Bureau de Viktor

1917 Words
Bien que les corps des Initiés soient dans un état de putréfaction avancé (et grouillant d’asticots, ce qui me dégoûte à m’en lever le cœur), je constate rapidement qu’ils ont probablement été torturés de manière atroce avant d’être jetés là, sans plus de cérémonie.  Je prends sur moi et les couche les uns près des autres avant de les emballer dans de grands draps blancs.  Je prie pour chacun d’eux, espérant que leurs âmes reposent véritablement en paix.  Ils ont toujours été si bons pour nous toutes ses années.  J’essuie mes larmes avant de me relever pour continuer.  Je m’agenouille près de Scimy, l’épée de Farouk, lorsque Victor entre dans la pièce.  Il se précipite sur moi pour me prendre l’arme des mains.    -          Ne touche à rien, me gronde-t-il, sa bête me pétrifiant sur place.   Apeurée, je me replie sur moi.  L’esprit de Julian est aux aguets quelques secondes puis il me réconforte, comprenant la crainte de notre Ancien.   -          Il a peur que tu aies une vision, m’explique-t-il.  Rassure-le que sans moi, tu ne peux voyager.   -          Ne craignez rien, votre Éminence, lui dis-je doucement.  Je ne voyagerai pas cette nuit, malgré les émotions qui m’habiteront.  J’ai besoin de la proximité de Julian pour enclencher ce don.  Rappelez-vous ce que je vous ai dit lorsque je vous ai visité.   -          « Je dois y aller.  Mon amoureux m’appelle.  Il n’aime pas quand je m’absente trop longtemps », maugrée le Nyama.  Il est ton ancre, celui qui te permet de garder un pied dans ce monde.    -          Un don. Ton ancre.  Âmes Jumelles.  Est-ce que tu vas finir par m’expliquer ce qui se passe ? ronchonne Victoria.    -          Est-ce que tu te sens vraiment prête à l’entendre ? lui répliqué-je, un peu tendue.  Ou vas-tu encore croire que je sois bêtement soumise à Julian comme une vulgaire c***n ?   Nous nous affrontons, les yeux dans les yeux, comme deux coqs de combat, prêtes à se battre au moindre mouvement de son adversaire.  Je déteste qu’elle ait laissé planer l’idée que j’ai pu m’abaisser à ce point.  Je n’en reviens toujours pas.  Je l’ai bien entendu s’excuser un peu plus tôt, mais je lui en veux toujours d’avoir cru que j’ai pu changer à ce point.  Surtout pour un homme.  Ça me dégoûte.    -          Sweety, j’aimerais bien comprendre ce qui te trouble autant, s’inquiète Julian.   -          Je t’ai déjà dit que je refusais de t’en parler.  N’insiste pas, lui ordonné-je, cinglante.    Je ferme notre communication et mon esprit.  Il ne faut pas qu’il sache.  Il serait tellement déçu de moi s’il apprenait ce que j’ai déjà été.  Je me secoue la tête pour chasser ces images de mon passé qui s’immiscent dans mon esprit.  Je les replace dans la boîte au fond de mon âme et en scelle à nouveau le couvercle, priant pour qu’il ne s’ouvre plus jamais.    -          Je ne veux plus jamais en entendre parler, vociféré-je à Victoria.  Je ne serai plus jamais la chose de quelqu’un.  Tu le sais très bien.    -          Je le sais, ma sœur.  Je suis vraiment désolée de m’être inquiétée pour toi.  Mais j’étais si loin et Farouk n’est plus là et j…   Victoria s’effondre devant moi, incapable de contrôler les larmes qui roulent sur ses joues.  Émue, je me précipite sur elle pour la consoler.  Elle s’accroche à moi tandis que je l’enveloppe de tout l’amour que j’éprouve pour celle que j’ai toujours considérée comme ma grande sœur.  Nous restons là, dans les bras l’une de l’autre à pleurer nos morts, nous excusant mutuellement de ne pas trop savoir comment communiquer adéquatement nos émotions troubles en cette période sombre, nous promettant de ne plus jamais nous crier dessus comme ça.    -          De vraies filles, renifle Viktor derrière nous, avant de sortir avec un corps sur l’épaule.      Nous nous tournons vers la porte comme un seul corps avant d’éclater de rire.  