Depuis que le Prime Nial, le dirigeant de Prillon Prime et commandant de la Flotte de la Coalition, avait levé l’interdiction pour les contaminés de regagner leurs planètes d’origine, quelques guerriers avaient décidé de quitter la Colonie pour tenter de retrouver leurs anciennes vies. Les Prillons et les Vikens, les Trions et les Everiens, tous pouvaient rentrer chez eux. Mais les humains n’étaient pas les bienvenus sur Terre s’ils avaient des implants de la Ruche. Cette planète croyait à peine en l’existence de la Ruche. Leurs gouvernements voulaient des preuves de l’existence de cette race alienne impitoyable. Je n’avais jamais vu de dirigeants aussi effrayés à l’idée de révéler la vérité.
Les Atlans non plus ne pouvaient pas rentrer chez eux, car les fièvres d’accouplement et leur mode bestial les rendaient trop imprévisibles. En temps normal, les Atlans étaient extrêmement durs à tuer. Mais quand ils étaient remplis de technologie de la Ruche, ils devenaient de véritables machines à tuer. Le risque serait trop grand pour leurs compatriotes, s’ils devenaient incontrôlables suite à une fièvre d’accouplement.
Et moi ? Je savais que sur Rebelle 5, ma légion m’accueillerait à bras ouverts, mais notre leader, Kronos, m’utiliserait. C’était un homme pragmatique, et un descendant forsien amélioré par les implants de la Ruche serait l’arme la plus terrifiante de son arsenal. Il n’hésiterait pas à s’en servir. À se servir de moi. Et c’est pour cette raison que j’avais passé ma vie à voyager dans l’espace à bord de mon vaisseau de commerce au lieu de m’installer sur une planète en particulier. Jusqu’à présent.
Je ne tuais pas sur commande.
Je ne me battais pas et ne volais pas sur commande.
Je ne baisais pas sur commande, non plus.
Je n’avais de loyauté que pour Kronos, et pour cela, j’avais payé un prix exorbitant.
Et je continuais de le payer ici. Je fonçais à travers les galaxies à bord de mon vaisseau, en évitant les forces de la Coalition et de la Ruche, en obtenant ce que Kronos voulait. Jusqu’à présent.
Quelqu’un m’avait dénoncé à la Coalition, leur avait fait part de la cargaison pleine d’armes et de technologie que je transportais. Parmi mes marchandises se trouvaient des armes dernier cri de la Coalition, ainsi que des fusils illégaux fabriqués sur une planète n’appartenant pas à la Coalition.
Apparemment, c’étaient les fusils qui m’avaient valu de terminer dans les geôles de la Coalition. Et de me retrouver aux mains de la Ruche. Et à présent, d’être prisonnier sur la Colonie, abandonné pour crever et travailler dans les mines pendant des décennies jusqu’à ma mort. Le gouverneur, un dur à cuire du nom de Maxime, ne m’autorisait même pas à quitter la planète pour effectuer la moindre mission à l’extérieur. Il craignait que je m’enfuie.
Il avait raison d’avoir peur. Mais il ne pourrait rien faire pour m’en empêcher. J’attendais simplement que les circonstances idéales se présentent. Mon plan était en place depuis des semaines.
En dépit des souhaits du gouverneur Rone, j’avais refusé de prendre une compagne, et de me faire tester pour le Programme des Épouses. La vérité m’appartenait, c’était ma malédiction à moi. Je comprenais son agacement, mais je ne pouvais pas m’accoupler comme il le souhaitait. Tout ce que je voulais, c’était retourner dans l’espace et rester tranquillement dans mon coin. Être libre, sans attaches envers un lieu ou une personne.
Prendre une compagne et l’abandonner ici ? Impossible. Cette simple idée me fit grogner à nouveau, un son masqué par les rugissements des spectateurs alors que le premier combat faisait rage et qu’un Prillon portait un coup puissant à son adversaire. Non, j’étais un contrebandier, un solitaire, un rebelle qui refusait d’obéir aux ordres, mais je ne manquais pas d’honneur. Même si revendiquer une compagne ne la tuait pas, je refusais de briser le cœur d’une femme ainsi.
Avoir une femme était non seulement un énorme risque, c’était un handicap que je ne pouvais pas me permettre d’avoir.
