Chapitre 1 : Le village oublié
Lyana
Le village de Valebrook était niché au cœur d'une forêt ancienne, oubliée par le temps. Les arbres qui m'entouraient semblaient aussi vieux que le monde lui-même, leurs troncs massifs tordus par des siècles d'histoire, leurs racines plongeant dans la terre humide comme pour en retirer des secrets longtemps enfouis. La brume s’élevait lentement chaque matin, enveloppant les habitations en pierre et les petites fermes dans un voile mystique. Le vent soufflait entre les branches, apportant avec lui des murmures incompréhensibles, des sons qui semblaient venir des profondeurs de la forêt.
Je me sentais étrangère dans ce décor. Bien que je sois née à Valebrook, j'avais toujours eu la sensation d’être un peu à l’écart de tout. La plupart des jeunes filles de mon âge s’étaient trouvées un compagnon ou s’étaient mariées, vivant des vies simples et tranquilles. Mais pas moi. Je ressentais un besoin inexplicable d’aller au-delà des limites du village, un désir de découvrir des mystères plus grands, des questions qui ne recevaient jamais de réponse.
J'avais passé la majeure partie de mes journées dans la maison de ma grand-mère, une vieille sorcière qui vivait à l’orée de la forêt. La plupart des villageois la regardaient de loin, certains chuchotant à son sujet, d’autres murmurant des histoires effrayantes sur ses rituels et ses pouvoirs. Mais je n'avais jamais eu peur d'elle. Bien au contraire, j'étais fascinée. Je la regardais préparer des potions, tracer des symboles dans la poussière et réciter des incantations que personne ne comprenait. La magie de ma grand-mère était à la fois mystérieuse et belle, et je me sentais irrésistiblement attirée par elle.
Ce matin-là, comme tous les autres, je me levai avant l’aube. Le ciel était d’un bleu pâle, et une légère brume recouvrait les champs, rendant le paysage irréel. J’enfilai une robe simple, de la couleur de la terre, et me dirigeai vers la maison de ma grand-mère, mes pas crissant sur la neige fraîche. La forêt, d’un vert profond, s'étendait devant moi comme un territoire sacré. Mes yeux s’attardèrent sur les arbres majestueux, me demandant une fois de plus ce qu’ils cachaient sous leurs écorces rugueuses.
En arrivant à la maison, je poussai doucement la porte en bois, qui s’ouvrit dans un grincement familier. À l’intérieur, l’air était chaud et lourd, empli de l’odeur de l’encens qui brûlait dans une petite coupe en argent. Ma grand-mère, vieille mais pleine de vie, était assise près du feu, ses mains ridées manipulant un objet que je ne pouvais distinguer.
Elle leva les yeux en entendant la porte, et un sourire éclaira son visage marqué par les années.
"Ah, tu es là, ma chérie. Tu es en retard." Elle posa l’objet qu’elle tenait sur la table et me regarda avec un regard intense, presque perçant. "La forêt t’attend."
Je m'arrêtai net, surprise par ses mots. "Qu’est-ce que tu veux dire ?"
Ma grand-mère se leva lentement, son corps courbé par le poids des années et de la sagesse accumulée. Ses yeux perçants se fixèrent sur moi, et je sentis un frisson d’anticipation me parcourir. Elle me tendit un vieux grimoire, dont les pages étaient usées par le temps.
"Ce livre contient des secrets, ma fille. Des secrets que tu es prête à découvrir. La magie n'est pas un simple outil, elle est un fardeau autant qu’une bénédiction. Si tu choisis d’aller plus loin, tu ne pourras pas revenir en arrière."
Je me penchai pour observer le grimoire. Le cuir était sombre, presque noir, et des symboles gravés dans le métal qui le maintenait fermé brillaient d'une lueur faible, presque indétectable. Je l'ouvris lentement, les pages craquèrent sous mes doigts, dégageant un parfum étrange. À l’intérieur, des dessins de créatures magiques, des rituels complexes, et des formules en langue ancienne se succédaient.
"Tu me prépares à quoi ? À devenir comme toi ?" demandai-je, mes yeux s’attardant sur les mots mystérieux. Un mélange d’intrigue et d’inquiétude se mêlait dans ma voix.
"Tu n’as pas le choix," répondit-elle d’une voix grave. "Ton pouvoir ne t’appartient pas entièrement. Il est enraciné dans cette forêt, dans cette terre, et il te réclame. Il y a des forces qui se réveillent, des choses que tu ne peux comprendre encore. Et si tu choisis de les ignorer, elles finiront par te rattraper."
Je sentis mon cœur se serrer, mais quelque chose en moi, une flamme intérieure, refusait de reculer. Je savais, au fond de moi, que je n'aurais jamais de paix tant que je n'explorerais pas cette voie.
"Je suis prête," dis-je, plus à moi-même qu’à ma grand-mère. "Je veux savoir."
Ma grand-mère soupira et laissa tomber ses mains sur ses genoux, observant sa petite-fille avec une sorte de tristesse. "Sois prudente, Lyana. La magie est comme un couteau à double tranchant. Ce que tu cherches peut te détruire."
Alors que nous nous tenions dans cette tension silencieuse, un bruit soudain venant de l’extérieur me fit sursauter. Je m’approchai précipitamment de la fenêtre, mes yeux s’écarquillant en apercevant une silhouette sombre qui se dirigeait vers la maison. C’était Alden.
Alden, le jeune fermier du village. Il était grand, avec des cheveux bruns en bataille et un regard perçant qui semblait toujours scruter l’horizon, comme s’il cherchait quelque chose de plus grand que la simple vie villageoise. Il avait l’habitude de croiser mon chemin lors de mes rares sorties, mais nos rencontres n’avaient jamais duré plus que quelques regards furtifs et des paroles échangées de manière polie.
Ce matin-là, cependant, quelque chose était différent. Le regard qu’il me lança à travers la fenêtre était chargé d’une intensité que je n'avais jamais vue auparavant. Un frisson parcourut mon échine.
"Il faut que je lui parle," dit-il d’une voix forte, comme s’il avait attendu ce moment. "Je… je dois te dire des choses, Lyana. Des choses qu'on m’a cachées. Des choses que tu dois savoir."
Je me tournai vers ma grand-mère, mais cette dernière avait déjà compris. "Va le rejoindre," dit-elle. "Le moment est venu."
Le cœur battant, je m’avançai vers la porte. Lorsqu’elle s’ouvrit, une bouffée d’air froid me frappa. Alden était là, debout sur le seuil, ses yeux fixant les miens avec une intensité presque accablante.
"Qu’est-ce que tu veux me dire ?" demandai-je, le souffle coupé.
Avant qu’il ne réponde, un cri déchirant perça l’air, venant de la forêt. Un cri humain, de douleur pure. Je me figeai, mon cœur s’emballant. Alden se tourna brusquement vers la forêt, son visage pâle.
"Viens avec moi," dit-il, d’une voix sombre. "C’est important. Plus que tout."
Il n’y avait plus de place pour les hésitations. Quelque chose de terrible, de plus grand que tout ce que j'avais pu imaginer, venait de se réveiller. Et moi, malgré mes peurs, je n'avais pas d'autre choix que de suivre Alden dans l’obscurité qui nous attendait.
La forêt m'appelait.