CHAPITRE QUATRE

1609 Words
CHAPITRE QUATRE Alistair reposait dans les bras d’Erec à la proue de l’énorme navire, qui se balançait doucement alors que l’immense océan roulait de chaque côté encore et encore. Elle leva les yeux, hypnotisée, vers les millions d’étoiles rouges parsemant le ciel nocturne, étincelantes au loin ; de chaudes brises marines soufflaient, la caressant, la berçant jusqu’au sommeil. Elle se sentait heureuse. Simplement en étant là, avec Erec, tout son univers paraissait être en paix ; ici, dans cette partie du monde, sur ce vaste océan, il semblait que tous les maux du monde avaient disparu. D’innombrables obstacles les avaient gardés tous deux séparés et maintenant, enfin, ses rêves devenaient réalité. Ils étaient ensemble, et il ne restait rien ni personne pour les séparer. Ils avaient déjà pris la mer, étaient déjà en route pour ses îles, sa terre natale, et quand ils arriveraient, elle l’épouserait. Il n’y avait rien qu’elle souhaite plus au monde. Erec la serrait fermement dans ses bras, et elle s’inclina plus près de lui tandis qu’ensemble ils se penchaient en arrière, leurs regards contemplant l’univers, la douce brume océane glissant sur eux. Ses yeux se firent lourds dans la calme nuit marine. En admirant le ciel ouvert, elle pensa à quel point le monde était vaste ; elle pensa à son frère, Thorgrin, là dehors quelque part, et elle se demanda où il était en ce moment. Elle savait qu’il était en route pour voir leur mère. La trouverait-il ? À quoi ressemblerait-elle ? Existait-elle même réellement ? Une part d’Alistair voulait le rejoindre dans son voyage, rencontrer leur mère, aussi ; et une autre partie d’elle se languissait déjà de l’Anneau, et voulait être de retour chez elle en terrain familier. Mais la majeure partie en elle était excitée ; elle était excitée de commencer une nouvelle vie, avec Erec, dans un nouvel endroit, une nouvelle partie du monde. Elle était excitée de rencontrer son peuple, de voir à quoi ressemblait sa terre natale. Qui vivait dans les Îles Méridionales ? se demanda-t-elle. De quoi son peuple avait-il l’air ? Est-ce que sa famille l’accepterait ? Seraient-ils heureux de l’avoir, ou se sentiraient-ils menacés par elle ? L’idée de leur mariage serait-elle la bienvenue ? Ou avaient-ils envisagé quelqu’un d’autre, une des leurs, pour Erec ? Pire que tout, ce qu’elle craignait le plus – que penseraient-ils d’elle une fois qu’ils auraient appris pour ses pouvoirs ? Une fois qu’ils auraient découvert qu’elle était une Druidesse ? La considéreraient-ils comme une curiosité de la nature, une étrangère, comme tous les autres ? « Raconte-moi encore comment est ton peuple », dit Alistair à Erec. Il la regarda, puis regarda à nouveau le ciel. « Qu’aimerais-tu savoir ? » « Parle-moi de ta famille », dit-elle. Erec réfléchit dans le silence pendant un long moment. Finalement, il parla : « Mon père, il est un grand homme. Il a été le roi de notre peuple depuis qu’il a eu mon âge. Sa mort imminente changera notre île pour toujours. « Et as-tu d’autres membres dans ta famille ? » Erec hésita un long moment, puis finalement acquiesça. « Oui. J’ai une sœur…et un frère. » Il hésita. « Ma sœur et moi étions très proches en grandissant. Mais je dois te prévenir, elle est très territoriale et trop aisément jalouse. Elle est méfiante envers les étrangers, et n’aime pas les nouvelles personnes dans notre famille. Et mon frère… » Erec devint inaudible. Alistair le poussa. « Qu’y a-t-il ? » « Tu ne rencontreras pas meilleur combattant. Mais il est mon frère cadet, et il s’est toujours placé en compétition vis-à-vis de moi. Je l’ai toujours vu comme un frère, et il m’a toujours considéré comme un concurrent, comme