L'attente

2148 Words
J’échappe mon cellulaire attirant l’attention de Julian et des Gardiens autour de moi.  Je suis paralysée et aucun son ne sort de ma bouche.  Seule ma bête est active et elle ne demande qu’à sortir prendre l’air.  Je croise le regard paniqué de Julian et reprend vie.  Je me jette sur mon téléphone.   -          Si vous lui faites ne serait-ce qu’une égratignure, je vous laisserai vivre pour vous torturer mentalement et physiquement pour l’éternité, le menacé-je dans ma voix vampirique.    -          Je prendrai bien soin d’elle si vous me rejoignez, me rétorque-t-il avec calme.  Je n’ai nul besoin d’elle. Je n’ai besoin que de vous pour mener à bien ma mission.  Mon maître désire vous rencontrer.  Le temps presse.  Nos ennemis approchent.  Je ne voulais pas en arriver là.  Mais ils m’ont déjà trouvé.  Il faut absolument que vous…   -          Je me fous de votre maître.  Je veux parler à ma Fille.  Je ne me livrerai à vous que si je suis certaine qu’elle va bien.    -          Bien entendu, je comprends.  Je vous la passe.   -          Mère ?   Entendre sa petite voix hésitante me soulage et rassure également Julian qui a de plus en plus de difficulté à contrôler ses humeurs.  Il a l’impression de vivre le pire de ses cauchemars et arrive difficilement à garder la tête froide.  Je le vois fixer les points mouvants sur l’écran en serrant les mâchoires.  Je sais qu’il cherche à se concentrer sur du concret pour rester fort, pour nous.    -          Je n’ai pas su résister à ses demandes, sanglote Myriam.  J’ignore pourquoi je l’ai suivi.  Ça me semblait tellement logique.    -          Ne t’en fais pas, ma belle enfant.  Tu es encore si jeune.  Une chenille qui fera son cocon un jour.  Ne t’inquiète de rien ma chérie.  Je vais faire ce qu’il faut pour que tout aille bien.  Tu me comprends n’est-ce pas ?   -          Oui Mère, je comprends très bien, déclare-t-elle d’un ton beaucoup plus rassuré.    -          Je t’aime tu sais.  Tu n’es pas seule.  Je serai bientôt près de toi.    -          Que c’est touchant, souffle la voix de notre ennemi en réponse.  Sachez que votre autre Étincelle est également en route.  Ne me faites pas faux bond.  Bien que je détesterais leur faire du mal, je n’hésiterai pas si vous ne venez pas.    Il raccroche avant que je ne puisse répliquer quoique ce soit.  Son discours me laisse perplexe.  Il ne correspond pas à ce que je m’attends du psychopathe sans cœur qui a détruit cinq Immortels, huit Initiés et un Initié-loup.  Je secoue la tête en me rappelant qu’il a séduit une cité entière avant que l’on ne découvre tout ça.  Je ne dois pas tomber sous le charme maintenant alors qu’il a enfin révélé sa véritable nature.    -          C’est un monstre, Sweety.  Il sait comment parler aux gens pour leur faire croire qu’il est un agneau.  Même moi, j’ai oublié ce qu’il représentait lorsque je l’ai rencontré la première fois.  Il a un véritable talent, me rappelle Julian, en me serrant dans ses bras.    -          Ne vous torturez pas ainsi vous deux, nous reproche la Mediator.  Il a embobiné tout le monde.  Changeons de sujet.  Bien joué le discours à votre Fille pour lui dire à mots couverts de se servir de son tout dernier pouvoir.    -          Vous êtes au courant des pouvoirs de Myriam, m’étonné-je.   Elle éclate de rire.  J’apprends qu’elle fait partie des Immortels s’étant porté volontaires pour tester la puissance de ma Fille.  Elle est en fait le cobaye de descendance Molaĩ.  Elle est d’ailleurs fort impressionnée par ce que nous appelons la discipline Protection, surtout le pouvoir à effet miroir.   -          Quand Lucas a fui devant son propre cauchemar, j’ai cru que nous ne le reverrions jamais.  Il était tellement terrifié le pauvre que sa bête a presque pris panique, rigole-t-elle encore plus, me laissant pantoise.    Je n’aime pas imaginer le Maréchal de Laval avoir si peur de lui-même et trouver la situation assez cocasse pour en rire.  Ils sont parfois si étranges nos Aînés.  Julian et moi la regardons, incertains.  Je vois que ma moitié jette parfois un œil sur l’écran géant.  Les points se rapprochent lentement de celui que je sais être Myriam.  La première qui arrivera sur les lieux sera Cassie que Jörg et les Chardons Ardents ont rejoint il y a quelques instants.    -          Les deux points au nord de la position de Myriam sont Monseigneur et Alex Magnan, le Bouclier de l’Académie.  Ceux à l’ouest, le Maréchal et votre vassale, Catherine.  Au sud, le point qui se balade seul, c’est Lucas.  Son Éminence est avec lui.  Il refuse toujours d’utiliser « ces foutus machines » comme il ronchonne sans cesse, m’informe l’Échevin Deschamps, apparaissant à mes côtés.    -          Échevin, je suis désolée, m’excusé-je en reculant et en baissant la tête.    Je n’ai pas le droit de me retrouver en présence des Dirigeants de la cité.  Paniquée, je tourne les talons et m’apprête à quitter la pièce quand Julian m’attrape par la taille.    -          You can stay here Sweety, me murmure-t-il à l’oreille.  Je sais que ça fait beaucoup à intégrer en une seule nuit.    -          Votre punition a été levée, Première Prêtresse, mentionne Monsieur Deschamps d’une voix douce.    -          Je ne suis plus Première Prêtresse.  Notre Évêque a dit ça sous le coup de l’émotion parce que je suis la seule qui lui reste, répliqué-je, n’y croyant pas trop.   -          Viktor Kovacs n’est pas un être d’émotions, contrairement à vous, jeune Sakyu.  Il vous a redonné vos titres de noblesse car vous avez su vous en montrer digne.  Malgré tout ce qui vous a été enlevé, vous êtes restée forte, noble et présente pour votre cité.  Monseigneur Lambert nous a prévenu que vous nous surprendriez.  Il savait que vous seriez à la hauteur.  Nous en avons eu la preuve lorsque vous avez empêché la rébellion des Nouveaux-Nés.  Vous nous avez évité beaucoup de tracas, pour eux comme pour nous.     Je lui fais un demi-sourire, malgré moi, au souvenir de cette situation qui aurait pu vraiment mal se terminer.  Il a fallu moins de deux ans après la perte de mon titre pour que les plus jeunes Immortels de la cité se tournent à nouveau vers moi pour se confesser et chercher conseils.  Avec l’aide de Jessica, Cassie et Myriam, ils parvenaient à me faire passer des messages en douce afin de me quémander des rendez-vous secrets.  Je détestais l’idée de jouer dans le dos des Dirigeants de la cité mais je m’en voulais encore plus de refuser d’aider ces citoyens à adoucir leur immortalité.  J’ai promis devant Loudas d’aider mon prochain.  Voyant que malgré mes demandes répétitives d’aller vers Sébastien et Mariko, ils continuaient de me vouloir moi, je me suis convaincue de les rencontrer.   Après tout, aucune règle ne m’interdisait de voir des gens à l’extérieur des murs du Munitum si eux le désiraient. Plus le temps avançait et plus les jeunes se retrouvaient entre eux pour discuter de ma situation qu’ils jugeaient d’une autre époque.  Ils désiraient pouvoir venir me parler ouvertement, sans subir de représailles de la part des autres citoyens.  Ils étaient d’accord qu’une loi encadrant la Progéniture dans notre société existe mais considéraient que les critères de sélection étaient désuets, surtout dans une ville comme Montréal.  Révoltés, ils prévoyaient se réunir afin de planifier des moyens de pression sur le Conseil des Dirigeants pour me défendre.  Inquiètes des retombées que cela pourrait avoir sur moi, Cassie et Myriam m’en ont glissé un mot et je me suis présentée à la réunion pour tuer le projet dans l’œuf.    -          Monseigneur ne méritait pas que des citoyens cessent de respecter l’étiquette ou n’aident plus la communauté pour « réparer une erreur » qui n’en était pas une.  J’ai protégé ces jeunes d’eux-mêmes également.  Je leur ai fait comprendre que leur Roi a été sévère mais juste envers moi.  Il aurait pu me tuer pour ce que j’ai fait.  Rares sont les Immortels qui survivent à…   -          Rébecca, grogne Julian.   -          Je suis désolée, Skugga d’amour, soupiré-je.  Il déteste lorsque je parle que ça pourrait arriver, expliqué-je à l’Échevin.    -          Ma foi, je le comprends, se récrie le Skugga en frissonnant.  Vous semblez vraiment croire que vous méritiez toutes les pertes que notre Roi vous a imposées cette nuit-là.  Pourtant, votre Coterie vous a défendue.  La Professeure Lydia a expliqué que Myriam devait survivre.  Notre Scholar a affirmé que votre Fille faisait partie de la solution.  Pensez-vous vraiment que tout ceci était justifié ?   -          Je crois que notre Roi ne pouvait traiter le fait que j’ai transgressé cette loi autrement.  