Dans l'antre du serpent

1260 Words
Victoria et moi attendons dans le couloir près des appartements du serpent, immobiles et silencieuses, depuis à peine une minute lorsque nous entendons un bruit sourd.  On aurait dit qu’un corps vient de s’effondrer sur le sol.  La porte s’ouvre sur Viktor qui nous invite à entrer.  Près d’un sofa, je vois Xavier Leblois, un soldat de la Maison Imperius de descendance Skugga, face contre le tapis, un pieu dans le dos.    -          Je ne l’ai pas invité dans mon Presbytère, chiâle mon Évêque.  Je veux des réponses.  C’est pour ça qu’il est encore vivant.  Je le traînerai au Munitum pour l’interroger avec Monseigneur.    -          Il est arrivé à Montréal quelques semaines à peine après le début de ma punition.  Je me souviens très bien de lui.  Sans que je comprenne pourquoi, la première chose qu’il a fait après s’être présenté au Roi fut de venir me cracher dessus.  Il recommençait chaque semaine jusqu’à ce que l’Honorable Lamoise reprenne le pauvre Mathéo.  J’avais honte pour lui.  Il ne voulait pas le faire en plus.  Il souhaitait seulement impressionner la belle Sierra qui l’avait stupidement mis au défi.  J’en ai presque voulu à notre Scholar de l’humilier publiquement ainsi.  Il ne méritait pas ça.    -          TU ne méritais pas ça Rébecca, s’insurge Victoria.  C’est toi que tout le monde humiliait en te crachant dessus, voyons.  L’Honorable Lamoise n’a fait que son devoir envers une citoyenne de Montréal.  Je ne peux pas croire que le Cerbère acceptait cela sans broncher.    -          Calme-toi.  J’ai accepté sans broncher la colère des citoyens qui ne méritaient pas que leur Première Prêtresse les déçoive comme je l’ai fait.  Pour moi, c’était donnant-donnant.  Je ne supportais pas que ce nouveau venu, ce Xavier Leblois, se permette la même liberté.  Son crachat me brûlait presqu’autant que de l’acide.  Il est un des rares Immortels que je déteste sans même connaître.    -          Nous le ferons parler, me promets Viktor, un sourire malfaisant aux lèvres.   Visiblement, il se délecte déjà des souffrances qu’il infligera à sa proie lors de l’interrogatoire.  Un frisson d’horreur me parcourt la colonne vertébrale juste d’y penser.  Nous fouillons le salon sans attendre, réalisant que nous arrivons un peu tard puisque des documents ont été mis en lambeaux et éparpillés autour du corps de Leblois.  Cela prendra des nuits entières pour les reconstituer.  Il est cependant hors de question que je ne m’avoue vaincue.  Si ce Skugga a jugé bon de les détruire, c’est qu’ils sont importants.  Nous devons lire ces pages.  Je ramasse donc tous les bouts de papier jonchant le sol avec l’aide de Victoria et des capucins.  Lorsque tous les indices se retrouvent dans une boîte, je rejoins mon Ancien dans la pièce qui servait de chambre au serpent. L’Évêque se tient devant une bibliothèque.  Sa bête grogne si fort en lui que je me demande si je peux m’approcher en toute quiétude ou s’il est préférable de quitter la zone.    -          Il a ramassé leurs cendres avec un petit balai et un porte-poussière qu’il cachait dans sa soutane, comme on traîne des clés.  Il le faisait en souriant, me disant qu’il avait déjà leurs réceptacles, et que ces derniers rejoindraient sa collection.  Même moi, la banalité avec laquelle il agissait m’a fait frémir.  Cet Immortel n’avait pas d’âme.       Il soupire et cesse de grogner, ramenant la paix dans la pièce.  Je remarque alors quatre contenants rectangulaires noirs sur une tablette de la bibliothèque que fixe Viktor.  Chaque pot est orné d’une pastille de couleur différente : une bleue royale, une jaune tournesol, une argentée et une mi-noir, mi-argent.  J’en veux toujours autant à ce serpent de s’en être pris à ma famille, mais je suis soulagée de retrouver les cendres des membres de ma Congrégation.  