quelqu’un qui se tiendrait en travers de son chemin. Je ne sais pourquoi. C’est simplement ainsi. J’aurais aimé que nous ayons pu être plus proches. » Alistair le dévisagea, surprise. Elle ne pouvait pas comprendre comment quiconque pouvait considérait Erec avec autre chose que de l’amour. « Et est-il encore ainsi ? » demanda-t-elle. Erec haussa les épaules. « Je ne les ai pas vus depuis que j’étais enfant. C’est mon premier retour dans ma terre natale ; presque trente cycles du soleil ont passé. Je ne sais pas à quoi m’attendre. Je suis plus un fruit de l’Anneau maintenant. Et pourtant si mon père meurt…je suis l’aîné. Mon peuple comptera sur moi pour régner. » Alistair fit une pause, s’interrogeant, ne voulant pas s’immiscer. « Et le feras-tu ? » Erec haussa les épaules. « Ce n’est pas quelque chose que je cherche à obtenir. Mais si mon père le souhaite…je ne peux dire non. » Alistair l’étudia. « Tu l’aimes beaucoup. » Erec opina, et elle put voir ses yeux luire dans la lumière des étoiles. « Je prie seulement pour que le navire arrive à temps avant qu’il ne meure. » Alistair réfléchit à ses mots. « Et qu’en est-il de ta mère ? » demanda-t-elle. « M’apprécierait-elle ? » Erec esquissa un grand sourire. « Comme une fille », dit-il. « Car elle verra à quel point je t’aime. » Ils s’embrassèrent, et Alistair se pencha en arrière et contempla le ciel, s’étendant et prenant la main d’Erec. « Souviens-toi juste de cela, ma dame. Je t’aime. Toi plus que tout. C’est tout ce qui compte. Mon peuple nous donnera le plus grand mariage que les Îles Méridionales aient jamais vu ; ils nous combleront de fêtes. Et tu seras aimée et adoptée par tous. » Alistair examina les étoiles, tenant fermement la main d’Erec, et elle s’interrogea. Elle n’avait pas de doute quant à son amour pour elle, mais elle se posait la question quant à son peuple, un peuple que lui-même connaissait à peine. L’adopteraient-ils comme il pensait qu’ils le feraient ? Elle n’en était pas si sûre. Subitement, Alistair entendit des pas lourds. Elle jeta un œil pour voir un des membres d’équipage traverser vers le bord du bastingage, soulever un gros poisson mort au-dessus de sa tête, et le jeter par-dessus bord. Il y eut un petit clapotement en contrebas, et peu de temps après un plus grand bruit, quand un poisson bondit et le mangea. Puis suivit un horrible son dans les eaux en dessous, comme un gémissement ou un sanglot, suivi d’un autre bruit d’éclaboussure. Alistair leva les yeux vers le marin, un personnage douteux, mal rasé, habillé de haillons, avec des dents manquantes, tandis qu’il se penchait par-dessus bord, arborant un rictus comme un idiot. Il pivota et la regarda directement, son visage mauvais, caricatural dans la lumière des étoiles. Alistair eut un terrible sentiment pendant qu’il le faisait. « Qu’avez-vous jeté par-dessus bord ? » demanda Erec. « Les entrailles d’un poisson, un simka », répliqua-t-il. « Mais pourquoi ? » « C’est du poison », répondit-il, souriant. « N’importe quel poisson qui le mange meurt sur place. » Alistair le dévisagea, horrifiée. « Mais pourquoi voudriez-vous tuer le poisson ? » L’homme sourit plus largement. « J’aime les regarder mourir. J’aime les entendre crier, et j’aime les voir flotter, ventre en l’air. C’est amusant. » L’homme pivota et retourna lentement vers le reste de son équipage, et tandis qu’Alistair le regardait partir, elle eut la chair de poule. « Qu’y a-t-il ? » lui demanda Erec. Alistair détourna le regard et secoua la tête, essayant de faire disparaître son impression. Mais cela ne marchait pas ; c’était un terrible pressentiment, elle n’était pas sûre de quoi. « Rien, mon seigneur », dit-elle. Elle se réinstalla dans ses bras, essayant