Le gouverneur et les autres dirigeants de la Coalition avaient décidé que j’étais trop instable. Trop dangereux. Rebelle 5. Hypérion. Forsien. Cyborg. J’étais le roi des monstres. Et le gouverneur pensait que seule une compagne pourrait m’apaiser, m’ancrer à cette planète et à sa guerre contre la Ruche. Assurer ma loyauté envers les causes de la Coalition.
Mais je n’étais pas né dans la Coalition. Je venais de Rebelle 5. Et j’étais véritablement prisonnier sur cette planète. Ce qui faisait que j’avais du mal à me sentir reconnaissant. Certains jours, j’aurais préféré être mort, et le besoin que j’avais de m’échapper me donnait l’impression de sortir de mon corps.
La foule poussa une exclamation, et je tournai de nouveau mon attention sur l’arène. Le grand guerrier prillon était traîné hors de l’arène, inconscient, pendant qu’un autre se tenait debout, les bras en l’air, victorieux et en sueur. Le gagnant se mit sur le côté alors que deux nouveaux combattants se plaçaient au centre de l’arène. L’un d’entre eux était un Atlan que je connaissais bien. L’autre, un guerrier prillon qui allait se faire massacrer.
— Défonce-le, Tane !
Le hurlement d’encouragement de Braun était facilement audible malgré la clameur de la foule, et notre ami Tane leva brièvement la tête.
— Tu l’acclames alors que tu penses que son combat est futile ? demandai-je.
Braun souriait, penché en avant, le regard braqué sur le combat alors que Tane soulevait le Prillon par-dessus sa tête et le jetait à l’autre bout de l’arène. Le Prillon roula et se remit debout avec un cri de défi, un son qui résonna sur les gradins alors que le guerrier prillon fonçait sur l’Atlan avec une vitesse améliorée par les implants cyborgs. Il le frappa au cou, mais l’Atlan broncha à peine.
— Tane gagnera ce combat et Gwen refusera sa revendication. Quand ce sera fait, il ne pourra rien dire quand j’essaierai de lui faire la cour à mon tour.
J’étouffai un rire et le regardai avec de grands yeux.
— Lui faire la cour ? Ce n’est pas vraiment un vocabulaire de guerrier. Tu parles comme une vieille dame.
La commissure de ses lèvres se souleva.
— C’est le vocabulaire d’un guerrier pour qui cette femme ouvrira bientôt les cuisses alors qu’elle me chevauchera pendant des heures pour me vider de ma semence.
Par les dieux, je n’avais vraiment pas besoin de tous ces détails. Je n’avais pas de réponse à ça. J’aurais dû prendre sur moi et encourager Tane, mais la tension dans mes épaules et ma poitrine me monta à la gorge jusqu’à ce que je sois incapable de parler ou de bouger. Je ne pouvais que regarder la scène et détester tous les hommes présents qui seraient en mesure de la revendiquer. Détester Braun et sa stratégie pour lui faire la cour.
Je n’aurais pas dû venir dans les arènes. Une partie de moi savait qu’assister à ce spectacle était une mauvaise idée. Aucun guerrier ne pourrait être digne d’elle. Pas sur ce pathétique monde-prison. Mais je ne pouvais pas non plus supporter l’idée de ne pas savoir avec qui elle finirait, qui aurait la chance de la protéger. Gwen était une addiction dont je n’avais pas réussi à me débarrasser depuis son arrivée quelques semaines plus tôt. Mon intérêt pour elle était totalement indésirable et impossible. Mon sexe avait pris les rênes de mon cerveau. Je m’en étais occupé de nombreuses fois sous la douche pour qu’il se rende, mais j’avais beau jouir encore et encore, mon désir pour elle persistait.
Penché en arrière, je croisai les bras et tentai d’avoir l’air aussi indifférent que possible alors que je regardais le poing de Tane entrer en contact avec la mâchoire du guerrier prillon, l’envoyant dans la foule du premier gradin. Les guerriers qui étaient assis là le relevèrent en criant et le poussèrent vers le centre de l’arène, où Tane lui donna un autre coup puissant. Pour l’instant, il était meilleur que le Prillon, sans avoir eu besoin de sa bête. Le jeune Prillon menait une bataille perdue d’avance et il le savait. Son pas était moins fier, et ses épaules se voûtèrent quand un autre guerrier, Tyran, se glissa entre les deux combattants.
