Lamentations

1139 Words
Je reconnais immédiatement le pouvoir de convocation puisque je l’ai déjà utilisé à quelques reprises.  Je me demande pourquoi le Chancelier tient tant à me voir aussi rapidement.  Je ne suis qu’à quelques pas de lui.  Il aurait pu venir me trouver ou envoyer quelqu’un me chercher.  Je comprends ce qui se passe en voyant le visage inquiet de l’Évêque près du Chancelier.  Ils m’attendent dans le couloir, à la sortie de la grande salle.  La bête de Viktor grogne si fort que le pauvre Sakyu tremble d’effroi à ses côtés.  Il s’éclipse dès qu’il me voit arriver, heureux de sentir que sa présence n’est plus requise.  Je remarque que les citoyens se tiennent loin des portes, observant la bombe de grognements sourds qu’est notre Ancien.  Même le Roi semble aux aguets sur son trône.    -          J’accompagnais Monsieur Jdanov dans son bureau, votre Éminence, m’excusé-je en m’inclinant devant mon Ancien.  Je ne voulais pas vous inquiéter.    -          Ça fait une demi-heure que je te cherche dans le Munitum.  Tu as disparu de la grande salle.    -          Je n’étais qu’à quelques pas.  Je suis en sécurité ici, n’est-ce pas ?   -          Probablement.  Sûrement.  Je n’en suis plus certain.  Je les croyais tous en sécurité et je les ai tous perdu.  Sauf toi.   Il paraît si vulnérable, si fragile.  C’est la première fois que je le sens aussi instable.  Sa bête, bien que les apparences donnent l’impression qu’elle grogne, se lamente.   Il souffre affreusement.   Il y avait un volet sur la douleur émotionnelle extrême chez les Immortels lors de notre guide de formation pour devenir Prêtre ou Prêtresse.  On y faisait mention que parfois, très rarement, la bête pouvait hurler la peine que l’être se refusait d’exprimer.  Père m’a dit un jour que si je devais assister à cela, je devais absolument aider cet Immortel à extérioriser sa détresse pour éviter que sa bête ne prenne de plus en plus de place en lui.    -          Rentrons, lui intimé-je.    Mon Ancien me fixe droit dans les yeux.  Il lutte pour ne pas laisser libre court à sa peine, à son désarroi.  Je sais qu’il considère que pleurer est une faiblesse et il s’en voudra que d’autres le voient.  Sans réfléchir, je draine mon sang pour augmenter ma puissance et ma vitesse.  Je prends mon Évêque dans mes bras et je cours vers la sortie.  Quelques secondes plus tard, je nous immobilise en plein centre du tunnel liant le Munitum à la Chapelle. Je remets l’Évêque sur ses pieds, le maintenant toujours un peu pour l’aider à garder son équilibre, consciente que l’effet de la vitesse surnaturelle peut provoquer un tournis désagréable chez les non-initiés.   -          Excellente distraction, grogne le Nyama.  Ça remet les idées en place.    -          Ce n’était pas le but de l’exercice votre Éminence.  Je voulais vous éviter un public.  Votre bête se lamente encore et vous savez très bien ce que ça signifie.    -          Je ne suis pas un faible, s’écrie-t-il furieusement en s’élançant vers la Chapelle.   Je le rattrape, me plante devant lui et pose calmement mes mains sur ses épaules.  Étrangement, je ne le crains pas.  Sa bête ne me terrifie pas.  Bien au contraire, je sais qu’elle ne cherche qu’à être consolée.  Je plonge mes yeux dans les siens.  Sans parole, je lui communique amour, compassion, bonté et douceur.    -          Viktor, vous savez qu’aimer un membre de sa famille est une force.  Pleurer sa mort est un geste naturel.  Laissez votre bête s’exprimer.  Vous savez que c’est la bonne chose à faire, pour vous.   L’Évêque résiste encore quelques secondes avant de se décomposer dans mes bras.  Il est d’abord secoué de sanglots hystériques.  Puis il me repousse violemment en hurlant.  Sa rage est si spectaculaire que je me demande si sa bête le possède.  Il frappe les murs du tunnel sans arrêt pendant plusieurs minutes, pleurant et râlant en hongrois.  Puis il s’agenouille au centre du tunnel, les bras en croix.    -          M’as-tu fait assez souffrir pour tout le mal que j’ai fait ou t’amuseras-tu encore à m’enlever ceux pour qui j’ai de l’affection ? crie mon Ancien en défiant le plafond du regard.   Je m’approche doucement de lui au moment où il baisse les bras, sentant que la crise est sur le point de se terminer.  Je sais qu’il a besoin de réconfort maintenant qu’il a sorti toute sa rage et sa colère.  Il niche sa tête sur mon ventre dans les replis de ma robe de Prêtresse.  Il marmonne que le tissu est doux et soyeux, comme la peau d’une femme.  Je rigole de le voir agir de manière aussi humaine.  Il se détend encore quelques minutes, laissant les dernières larmes s’échapper, évacuant sa peine.    -          Tu es définitivement MA Première Prêtresse, Rébecca, la première qui parvient à me libérer de ce fardeau que je traîne depuis si longtemps, marmonne-t-il.  J’ai fait le bon choix en te suivant jusqu’ici.    Je suis trop émue pour lui répondre.  Je le garde simplement contre moi.  Il se relève lentement, sans me regarder.    -          Allons vider ton placard à balais, fait-il.  Tu réintègres tes appartements.    Surexcitée, je lui saute au cou avant qu’il ne puisse réagir.   -          Jamais en public, soupire-t-il sans répondre à mon étreinte ni me repousser.  Compris ?   -          Je vous le promets, acquiescé-je en souriant, après avoir reculé d’un pas.    Il pose délicatement sa main sur ma joue avant d’y faire glisser son pouce.  Je le connais suffisamment pour savoir que c’est sa façon de me dire qu’il tient à moi.  Son regard est doux et protecteur.  Je sais que je peux à nouveau entièrement compter sur lui, même plus qu’avant.  Il sait, lui aussi, que je suis prête à tout pour lui.  Il a compris toute l’importance qu’il a pour moi.  Nous reprenons le chemin vers la Chapelle.  Avant d’y entrer, il me laisse lui nettoyer le visage à l’aide de serviettes humides que je garde toujours dans une des nombreuses poches de ma robe.  Il me remercie de l’attention, comprenant que je souhaite éviter que Victoria le voit dans cet état.  Il me permet de voir Julian en tête à tête avant la fin de la nuit.   -          Sans surveillance, insisté-je.   Il grogne qu’il sera dans son bureau.  Il attend toutefois que ma moitié arrive avant de nous laisser.    -          Vous n’allez quand même pas… commence-t-il, s’arrêtant à quelques pas de l’entrée du Presbytère.   -          Bien sûr que non, s’offense Julian.  C’est un lieu sacré.   Je manque de m’étouffer de rire, Julian me pinçant la hanche pour tenter de me contrôler.  Viktor me regarde perplexe avant de tourner les talons.  Nous sommes enfin seuls.  Je saute au cou de mon amour, l’embrassant avec passion.  Notre désir s’enflamme aussitôt.  Le sien chute aussi rapidement.  Julian me repousse doucement, le nez froncé, visiblement déçu de la tournure des événements.  Je nage en pleine incompréhension.  
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