Un serpent

1243 Words
Huit ans plus tôt, un nouveau Purifié est arrivé en ville.  Ma cité, quoiqu’accueillante et inclusive, est habituellement beaucoup plus réservée et restrictive dans son processus d’acceptation des nouveaux citoyens.  Ce Marcel Lormier, que je préfère appelé « serpent », semble avoir été une exception.  Même Cassie que nous avons sauvé du bannissement complètement aberrant de sa ville natale a dû subir des interrogatoires et une probation beaucoup plus sévère que ce Molaĩ sorti de nulle part.  Je ne visitais le Munitum qu’une fois par semaine et je constatais facilement un certain engouement de la part des citoyens pour cet Immortel qui ne me faisait ni chaud ni froid.  Une nuit, j’en ai discuté avec les autres membres de ma Coterie qui, à mon grand étonnement, le trouvaient tous fort sympathique, même Julian.    -          C’est un Purifié portant constamment ses vêtements de fonction, lui ai-je précisé, presque scandalisée.  Un Molaĩ qui peut jouer dans la tête des gens et tu me dis qu’il est sympathique.  Là, vous venez de me confirmer que j’ai raison de croire qu’il n’est pas ce qu’il prétend être.    Nous n’étions pas au bout de nos surprises.  Grâce à Gaspard et Milady, nous avons découvert que ce cher Prêtre (qui allait devenir Premier Prêtre sous peu et ça m’enrage d’y penser) communiquait par lettre avec un certain Laurent Baron domicilié en Europe.  Ce nom me donna des maux de tête sans que je ne sache pourquoi.  Dans les missives que nous avons interceptés, il disait qu’il observait le colibri et amadouait le corbeau, promettant à chaque fois de ne pas leur faire du mal.  Il disait aussi qu’il se rapprochait de plus en plus de l’aigle tant recherché.  Nous nous doutons bien qu’il n’est pas un réel amateur d’ornithologie mais nous n’avons pas encore déterminé qui sont le colibri, le corbeau et l’aigle.  Voyant que la fouille de ses aires de vie ne donnait rien, j’ai pris l’initiative d’une approche un peu plus direct pour nous aider à cerner le personnage.  Étant une Purifiée comme lui, je lui ai demandé une rencontre privée pour me confesser, prétextant que la Paria que j’étais en avait beaucoup sur la conscience et qu’il était temps pour moi de soulager mon âme.  Cette nuit-là, je me suis habillée pour le provoquer au plus profond de son être.  Même Julian a hésité à me laisser sortir de l’appartement sans exiger que j’aille me changer d’abord.  Il m’a plutôt prise sans vergogne sur le pas de la porte avant de me reconduire à la Chapelle, satisfait de sentir son odeur sur moi.    -          Tu peux bien faire ton macho, Skugga d’amour.  Vous êtes tous pareils, les hommes, avec vos manières de l’époque de Cro-Magnon pour marquer votre territoire.  Tu sais bien que je ne l’aurais jamais laissé me toucher, lui ai-je rappelé en posant ma main sur sa joue.   -          Je sais.  Mais tu étais si tentante, Sweet-cubus, s’est-il défendu avec un sourire moqueur.  Je veux surtout qu’il sente que tu n’es pas sans défense.  On ignore ce qu’il pourrait te faire.   -          Farouk sera tout près pour me protéger, l’ai-je rassuré.  Il ne m’arrivera rien.   Je l’ai embrassé avant de rejoindre celui que nous espionnions.  Le serpent m’accueillit avec tellement d’amabilité et de gentillesse que j’en eus presque un haut le cœur.  J’avais les sens et l’esprit en alerte et je perçus immédiatement qu’il n’était pas sincère.  Je reconnus l’utilisation de mon pouvoir de séduction mélangé à celui qui rend les gens tellement à l’aise qu’ils nous racontent tout ce que nous désirons savoir.  Préparée mentalement à ce qu’il en fasse usage, je mis mes barrières psychologiques pour qu’il ne m’atteigne pas et je pus aisément jouer la comédie que nous avions planifié.  