Si j’avais été dans une autre cité que Montréal, je n’aurais pas survécu à une telle chute sociale, avoué-je, faisant frissonner Julian d’effroi.    Il me serra contre lui, l’esprit fermé.  Je soupire avant de continuer.    -          Sans l’éducation de mon Père, je ne serais pas parvenu à garder en tête que je restais une prêtresse au service de Loudas avec ou sans le titre.  Je n’ai plus autant besoin du regard des autres pour savoir qui je suis réellement.  Dans mon cœur, il est vrai, je dois l’admettre, je n’ai jamais cessé d’être VOTRE Première Prêtresse.   -          Je suis très heureux de vous l’entendre dire, me sourit l’Échevin Deschamps.  Votre présence nous a terriblement manqué Prêtresse Duhamel.  Bon retour parmi nous !   Il s’incline devant moi avec respect.  Je le remercie, émue.  J’entends une Immortelle crier que Cassie arrive à l’endroit où se trouve Myriam.  Je reporte mon attention sur l’écran.  Julian me garde contre lui, silencieux.  Je le sens tendu.  Ses yeux ne quittent pas l’écran devant nous.  La tension dans la pièce est insoutenable.  Nous voyons les points de Monseigneur, Alex et Lucas arriver simultanément dans l’immeuble qui semble être un entrepôt de l’ouest de l’île.  J’angoisse de ne pas savoir ce qui se passe là-bas.  Contrairement à un jeu vidéo, si l’un des nôtres perd la vie dans ce combat, son point ne disparaîtra pas sur l’écran.  Il ne s’agit que d’un signal électronique, pas de données biométriques, données que notre corps d’Immortel ne peut transmettre même si nous le souhaitons puisque nous sommes tous déjà morts depuis notre renaissance.  D’un autre point de vue, je suis soulagée que ça ne soit que des coordonnées GPS devant moi.  Je me demande encore comment a fait Kat pour ne pas sombrer dans une folie passagère après avoir assisté à la destruction de mon Père en direct.  J’ai mis des nuits entières à reprendre le contrôle de mes crises de larmes après avoir visionné la vidéo, six mois plus tard, inquiétant à nouveaux tout le monde.  Sans oublier les cauchemars qui me réveillaient à chaque coucher de soleil pendant des semaines.  Tout a cessé après lui avoir rendu hommage dans la Chapelle.  Tous les citoyens de la cité étaient présents cette nuit-là pour honorer l’Évêque Fabre.  Sans effort, les membres de la Smala se sont joints à nous pour lui dire un dernier aurevoir.  Tous unis, nous avons fait un dernier affront, en son nom, au Cardinal de Québec en laissant la Druidesse prendre la parole lors d’une célébration des Mathetes Loudas.  Cette nuit-là, nous avons démontré la puissance de la philosophie de Montréal aux nombreux visiteurs venus assistés à la cérémonie en l’honneur de mon Père.    -          Je ne veux pas les perdre, elles aussi, sangloté-je dans l’épaule de Julian, ne pouvant plus me retenir.  Ni les Filles, ni les autres.    Je le sens aussi désemparé que moi.  Je sais qu’il fait tout pour rester fort.  La peur de ne pas les revoir le terrorise et il n’arrive pas à me le cacher.  Ou ne veut pas le faire.  Depuis notre réconciliation, Julian fait beaucoup d’efforts pour m’en cacher le moins possible, surtout lorsqu’il s’agit des Filles.  Nous formons une famille, concept plutôt inhabituelle au sein de notre société.  Myriam est, à notre connaissance, la première Immortelle issue d’une union comme la nôtre.  Officiellement, sur papier, elle est uniquement ma descendante.  Mais son lien avec Julian est d’une évidence et d’une puissance qui en surprend plus d’un.  Le simple fait qu’elle perçoive le signal d’alarme des Skugga pour le lever du soleil en dit long sur la dominance de son sang.  Elle est également incapable d’augmenter son charisme de manière surnaturelle malgré mes enseignements, ce qui signifie que son sang ne possède pas les caractéristiques des Sakyu.  Elle arrive toutefois à accélérer sa vitesse, comme nous pouvons le faire tous les deux, et elle arrive à lire l’aura des gens comme son Père.  Contre toute logique, malgré ses pouvoirs liés au fait qu’elle soit une Étincelle, Myriam a la capacité de développer une force surhumaine comme moi.  Chaque descendance n’ayant que trois disciplines innées, notre Fille démontrait ainsi son caractère unique.  La sonnerie d’un cellulaire me sort de mes réflexions.  L’Échevin Deschamps répond.   -          Ça sera fait Monseigneur, déclare-t-il, la mine sombre. 
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