Il a bien raison après tout.  Nous venons carrément d’avoir une bête chicane de sœurs.  Après s’être calmées, je ramène mes jambes vers moi et les entoure de mes bras, appuyant mon menton sur mes genoux.  C’est la position privilégiée de Julian lorsqu’il réfléchit et je l’ai adoptée au fil du temps.     -          Je n’ai pas voulu te tenir à distance volontairement toutes ces années, Victoria.  Il m’est tout simplement impossible de me retrouver dans un fuseau horaire différent de celui de Julian.  Si l’un de nous dort encore, l’autre est extrêmement diminué, ne pouvant utilisé que le quart de ces capacités.  Ce qui nous fragilise énormément tout en nous exposant dangereusement.    -          Pourquoi ne pas être venu me visiter ensemble alors ?    -          Nous n’avons officialisé notre relation que la veille de ma punition.  À l’exception des citoyens de Montréal qui sont dans la confidence de notre lien depuis le début, il n’y avait que la sœur de Père et toi qui saviez pour Julian.      Je grogne avant de soupirer bruyamment.   -          La Mère de Julian ainsi que les membres de sa Coterie secrète également.    -          Au ton de ta voix, je devine que ce ne fut pas une bonne chose.    -          Tu comprendras pourquoi quand j’arriverai à cette partie de l’histoire, précisé-je en me relevant.   Tout en déplaçant les débris de meubles, remettant peu à peu de l’ordre dans le bureau de l’Évêque, j’explique à Victoria tout ce que je n’ai pas pu lui raconter dans mes lettres au sujet de ma relation avec Julian.  Parfois, mon Ancien y ajoute son grain de sel alors qu’il apparaît dans la pièce, entre deux transports de corps vers l’incinérateur.    -          Vous savez pourquoi il les a torturés, lui demandé-je alors qu’il part avec le dernier Initié.    -          Il cherchait un document qu’il croyait être en leur possession ou que l’image pouvait être imprégné dans leurs esprits.  Il était persuadé qu’ils connaissaient le descendant d’un dénommé Sandal et voulait les faire parler.    -          Antoine a fait très attention de ne laisser aucune trace écrite de ses recherches concernant les ennemis de son Arrière-grand-père.  Les pauvres ont vraiment été torturé en vain, renifle Victoria avec mépris.  Voir qu’il aurait pu mêler de pauvres innocents à ses histoires de famille.   Nous la dévisageons avec étonnement.  Comprenant que nous désirons plus de détails, elle poursuit :   -          Son Éminence Fabre avait une sérieuse obsession pour tout ce qui concernait son histoire familiale.  Il refusait toutefois d’en parler avec qui que ce soit.  Tout ce qu’il découvrait, il le gardait pour lui ou il le conservait dans une Relique du Souvenir.  C’est comme ça que j’ai su pour Sandal. En apprenant le rituel, j’ai choisi la mauvaise Relique pour me pratiquer.  Ton Père était fou de rage que je découvre ce secret.  Je ne l’avais jamais vu comme ça.  Pendant un temps, son bureau est devenu un véritable capharnaüm.  J’ai eu conscience qu’il te demandait sans cesse du sang et il s’est calmé.  Il ne m’en a jamais reparlé.    -          Nous savons maintenant pourquoi les Reliques sont protégés de ce sort exigeant ton sang, râle mon Ancien.  Mais ça ne nous dit pas plus qui est ce Sandal.   -          Un contemporain de Reiner.  Il lui faisait une guerre plus que sanglante, détruisant constamment sa lignée et tous ceux qui l’entouraient.  C’est tout ce que le souvenir relatait, nous résume Victoria.  Depuis le temps, tu ne les as pas encore lues, s’étonne-t-elle.     Je soupire avec exaspération.  Je lui explique les diverses raisons qui m’ont empêché d’apprendre le rituel des Reliques du Souvenirs.  Elle comprend mieux que je ne sois pas encore à jour avec les recherches de mon Père.    -          Il est plus que temps de rattraper notre retard.  Nous reprendrons ton enseignement de la Roma Theourgia dès demain, m’apprend mon Évêque avant de repartir avec le dernier corps.    -          Merci votre Éminence.    Nous poursuivons le ménage dans la pièce et tout semble presque en ordre.  Je suis en contemplation devant quatre items posés sur l’immense meuble en chêne qui sert de bureau à l’Évêque.  À travers les débris, vestiges d’un probable v*****t combat, j’ai retrouvé, en plus de Scimy, le médaillon du Papillon d’argent de Mariko, le testament à la couverture en cuir que j’avais remis à Sébastien lors de son ordination de Prêtre et la dague de James, celle que Farouk lui a donné en le nommant son apprenti.  J’en veux au serpent de nous laisser que des objets pour nous rappeler nos défunts alors que ses cendres reposent dans une urne sur le mur de la grande salle.  Comme pour Jessica, nous n’aurons pas la chance de pleurer adéquatement les morts de notre Congrégation.  C’est d’ailleurs le traitement que nous réservons pour l’entourage de la majorité des ennemis de notre cité.  Quelle pratique cruelle quand on y pense. Je plisse les yeux et lève la tête vers Viktor au moment où il revient dans son bureau.   -          Je t’ai dit de ne pas toucher à ce genre d’objets, s’écrie-t-il en s’élançant vers moi.    Je retire mes mains de la surface du meuble en souriant.  Je lui répète que je ne voyagerai pas sans la présence de Julian.    -          Ce don semble assez spectaculaire, pour que cela vous inquiète autant, dit Victoria.   -          Il demande beaucoup d’énergie et je ne suis pas au mieux de ma forme, lui expliqué-je.  La Déesse a même laissé entendre que si je vais trop loin, trop souvent, mes capacités cognitives pourraient s’effacer.  Ce qui fait du sens avec mes expériences passées.  Après ma flagellation, j’ai mis beaucoup de temps à retrouver ma concentration.  Ava, la mentor de Cassie, m’a prévenu de veiller sur ma Sirène qui a tendance à surutiliser ses compétences, me disant que cela pourrait aller jusqu’à lui brûler les neurones.  Je crois que c’est un peu la même chose qui se passe avec mon don, qui est une sorte de compétence spontanée.    -          Raison de plus pour que tu gardes les yeux noisette cette nuit, grogne le Nyama.    Je lui demande ensuite si nous pouvons aller fouiner dans les appartements du serpent.  Il sourit en voyant que je me refuse obstinément à nommer le prêtre par son nom.  Voyant qu’il acquiesce à ma requête, Gaspard et Milady qui nous observent, perchés sur le haut d’une bibliothèque, s’excitent en sautant vers la porte.    -          Je comprends mieux comment vous avez réussi à monter votre dossier sur lui.  Vos capucins sont plus que des voleurs de foulards.  Ils sont de véritables petits espions sur quatre pattes.    -          Grâce au sang Skugga de Jessica, Milady a su développer le pouvoir d’invisibilité et augmenter ses sens pour détecter les lasers des systèmes de sécurité.  Gaspard n’arrive qu’à se rendre invisible malgré tous les efforts de Jessica.  Mais il a développé une très grande force contrairement à Milady.  Les deux sont extrêmement rapides pour des capucins.  Kat leur a montré comment utiliser un appareil photo qu’Alex a créé spécialement pour eux.  Leur prise de vue est parfois douteuse, nous devons également trier leurs nombreux égoportraits, soupiré-je. Ils sont malheureusement si narcissiques par moment.   -          Ça doit venir du fait qu’ils boivent de ton sang, me taquine Victoria.   Je roule des yeux avant de continuer.   -          Sinon, je dois avouer que ces deux magnifiques boules de poils nous ont franchement démontré leur savoir-faire en espionnant le serpent.    Nous approchons de notre destination que j’entends Gaspard se mettre à grogner en s’immobilisant.  Viktor nous fait signe de cesser de parler et de rester là sans bouger.  Il se transforme en brume avant de disparaître sous la porte.   
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