Eadlyn
Vérifiant l'heure je referme mon livre. Mon père ne devrait pas tarder à rentrer, épuisé par sa journée. Je m'approche du feu pour vérifier que notre repas cuit bien puis dresse la table. Lui et moi vivons dans une petite maison au cœur de notre village proche du château de la principauté de laquelle nous dépendons.
Au rez-de-chaussée se trouvent la cuisine, la salle de séjour, ainsi que la chambre de mon père et une petite salle d'eau. Il y a également un demi-étage où se trouve ma propre chambre. Avec ceci, nous disposons d'une grange et d'un jardin. Le tout n'est pas très grand, mais cela nous convient parfaitement.
Après un dernier regard à la maison, je vais me laver les mains, mets de l’eau à chauffer et sers les assiettes. Le bruit de la porte d'entrée me fait tourner la tête. Mon père entre recouvert de neige. Je finis de disposer les couverts, sourire aux lèvres et le rejoint. Comme d’habitude, je l’aide à retirer son manteau tandis qu’il se laisse tomber dans son fauteuil près du feu.
— Tu as bien fait de rester à la maison aujourd’hui, il fait un froid glacial dehors ! s’exclame-t-il en m’embrassant le front.
— Pourtant il va bien falloir que je me décide à sortir dans la soirée.
— Avec toutes les jeunes filles du village, je suis sûre que ton absence à la Noson yr Helfa passerait inaperçue, marmonne-t-il.
— Je ne mettrais pas ma main au feu. Nous avons déjà assez d’ennuis comme ça. (Il ronchonne.) As-tu pu discuter avec tes clients ? j’enchaîne.
— Oui.
— Et… ?
— Les temps sont durs pour tout le monde, soupire-t-il la voix grave.
Pendant ce temps, la famille princière et leur Cour vivent dans l’oisiveté et la luxure au rythme de fêtes exorbitantes et sans motif. Je suis tirée de mes pensées par de petits coups contre la porte. Les sens en alerte, j’ouvre m’attendant à me trouver face à une horde de gardes prêts à forcer l’entrée. Au lieu de quoi mes yeux se posent sur Antoine, fils du forgeron et mon meilleur ami.
— Je voulais juste vous apporter ceci, dit-il en m’embrassant furtivement la joue. (Il sort deux dindons fraîchement préparés d’un sac et me les tend. Mon regard croise le sien :) Ne te rends pas au village sans moi ce soir.
Avant que je ne puisse lui demander de quoi il s’agit, le voilà reparti. Je referme la porte confuse par son comportement.
— Qui était-ce ? demande mon père alors que nous nous mettons à table.
— Antoine. Il a apporté deux dindons. (L’ombre d’un sourire se dessine sur ses lèvres.) Quoi ?
— Non rien. (Je plisse les yeux, suspicieuse.) Je me disais juste qu’Antoine et toi semblez plutôt…
— Proches, comme nous l’avons toujours été, je m’empresse de l’interrompre.
— D’accord, d’accord, souffle-t-il les mains levées.
— De toute façon, j’ai d’autres choses à faire que penser aux garçons.
Il émet un rire tout en prenant une cuillère de soupe :
— C’est vrai.
*
Après le dîner, mon père se retire pour faire un brin de toilette pendant que je débarrasse. Chose faite, je nous prépare deux cafés bien corsés. Ils ne seront pas de trop avec la longue nuit qui nous attend. L’horloge posée sur le rebord de la cheminée sonne 09h00. Plus qu’une heure avant le grand rassemblement à l’église.
Le cœur battant, je jette un coup d’œil furtif à mon reflet dans la fenêtre. Ma robe en tulle bleu ciel et mon tablier blanc laissent paraître de fines tâches de farines. Je les nettoie rapidement ainsi que ma paire de bottines à lacets avant de retoucher ma coiffure d’une main nerveuse.
— Ça fera l’affaire, je souffle pour moi-même.
Mon père me rejoint vêtu d’une tenue simple et chaude. Ses mains rudes et calleuses se referment tendrement sur les miennes.
— Si jamais tu changes d’avis…
— Non.
— Très bien, soupire-t-il. (Il m’embrasse puis s’assoit.) Un peu de lecture avant d’y aller ?
Je souris :
— Là tu parles mon langage.
*
09h50. Antoine nous retrouve devant notre portail. Les dix minutes de trajet jusqu’à l’église se font dans un silence tendu. Mon cœur tambourine entre mes côtes. Sur place, tout semble avoir été mis en place pour détendre l’atmosphère de la pire soirée de l’année.
Mr. et Mme. Blakely, les propriétaires de l’épicerie du village, ont installé un stand auquel ils distribuent verres de Cidre et de Vin chaud. Face à eux, une petite estrade sur laquelle les musiciens se relaient. Certains dansent, d’autres rient ou discutent autour d’un verre. Antoine se fraie un passage à travers la foule et revient avec trois verres.
— Lloniannau !