Tyran était un guerrier prillon et avait une humaine pour compagne. Kristin. Il la partageait avec son second, un autre guerrier nommé Hunt. Elle était très belle, c’était une guerrière, elle aussi, comme Gwen. J’ignorais comment ils faisaient pour laisser leur femme partir en mission contre la Ruche, mais Kristin le faisait tous les jours avec le groupe de guerriers menés par le Chasseur everien nommé Kiel.
Contrairement au jeune Prillon qui se battait contre Tane, Tyran était censé être le cyborg le plus puissant de la planète, avec ses implants qui ne se contentaient pas de remplacer certaines parties de son corps, mais qui étaient profondément incrustés dans ses muscles et dans ses os. C’était une légende dans les arènes, mais il avait cessé de se battre après s’être accouplé. Visiblement, il avait désormais des façons bien plus agréables de se défouler.
Je lui enviais cela.
Tyran se plaça au centre de l’arène et déclara que le gagnant était Tane. Braun se rassit, plus détendu à présent que Tyran était là. Ce guerrier ne laisserait pas les combats dégénérer, et il était assez fort pour maîtriser Tane, même si l’Atlan passait en mode bestial.
— Je t’avais dit que Tane gagnerait, me dit Braun.
— Ce n’est pas encore terminé, lui rappelai-je.
— Si. Il ne s’est même pas servi de sa bête.
Mais il le ferait. Nous savions tous les deux qu’il le ferait.
— C’était stupide de défier un Atlan, dis-je en parlant du jeune Prillon.
— Oui. Il n’y a que Tyran, ou peut-être le Chasseur, qui soit capable de battre l’un d’entre nous.
L’un d’entre nous. Il me comptait dans les rangs atlans, comme toujours, mais je n’étais pas l’un des leurs. Je ne pourrais jamais l’être.
Les deux combats suivants se passèrent comme prévu, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que quatre combattants. Tane, deux guerriers prillons, et un Trion dont la peau luisait d’un reflet argenté à la lumière de l’après-midi. Je ne l’avais jamais rencontré, mais la rumeur disait qu’il était plus machine qu’homme, et que ses instincts de combattant étaient remarquables.
Tyran leva la main et attendit que le public se taise.
— Voici les quatre combattants toujours dans la course. Le hasard décidera de leur sort, dit-il en sortant un jeu de cartes, faces vers le bas. Ceux qui ont les meilleures cartes se battront en premier.
La foule poussa des exclamations alors que chaque guerrier tirait une carte et la brandissait. Les deux guerriers prillons s’affronteraient d’abord. Puis Tane se battrait contre le Trion. Ensuite, il n’en resterait plus que deux, et le dernier debout remporterait le combat.
Les quatre guerriers avaient tout l’air satisfaits. Confiants. Comme si Gwen leur appartenait déjà. J’avais envie de bondir dans l’arène et de leur mettre la pâtée, mais je n’osais pas bouger, pas même pour froncer les sourcils. Glacial. Je devais me montrer Glacial, comme Glace.
Un cri de rage féminin fendit l’air, et la foule en délire se tut.
La porte qui menait aux arènes s’ouvrit à la volée et heurta le mur dans un grand bruit alors que Gwen arrivait, vêtue d’une armure complète. Ses cheveux lui flottaient dans le dos comme des flammes noires, et la colère parcourait ses épaules, formant de petites vagues presque imperceptibles. Les yeux plissés, les muscles tendus, elle ressemblait à une déesse guerrière, trop belle pour être vraie. J’en eus le souffle coupé, et la voir me donna instantanément une érection.
Deux autres humaines, toutes deux accouplées à des guerriers de la Colonie, se tenaient derrière elle en file indienne, mais elles étaient fades comparées à l’ardeur de Gwen, et je ne leur prêtais aucune attention.
— Qu’est-ce que vous croyez faire, là ? hurla Gwen en direction de Tane, les poings serrés.
L’Atlan gigantesque sursauta, comme un petit garçon qui se ferait gronder par sa mère.
Tane semblait perplexe, puis il s’inclina devant elle.
— Ma Dame... Je...
— Ne vous avisez pas de m’appeler Ma Dame ! s’écria-t-elle en se plantant devant lui sans la moindre crainte.