de se convaincre que tout allait bien. Mais elle savait, au plus profond d’elle, que c’était bien loin d’être le cas. * Erec se réveilla dans la nuit, sentant le navire bouger doucement de haut en bas, et il sut immédiatement que quelque chose n’allait pas. C’était le guerrier en lui, la part en lui qui l’avait toujours avertit un instant avant que quelque chose de mauvais n’arrive. Il avait toujours eu ce sens, depuis qu’il était enfant. Il s’assit rapidement, alerte, et regarda tout autour de lui. Il se tourna et vit Alistair profondément endormie à côté de lui. Il faisait encore noir, le bateau tanguait encore sur les vagues, pourtant quelque chose n’allait pas. Il regarda tout autour, mais ne vit aucun signe de quelque chose clochant. Quel danger pourrait-il y avoir, se demanda-t-il, ici au milieu de nulle part ? Était-ce un simple rêve ? Erec, faisant confiance en son instinct, tendit la main pour attraper son épée. Mais avant que sa main ait pu se saisir de la garde, il sentit brusquement un lourd filet recouvrir son corps, se rabattant tout autour de lui. Il était fait de la corde la plus lourde qu’il ait jamais sentie, presque assez lourde pour écraser un homme, et cela atterrit sur lui tout d’un coup, serré tout autour de lui. Avant qu’il ait pu réagir, il se sentit être soulevé haut dans les airs, le filet l’attrapant comme un animal, ses cordes si serrées autour de lui qu’il ne pouvait même pas bouger, ses épaules et bras et poignets et pieds tous contraints, écrasés ensemble. Il fut hissé de plus en plus haut, jusqu’à ce qu’il se trouve lui-même à six mètres au-dessus du pont, pendant, comme un animal pris au piège. Le cœur d’Erec cogna dans sa poitrine alors qu’il tentait de comprendre ce qui se passait. Il regarda en bas et vit Alistair en dessous de lui, en train de se réveiller. « Alistair », cria Erec. En bas, elle le chercha du regard partout, et quand enfin elle leva les yeux et le vit, son visage s’assombrit. « EREC ! » hurla-t-elle, confuse. Erec regarda alors que plusieurs douzaines de membres d’équipage, portant des torches, s’approchaient d’elle. Ils arboraient tous des sourires grossiers, le mal dans leurs yeux, tandis qu’ils la cernaient. « Il était temps qu’il la partage », dit l’un d’entre eux. « Je vais apprendre à cette princesse ce que signifie vivre avec un marin ! » dit un autre. Le groupe éclata de rire. « Après moi », dit encore un autre. « Pas avant que je n’aie eu mon content », dit un autre. Erec lutta pour se libérer de toutes ses forces pendant qu’ils continuaient à se rapprocher d’elle. Mais c’était en vain. Ses épaules et bras étaient comprimés si fermement qu’il ne pouvait même pas les remuer. « ALISTAIR ! » cria-t-il, désespéré. Il était impuissant, ne pouvant rien faire d’autre que regarder pendant qu’il se balançait au-dessus. Trois marins se jetèrent brusquement sur Alistair par-derrière ; Alistair hurla tandis qu’ils la mettaient sur pied, déchiraient sa chemise, tirant brutalement ses bras derrière son dos. Ils la maintinrent fermement cependant que plus de marins approchaient. Erec fouilla le navire du regard à la recherche d’un signe du capitaine ; il le vit sur le pont supérieur, regardant en bas, observant tout. « Capitaine ! » tonna Erec. « C’est votre navire ! Faites quelque chose ! » Le capitaine le dévisagea, puis lentement tourna le dos à la scène, comme s’il ne voulait pas la regarder. Erec observa, désespéré, alors qu’un marin sortait un couteau et le tenait contre la gorge d’Alistair, et Alistair hurla. « Non ! » cria Erec. C’était comme regarder un cauchemar se dérouler sous lui – et pire que tout, il n’y avait rien qu’il puisse faire.
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