Ma ville pourra faire son deuil.  Je pourrai faire mon deuil.  Une petite boite rouge attire mon attention derrière les contenants placés à l’avant de la tablette tels des trophées.  J’étire le bras pour la prendre, rapidement devancé par mon Ancien qui me tape les doigts avec force.   -          Je t’ai dit de garder tes mains loin d’objets chargés en émotions, me chicane une fois de plus le Nyama.    Je me retiens pour ne pas rouspéter une fois de plus qu’il n’arrivera rien sans la présence de Julian.  Je vois bien qu’il refuse de m’entendre.  Je le laisse prendre la boîte et l’ouvrir à ma place.  Nous y trouvons un petit sac de cendre.  À l’intérieur du couvercle, on peut y lire une inscription : « Dommage que le soleil brûle. »  Une colère sans nom s’éveille en moi, faisant bouillir mon sang, réveillant ma bête.  Je déteste vraiment cet ignoble personnage.  Je voudrais le ressusciter pour le détruire à nouveau.  Non, pire.  Je voudrais le torturer sans fin pour tout le mal qu’il leur a fait, qu’il nous a fait.  Cette pensée sadique semble satisfaire ma bête qui retourne doucement se coucher.   Ho oui, la mort est trop douce pour un Immortel de cette cruauté.    -          Chérie, tu me donnes froid dans le dos, me murmure Julian, inquiet.  Où est passée la magnifique Sakyu dont je suis amoureux fou ?   -          Je… Je… Nous avons des cendres pour pleurer nos morts, m’étranglé-je, réalisant que je me suis laissé emporter par la tyrannie de ma lignée, devenant ainsi aussi cruelle que l’ennemi.  Je suis désolée de t’avoir inquiété.    -          Je t’ai dit de te laisser aimer, Sweety, me rassure ma moitié.  J’attends toujours ma dose de caféine.   -          Nous avons presque terminé.  Ton café s’en vient, Skugga d’amour, rigolé-je.   -          Son café ? s’étonne Victoria dans la pièce voisine.      Je viens encore de répondre à mon aimé à voix haute.  Évidemment, mon Ancien bougonne que ça m’arrive souvent de lâcher une phrase sortie de nulle part et que c’est extrêmement dérangeant pour tout le monde.  Victoria trouve ça mignon.  Il lui rétorque que c’est mignon les deux premières fois et que les autres milliers de fois, ça devient vite insupportable.  Je fais comme si je n’ai rien entendu et prends la boîte de bouts de papier.  Je m’apprête à sortir de la pièce quand il me demande où je vais.   -          Porter tout cela aux Archives, l’informé-je d’un ton neutre.  Je tâcherai de trouver le temps de faire le tri pour en reconstituer les pages pendant mes heures de travail.    -          Pourquoi aux Archives ?  N’avez-vous pas votre propre bureau Première Prêtresse ?   Il me fait un clin d’œil en me tendant la clef de mon ancienne salle d’études.  Sans réfléchir, je laisse tomber la boîte pour lui sauter au cou.  Il reste d’abord saisi avant de me serrer contre lui quelques secondes.  Il me repousse gentiment.   -          Pas trop souvent et seulement ici, précise-t-il.   -          Ne lui dites pas que vous n’aimez pas ça, lui recommande Victoria.  Souvenez-vous du traitement qu’elle a réservé à Farouk toutes ses années.   Viktor lui jette un regard mi-assassin mi-amusé.  Je me surprends à vraiment souhaiter qu’elle reste avec nous.  Je vois bien que mon Ancien semble déjà l’apprécier, lui qui accorde difficilement sa confiance.  La première chose que je trouve dans ma salle d’études est ma robe de Première Prêtresse, celle que la Supra Diva a créé pour moi à la demande de son Éminence pour mes 50 ans.  Émue, je l’approche et en caresse le tissu comme si elle était la huitième merveille du monde.  J’ai cru ne jamais avoir l’occasion de la reporter de mon immortalité.    -          Préparez-vous, exige mon Évêque.  Montréal a besoin de SA Première Prêtresse cette nuit.  Plus que jamais.    -          Avec plaisir, votre Éminence.  
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