Chapitre 1-1

2136 Words
1 Makarios Kronos de Rebelle 5, La Colonie, Arènes Les guerriers en colère se faisaient face dans l’arène. Assis à côté de moi dans les gradins, le seigneur de guerre Braun sortit cent crédits de sa poche et jeta l’argent à un grand Prillon assis trois rangs plus bas. — Hé, Glace. Cent sur l’Atlan, Tane. Les autres l’appelaient Glace à cause de l’impassibilité totale de son visage. Pas la moindre émotion ne s’y lisait. Je pouvais le comprendre. Il était plus machine qu’homme, mais je ne pouvais pas le juger. J’étais un monstre, même comparé à lui. Glace hocha la tête et entra les données sur la tablette qu’il avait dans la main. Les paris avaient commencé il y a des heures, à l’instant où le Prillon rugissant dans l’arène avait lancé son défi. Sept guerriers avaient répondu à son appel. Le tournoi devait commencer sous peu. Huit cyborgs se battraient jusqu’à ce qu’un seul reste debout. Ils passeraient de huit à quatre. Puis de quatre à deux. Et les deux derniers se battraient pour gagner la récompense ultime. Il s’agirait d’une bataille à mort si nécessaire, et le gagnant aurait le droit de revendiquer Gwendoline de la Terre. C’était une beauté. Une femme guerrière. Son corps était musclé et puissant, mais plein de courbes. Mes doigts se contractaient tant j’avais envie de la toucher dès qu’elle passait près de moi. Son regard était déterminé, plein de défi, un défi que de nombreux guerriers étaient venus relever. Comme Glace et moi, elle montrait rarement ses émotions. Non, ce n’était pas vrai. Elle montrait bel et bien des émotions : la colère, la fureur, le dédain. Une femme comme elle aurait dû sourire, ses yeux auraient dû déborder de bonheur. J’aurais sacrifié ma couille gauche pour l’entendre rire. J’aurais bien aimé l’entendre crier de plaisir, aussi. Elle n’en avait sans doute connu aucun — sexuel ou autre— depuis son arrivée ici, comme la plupart d’entre nous. Avant son enlèvement par la Ruche, elle était soldat. Avant d’être intégrée. Modifiée. Ses cheveux bruns lui tombaient dans le dos. Ils scintillaient à la lumière, et ils avaient l’air doux. Je m’imaginai passer le poing dedans et la maintenir en place tandis que je la... Merde. Non. J’interrompis cette pensée avant que mon ne sexe puisse réagir. Ça ne donnerait rien de bon. Ni pour elle, ni pour moi, même si j’avais envie d’être celui qui lui donnerait... des émotions. Des émotions différentes de celles qui vous retournaient l’estomac, vous consumaient de l’intérieur jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien. Braun me donna une tape sur l’épaule, m’arrachant à mes pensées. — Pourquoi tu n’es pas dans l’arène, mon ami ? — Vas-y, je te suis, contrai-je rapidement en levant la main comme pour lui indiquer le chemin de l’arène. Les Atlans m’avaient adopté, mais même eux ne connaissaient pas mon secret, la vérité derrière mon refus de descendre dans l’arène pour tabasser ces huit autres hommes. Pour revendiquer ce que je voulais au point d’en avoir le cœur serré depuis que j’avais posé les yeux sur elle pour la première fois. Gwen. Mais la vérité n’était pas facile à comprendre. C’était la raison pour laquelle je n’oserais jamais prendre une compagne à moi. Et bien sûr, mon monde ancestral de Forsia et la planète de Braun, Atlan, étaient considérés comme des cousines éloignées, car elles orbitaient dans la même zone de l’espace, mais je n’étais pas vraiment —ou complètement —Forsien. Non, j’étais né sur Rebelle 5, ce qui faisait de moi un mélange entre un animal hypérion et un guerrier forsien. J’avais beau avoir la même taille que celle de Braun et des autres Atlans, les similarités s’arrêtaient là. Ma lignée hypérionne/forsienne était si rare qu’officiellement, mon espèce n’existait pas. À ma connaissance, nous n’étions que trois. Tous des hommes. Tous sans compagne. Tous destinés à mourir seuls. À ne pas engendrer. Ce qui était une bénédiction. Je ne voudrais même pas infliger mon existence à un ennemi, encore moins à un fils. Le dernier monstre hybride de Rebelle 5 qui avait tenté de s’accoupler avait accidentellement tué sa compagne pendant la revendication officielle. Le venin unique de notre morsure était entré dans les veines de la femme, et elle était