Mais cette banale entrée en contact avec cet Immortel me fit comprendre pourquoi les citoyens de ma ville ne sont pas méfié de lui.  Il est rare qu’un Molaĩ, aussi jeune qu’un Junior comme il prétendait être, puisse manipuler les émotions des gens comme un descendant de Sakyu.  Apprendre les pouvoirs d’une autre descendance demande énormément de temps et d’énergie et cela exige d’avoir des relations privilégiées avec les autres descendances.  Nous ne partageons pas aussi facilement nos connaissances dans notre société, surtout pas à des jeunes Immortels sans importance.  Sauf, bien sûr, à Montréal.  Mais notre situation est unique car nous sommes une cité unie. Me trouvant des talents de comédienne, j’ai commencé à me confier à cet être qui me répugnait comme rarement les Immortels arrivent à le faire.  Un Zhutko me semble plus attirant que cet homme tellement je l’ai en aversion.  Je révélai donc que je suis devenue la Sakyu dépravée que la cité a fait de moi.  Je vendais désormais mon corps aux visiteurs afin de profiter pleinement de mes élans capricieux, refusant de résister à l’appel d’une robe qui me tentait.  Je laissais donc tout Immortel qui le voulait me prendre comme il le désirait en échange d’argent afin de renflouer mes coffres puisque mon maigre salaire de préposée aux archives allait directement dans le paiement de ma dette envers la cité.  Je faisais évidemment tout cela dans le dos de mon conjoint car il n’aurait jamais accepté de me partager avec d’autres.    -          Vous comprenez que je perdrais vraiment tout s’il venait à apprendre que mes caresses ne lui sont pas réservées, lui ai-je dit en larmes.  Mais j’aime tellement qu’on me fasse gémir contre un mur que je ne me vois pas cesser de faire tout ça.  Vous me promettez que vous ne lui direz rien.  Tout ceci restera dans le secret de la confession n’est-ce pas ?   Sa réaction m’a surprise.  Alors qu’il aurait dû n’être que compassion, il s’est levé et, avant même que je ne puisse réagir, j’ai reçu ses lanières de sang en plein visage.  Je suis parvenue à me protéger de mes bras juste à temps pour la deuxième attaque.  La douleur n’en fut pas moindre.  Farouk s’interposa entre nous.  Mon Protecteur le somma de cesser immédiatement ce comportement inapproprié pour un Prêtre.  Ce dernier nous a regardé avec mépris avant de quitter la Chapelle.  Julian est arrivé au même moment, en colère.  Nous avons eu de la difficulté à le maitriser pour qu’il ne suive pas le serpent dans le Presbytère.    -          Reste avec moi, Skugga d’amour, l’ai-je supplié.  Il est beaucoup plus puissant que nous le pensions.  Il vient de faire 5 lanières en moins de temps que nous en avons besoin.  Tu sais comme moi ce que cela signifie.    Julian a alors cessé de se débattre pour me regarder avec stupéfaction.  Farouk ne semblait pas comprendre la conclusion de nos observations.    -          C’est impossible Rébecca.  Un Immortel de cet âge n’aurait pas pu passer inaperçu, pas ici.   -          J’ai déjà vu quelqu’un usurper son identité sans aucun problème.  Les Molaĩ sont extrêmement doués pour paraitre ce qu’ils ne sont pas.  Surtout à cet âge.    -          Je les déteste encore plus, a maugréé ma moitié.   -          Mais pour qui le prenez-vous ? nous a alors demandé mon Protecteur, de plus en plus inquiet.      -          Farouk, promets de ne rien dire à son Éminence.  Il ne te croira pas simplement parce que j’y suis mêlée de toutes façons.  Ne te compromets pas.  Il t’en voudra de m’avoir accordé ton pardon et…   -          Qui penses-tu que ce Prêtre est, Rébecca ? me grogna-t-il dessus.  Dis-le-moi ou je vais tout raconter à l’Évêque sur le champ.   -          Un Ancien. 
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