, sauta à bas de voiture, et de là sur le quai. – Mon cher Hugh, s’écria-t-il, je suis ravi de vous voir. Comme vous avez été bon de venir ! Et il me donna une poignée de main que je sentis jusqu’à l’épaule. – Je crains bien que vous ne me trouviez un compagnon désagréable maintenant que me voilà, répondis-je. Je suis plongé jusque par-dessus les yeux dans ma besogne. – C’est naturel, tout naturel, dit-il avec sa bonhomie ordinaire. J’en ai tenu compte, mais nous aurons quand même le temps de tirer un ou deux lapins. Nous avons une assez longue trotte à faire, et vous devez être complètement gelé, aussi nous allons repartir tout de suite pour la maison. Et l’on se mit à rouler sur la route poussiéreuse. – Je crois que votre chambre vous plaira, remarqua mon ami. Vous vous trouverez bientôt comme chez vous. Vous savez, il est fort rare que je séjourne à Dunkelthwaite, et je commence à peine à m’installer et à organiser mon laboratoire. Voici une quinzaine que j’y suis. C’est un secret connu de tout le monde que je tiens une place prédominante dans le testament du vieil oncle Jérémie. Aussi mon père a-t-il cru que c’était un devoir élémentaire pour moi de venir et de me montrer poli. Étant donnée la situation, je ne puis guère me dispenser de me faire valoir un peu de temps en temps. – Oh ! certes, dis-je. – En outre, c’est un excellent vieux bonhomme. Cela vous divertira de voir notre ménage. Une princesse comme gouvernante, cela sonne bien, n’est-ce pas ? Je m’imagine que notre imperturbable secrétaire s’est hasardé quelque peu de ce côté-là. Relevez le collet de votre pardessus, car il fait un vent glacial. Le route franchit une série de collines faibles, pelées, dépourvues de toute végétation, à l’exception d’un petit nombre de bouquets de ronces, et d’un mince tapis d’une herbe coriace et fibreuse, où un troupeau épais de moutons décharnés, à l’air affamé, cherchaient leur nourriture. Nous descendions et montions tour à tour dans un creux, tantôt au sommet d’une hauteur, d’où nous pouvions voir les sinuosités de la route, comme un mince fil blanc passant d’une colline à une autre plus éloignée. Çà et là, la monotonie du paysage était diversifiée par des escarpements dentelés, formés par de rudes saillies du granit gris. On eût dit que le sol avait subi une blessure effrayante par où les os fracturés avaient percé leur enveloppe. Au loin se dressait une chaîne de montagne que dominait un pic isolé surgissant parmi elles, et se drapant coquettement d’une guirlande de nuages, où se réfléchissait la nuance rouge du couchant. – C’est Ingleborough, dit mon compagnon en me désignant la montagne avec son fouet, et ici ce sont les Landes du Yorkshire. Nulle part en Angleterre, vous ne trouverez de région plus sauvage, plus désolée. Elle produit une bonne race d’hommes. Les milices sans expérience qui battirent la chevalerie écossaise à la Journée de l’Étendard venaient de cette partie du pays. Maintenant, sautez à bas, vieux camarade, et ouvrez la porte. Nous étions arrivés à un endroit où un long mur couvert de mousse s’étendait parallèlement à la route. Il était interrompu par une porte-cochère en fer, à moitié disloquée, flanquée de deux piliers, au haut desquels des sculptures, taillées dans la pierre, paraissaient représenter quelque animal héraldique, bien que le vent et la pluie les eussent réduites à l’état de blocs informes. Un cottage en ruine qui avait peut-être, il y a longtemps, servi de loge, se dressait, à l’un des côtés. J’ouvris la porte d’une poussée, et nous par courûmes une avenue longue et sinueuse, encombrée de hautes herbes, au sol inégal, mais bordée de chênes magnifiques, dont les branches, en s’entremêlant au-dessus de nous, formaient une voûte si épaisse que le crépuscule du soir fit place soudain à une obscurité complète. – Je crains que notre avenue ne vous impressionne pas beaucoup, dit Thurston, en riant. C’est une des idées du vieux bonhomme, de laisser la nature agir en tout à sa guise. Enfin, nous voici à Dunkelthwaite. Comme il parlait, nous contournâmes un détour de l’avenue marqué par un chêne patriarcal qui dominait de beaucoup tous les autres, et nous nous trouvâmes devant une grande maison carrée, blanchie à la chaux, et précédée d’une pelouse. Tout le bas de l’édifice était dans l’ombre, mais en haut une rangée de fenêtres, éclairées d’un rouge de sang, scintillaient au soleil couchant. Au bruit des roues, un vieux serviteur en livrée vint, tout courant, prendre la bride du cheval dès que nous avançâmes. – Vous pouvez le rentrer à l’écurie, Elie, dit mon ami, dès que nous eûmes sauté à bas… Hugh, permettez-moi de vous présenter à mon oncle Jérémie. – Comment allez-vous ? Comment allez-vous ? dit une voix chevrotante et fêlée. Et levant les yeux, j’aperçus un petit homme à figure rouge qui nous attendait debout sous le porche. Il avait un morceau d’étoffe de coton roulée autour de la tête, comme dans les portraits de Pope et d’autres personnages célèbres du XVIIIe siècle. Il se distinguait en outre par une paire d’immenses pantoufles. Cela faisait un contraste si étrange avec ses jambes grêles en forme de fuseaux qu’il avait l’air d’être chaussé de skys, et la ressemblance était d’autant plus frappante qu’il était obligé, pour marcher, de traîner les pieds sur le sol, afin que ces appendices encombrants ne l’abandonnassent pas en route. – Vous devez être las, Monsieur, et gelé aussi, Monsieur, dit-il d’un ton étrange, saccadé, en me serrant la main. Nous devons être hospitalier pour vous, nous le devons certainement. L’hospitalité est une de ces vertus de l’ancien monde que nous avons conservées. Voyons, ces vers, quels sont-ils : Le bras de l’homme du Yorkshire est leste et fortMais oh ! comme il est chaud, le cœur de l’homme du Yorkshire !Voilà qui est clair, précis, Monsieur. C’est pris dans un de mes poèmes. Quel est ce poème, Copperthorne ? – La Poursuite de Borrodaile, dit une voix derrière lui, en même temps qu’un homme de haute taille, à la longue figure, venait se placer dans le cercle de lumière que projetait la lampe suspendue en haut du porche. John nous présenta, et je me souviens que le contact de sa main me parut visqueux et désagréable. Cette cérémonie accomplie, mon ami me conduisit à ma chambre, en me faisant traverser bien des passages et des corridors reliés entre eux à la façon de l’ancien temps par des marches inégales. Chemin faisant, je remarquai l’épaisseur des murs, l’étrangeté et la variété des pentes du toit, qui faisait supposer l’existence d’espaces mystérieux dans les combles. La chambre qui m’était destinée était, ainsi que me l’avait dit John, un charmant petit sanctuaire, où pétillait un bon feu, et où se trouvait une étagère bien garnie de livres. Et, en mettant mes pantoufles, je me dis que j’aurais eu tort sans doute de refuser cette invitation à venir dans le Yorkshire.

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