morte dans ses bras, incapable de s’éloigner, car le sexe de son compagnon avait grandi en elle, les rendant inséparables. Le corps et le sang de cette femme, infectés par le poison rare de nos origines multiples, n’avaient pas pu s’adapter. Elle était morte, et il s’était laissé dépérir, rongé par la culpabilité et la haine envers lui-même. Le désespoir. Il savait qu’il risquait de la tuer, mais l’envie irrésistible de la mordre, de la revendiquer... de s’accoupler à elle avait été trop forte. Il avait pris le risque, et avait tout perdu. Non. Je ne revendiquerais jamais de compagne. Je ne m’intégrerais jamais. Je ne trouverais jamais ma place. Pas sur Rebelle 5 avec ma légion, les Kronos. Pas sur Forsia, où l’on ne voulait pas de moi. Pas ici, sur la Colonie, parmi mes cousins atlans exilés. J’étais plus heureux seul, sur mon vaisseau de commerce, à voguer entre les étoiles comme je l’avais fait pendant la plus grande partie de ma vie. Jusqu’à ce qu’un traître me fasse capturer par la Flotte de la Coalition. Un grondement monta dans ma poitrine avec ma colère habituelle, et quelques têtes se tournèrent vers moi. Je leur jetai un bref regard noir, et ils se détournèrent pour regarder l’arène à nouveau. Sale traître. Quand je le trouverais... Comme si me faire attraper par la Flotte de la Coalition ne suffisait pas, leurs boucliers de déviation étaient merdiques, et le vaisseau tout entier s’était fait capturer par la Ruche pendant que je pourrissais en prison. Mais la Ruche se fichait de savoir qui se trouvait à bord, qu’il s’agisse de guerriers de la Coalition ou de contrebandiers de Rebelle 5 comme moi. Nous étions tous des atouts biologiques qu’ils pouvaient torturer et transformer, assimiler pour leur guerre. Transformer en robots sans cervelle. Avec moi et quelques autres, ils avaient failli réussir, mais nous avions eu la chance de nous échapper. La chance de passer le reste de nos jours ici, sur la Colonie, changés à jamais. Partiellement intégrés et condamnés à l’exil. Coincés. Coincés sur la Colonie avec la seule femme que je désirais, sans pouvoir l’avoir. Le rire sonore de Braun me tira de la noirceur de mes pensées. Son corps massif était secoué par l’hilarité. — Quels idiots. Ils se battent pour une femme humaine, mais ils ignorent complètement comment gagner son cœur. — Et toi, tu sais ? demandai-je. Braun, Tane et moi étions les seuls survivants de ce vaisseau de la Coalition. Trois sur deux cents. En vie, mais contaminés. Notre torture et notre fuite nous avaient liés comme des frères, malgré le fait que nous venions de mondes différents. Tous les habitants de la Colonie pensaient que j’étais un grand Atlan avec une maîtrise impressionnante et que c’était pour ça que je ne me changeais jamais en bête. Je n’étais pas Atlan. Je ne perdais pas le contrôle et ne me transformais pas en bête. Non, mes pertes de contrôles étaient plus intimes, mais tout aussi dangereuses pour la femme qui aurait le malheur de me chevaucher. Braun et Tane n’avaient pas jugé utile de révéler mes véritables origines aux autres guerriers. Seul le gouverneur savait que je n’étais pas Atlan du tout, ce qui m’allait très bien. Moins les gens le savaient, plus ils croiraient que j’étais capable de me transformer en tueur sanguinaire d’un moment à l’autre, et c’était tant mieux. Braun souriait, à présent, l’air presque nostalgique. — J’ai vu le gouverneur et Ryston avec leur compagne, Rachel. J’ai vu Hunt et Tyran avec Kristin. Le Chasseur everien avec son humaine, Lindsey. Caroline avec Rezz. Je les ai tous vus avec leurs compagnes humaines, et j’apprends. Braun agita la main en direction des huit guerriers qui se faisaient face dans l’arène et parlaient entre eux pour déterminer dans quel ordre ils allaient se battre. Des règles. C’était ridicule, vu qu’ils allaient s’entre-tuer pour une femme qui n’avait montré aucun intérêt pour les hommes de la planète. — Gwendoline ne voudra d’aucun d’entre eux, poursuivit Braun. Même pas de notre frère Tane. Sa victoire sera vide de sens. — Tane ne gagnera pas, dis-je en parlant de la bataille, pas des faveurs de Gwen. Ils vont essayer de le désavantager avec leurs règles, lui interdire de se battre en mode bestial. Mais avec une femme