À côté de moi, Braun avait du mal à contenir son rire, et ses épaules s’agitaient en silence alors qu’il regardait la scène. J’avais envie de lui donner un coup de poing, à lui aussi... parce qu’il avait eu raison, parce qu’il connaissait mieux Gwen que moi.
Couverts de sueur et de sang, les quatre guerriers se tournèrent vers elle comme un seul homme, pour plaider leur cause. Je ne parvenais pas à entendre ce qu’ils disaient, mais Gwen n’était pas contente. Elle se mit les mains sur les hanches, pencha la tête sur le côté en les écoutant et en réfléchissant. Mais ses yeux luisaient d’une fureur féminine. Bon sang, qu’est-ce qu’elle était belle !
Le sourire suffisant de Braun me fit serrer les poings alors qu’il se penchait en arrière et se mettait les mains derrière la tête pour s’étirer. Il était détendu. Amusé.
Je regardai de nouveau Gwen, craignant qu’en gardant les yeux rivés sur Braun, je finisse par frapper mon ami pour le débarrasser de son regard possessif et satisfait. Les hommes de l’arène n’avaient plus aucune chance avec elle, désormais. Braun n’avait qu’à attendre qu’elle les ait tous pulvérisés pour tenter le coup à son tour.
Le regard de Gwen balaya les gradins, et Braun retint son souffle alors que les yeux de la jeune femme se posaient rapidement sur lui, puis sur moi.
J’eus le souffle coupé. Son regard était comme un coup physique. Elle plissa les yeux, et ses joues rosirent davantage.
Oui, je voulais être celui qui la ferait rougir. Je me demandais jusqu’où s’étendait cette rougeur sous son armure, si ses tétons étaient de cette même teinte profonde.
Le moment ne dura qu’une seconde. Ce regard vague, puis insistant. Intense.
Gwen détourna les yeux et retroussa les manches de sa chemise d’uniforme, bien que j’ignore complètement pourquoi. Sa voix, quand elle prit la parole, n’était pas particulièrement forte, mais elle était glaciale. Dure.
— Vous voulez vous battre ? Très bien. C’est parti.
Dans un mouvement presque trop rapide pour être suivi des yeux, Gwen souleva le guerrier prillon le plus proche et le jeta encore plus loin que Tane l’avait fait plus tôt avec son adversaire. Le Prillon ne résista pas et se remit debout après sa chute, puis garda ses distances. Quand les trois autres guerriers reculèrent en gardant les mains devant eux, refusant manifestement de la toucher, elle s’avança et poussa le Trion. Elle attaquait en silence, chaque coup sur la chair masculine retentissant dans le silence pesant. Les spectateurs ne savaient pas quoi faire. Applaudir ? Grimacer ?
Le silence semblait la mettre en colère, car elle criait tout autant sur la foule que sur les quatre imbéciles qui se trouvaient encore dans l’arène.
— Allez. Allez tous vous faire foutre. Vous vouliez vous battre. Battons-nous.
— Gwen, tu es sûre que c’est une bonne idée ? Je pense que tu devrais attendre l’arrivée de Maxime, dit Rachel, la compagne du gouverneur.
Elle se tenait près de la porte ouverte et tentait de se faire entendre de son amie qui était furieuse, mais sans succès.
— Sortez de là, Mesdames, dit Gwen en regardant les deux autres humaines par-dessus son épaule et en agitant gracieusement la main. Ça n’a rien à voir avec vous. Il faut que ces idiots sachent à qui ils ont affaire. Pour qui ils se battent, comme des chiens pour un morceau de viande.
Kristin, la compagne de Tyran, éclata de rire et attrapa son homme par la main pour l’éloigner et l’empêcher de se mêler de ce qui se passait. Surpris, je regardai l’homme le plus fort de la planète laisser la petite humaine — sa compagne humaine— l’éloigner de la bataille. Braun avait raison. Kristin se croyait indépendante, croyait contrôler son compagnon. Il lui permettait de l’éloigner.
Kristin jeta un regard par-dessus son épaule, un grand sourire aux lèvres.
— Vas-y, montre-leur, copine.
Gwen lui sourit alors, un sourire froid. Sombre et menaçant.
— Oh, j’y compte bien. Je vais leur botter le cul.
J’avais le sentiment que ces guerriers avaient du souci à se faire.