comme récompense, les règles seraient oubliées dès que la bataille commencerait. Apparemment, Braun pensait la même chose, car il dit : — Les bêtes ne suivent pas les règles des autres. Il gagnera. Je me penchai en arrière et évaluai les guerriers du regard. Aucun d’entre eux n’était assez bien pour Gwen. Pas même Tane. J’espérais que Braun avait raison, qu’elle leur dirait non à tous, quel que soit le vainqueur, et qu’elle le ferait avant qu’il y ait des morts. Elle n’avait pas besoin d’être hantée par une bataille à mort en plus des implants que la Ruche avait laissés dans son corps. — Alors, mon ami, si tu observes vraiment les femmes humaines, qu’est-ce que tu as appris ? demandai-je par curiosité, et rien de plus. Braun m’adressa un petit grognement, de frustration ou d’agacement, je l’ignorais. — Les femmes humaines aiment se croire indépendantes. Leur compagnon doit les protéger sans qu’elles s’en rendent compte. — Pourquoi ? demandai-je, perplexe. C’est le rôle d’un compagnon et son droit de protéger sa compagne. Il leva une main. — Pour revendiquer une humaine, un guerrier doit faire très attention, tout préparer à l’avance. Ce sont des compagnes féroces et intrépides. Elles sont capables de se battre contre la Ruche si elles ressentent le besoin de protéger leur compagnon ou leurs enfants. Elles sont trop courageuses pour leurs petits corps fragiles. Trop féroces pour leur bien. Leurs corps sont frêles, mais leur volonté est forte. Elles sont prêtes à risquer tant de choses, et pourtant, elles aiment pleinement. Elles sont mystérieuses au possible. Sauvages. Passionnées. Elles ont besoin d’hommes forts et patients pour les dompter. Oui, c’était le mot. Dompter. Gwen avait besoin que quelqu’un la dompte. L’apaise. La b***e jusqu’à ce qu’elle oublie tous ses soucis. — Et tu comptes dompter Gwendoline ? demandai-je. Je craignais sa réponse, mais je savais la vérité. Tous les mâles de la Colonie la désiraient. La voulaient. Braun hocha la tête alors que son regard se posait sur le premier combat dans l’arène. — Qui ne le voudrait pas ? demanda-t-il avec un sourire avide. Elle est magnifique. Je la baiserai jusqu’à ce qu’elle crie mon nom tant de fois qu’elle en oubliera tous les autres mots. Apparemment, nos esprits étaient sur la même longueur d’onde pour beaucoup de choses. Je savais qu’il n’était sûrement pas le seul homme qui s’imaginait coucher avec elle. La revendiquer. L’emplir de sa semence pour la marquer. La faire sienne. Si moi je faisais tout cela, elle en mourrait sans doute. Avec les autres hommes de la Colonie, elle n’éprouverait que du plaisir. Merde. Je ne pouvais pas refuser ce bonheur à mon ami. — C’est une cyborg, dis-je. Une guerrière. Elle ne sera pas comme les autres compagnes humaines, les femmes envoyées par le Centre des Épouses Interstellaires. Elle, elle vient d’une prison de la Ruche. Elle sera différente. Si je déclamais ce genre d’évidences, ce n’était pas parce que je la jugeais moins parfaite, mais parce que je n’osais pas admettre à voix haute qu’elle m’intéressait. Braun haussa un sourcil dégoûté et me regarda. — Tu es en train de l’insulter ? Sa voix était pleine du grondement de sa bête, et les os de son visage se déplaçaient alors qu’il luttait pour ne pas passer en mode bestial. Je secouai la tête. — Non. — Bien. Ne le fais pas. Il se calma instantanément. Braun n’avait pas dit elle est à moi, mais il avait tout de même marqué son territoire. Le monstre en moi se leva en réponse à cela, mais je maintins le contrôle d’une poigne de fer et ne laissai rien paraître. Je n’avais aucun droit sur cette femme. Je n’en aurais jamais. Rien ne pourrait changer cela. Mieux valait qu’elle soit conquise par un homme bien, comme Braun, que par un mâle non méritant. Je ferais de mon mieux pour ne pas détester mon ami quand il la toucherait. Braun avait vécu l’enfer. Il avait été torturé, avait survécu. Il méritait d’être heureux. Sur la Colonie, à défaut de pouvoir rejoindre Atlan. Sur la planète des parias et des contaminés. Des guerriers tombés au combat pendant les guerres de la Ruche, et oubliés.
Free reading for new users
Scan code to download app
Facebookexpand_more
  • author-avatar
    Writer
  • chap_listContents
  • likeADD