Nous trinquons. L’alcool me réchauffe l’œsophage et le corps. Antoine avale son verre d’une traite.
— Une danse ? propose-t-il.
J’acquiesce, sourire aux lèvres. Nous nous joignons aux autres couples. Les notes nous entraînent dans une valse cymurienne. Nos pas se suivent en parfaite synchronisation.
— Tu as fait des progrès à ce que je vois, me taquine-t-il.
— Disons que tes comparaisons entre le vilain petit canard et moi m’ont plutôt bien motivées.
Il rit.
— Je suis heureux que nous puissions profiter un peu.
— Oui, moi aussi.
Je fais un tour sur moi-même.
— Eadlyn, je… (Les cors retentissent, la musique s’interrompt. Antoine serre les dents :) Merde.
Je m’empresse de rejoindre mon père rassemblé en demi-cercle avec les autres villageois et le père d’Antoine. Les sabots martèlent le sol à travers lequel je ressens les tremblements. Les premiers cavaliers font halte. Tous arborent une cape marquée du blason royal. A leur tête, un jeune homme masqué à la carrure imposante.
Le silence tombe sur l’assemblée tandis qu’il s’arrête et met pied à terre. Son regard parcourt la foule qui s’incline dans une profonde révérence forcée. Antoine, nos pères et moi en faisons de même. Ses bottes crissent de manière sinistre sur la neige. Leur bout apparait dans mon champ de vision. Je lève lentement les yeux.
— Foneddiges Ieuanc, me salue-t-il d’une voix rauque les mains tendues.
Pleine d’appréhension, j’accepte malgré les protestations d’Antoine dont les doigts se referment autour de mon bras. Je lui jette un coup d’œil rassurant par-dessus mon épaule.
— Fais attention à nos pères, je mime du bout des lèvres.
Il acquiesce. Je lui adresse un sourire aussi serein que possible. Le jeune inconnu me conduit jusqu’à une tente située à l’écart.
— Messieurs, tonne-t-il d’une voix rauque et profonde à l’attention de ses compagnons, amusez-vous !
Tous lui répondent de cris encourageants. D’un signe de tête, il m’invite à passer devant lui. Le corps tremblant, j’entre dans la tente. Un lit entouré de fourrures trône au centre. À gauche, une table sur laquelle reposent mets et boissons. A droite, une plus grande table dédiée aux cartes et plans de je ne sais trop quoi.
— Déshabillez-vous, m’ordonne mon ravisseur temporaire.
Je me tourne face à lui. Son regard plongé dans le mien, il se dévêtit. J’en fais de même tâchant de maintenir une certaine distance entre nous. Le sang me monte aux joues face à son corps d’Apollon. Il me fait signe d’avancer. Je m’exécute
— Vous savez en quoi consiste Noson yr Helfa ? (Je hoche la tête. Il s’agenouille, ses mains sur mes hanches) Et je suppose que vous avez déjà entendu les légendes au sujet des dirigeants de cette principauté ?
Un frisson me parcourt la colonne vertébrale. Sa prise se raffermit.
— Oui, je déglutis difficilement.
— Et ?
— Il est dit… (Je prends une inspiration.) Il est dit que vous possédez de jeunes filles vierges et innocentes afin qu’elles enfantent des fils et filles de la nuit qui sortent de leurs entrailles après des heures d’atroce souffrance.
— Avez-vous peur ?
Oui.
— Non.
— Je vois.
Ses lèvres effleurent mon bas ventre me faisant frémir.
— Falch o fod y cyntaf.
Il continue sa descente sans me lâcher des yeux. Je fronce les sourcils.
— Que faites…Aaaaah.
Je rejette la tête en arrière. Sa langue s’attaque au point sensible entre mes cuisses tandis que ses mains me maintiennent fermement debout. Haletante, j’enroule mes doigts dans ses boucles soyeuses. Sa bouche entière m’embrasse, m’embrase. Sa langue me lèche, me pénètre dans de lents assauts tortueux. Une onde de plaisir, comme je n’en ai jamais connu jusqu’à maintenant, me submerge jusqu’à l’âme. Tremblante, je me colle contre sa bouche, le dos arcbouté. Mon être entier semble sur le point d’imploser.
Son souffle saccadé effleure ma peau.
— Ce n’est pas fini.
Il se redresse et me retourne sans ménagement, mon bas ventre appuyé contre le lit, avant de me pénétrer dans un puissant coup de rein. Un cri étouffé m’échappe. Mes doigts s’enfoncent dans les couvertures. Une main dans mes cheveux, l’autre sur ma hanche il me culbute sans Merci. Le bois massif craque sous ses assauts fougueux. J’aspire ma lèvre inférieure.
— p****n, grogne-t-il. (Il enfouit sa tête dans le creux de mon cou.) C’est bon…
Je frissonne. Son souffle caresse ma peau. Ses lèvres s’ouvrent sur de petites canines qui la transpercent. Je crie, surprise. Mon souffle se bloque. Mes muscles se crispent voluptueusement. L’euphorie s’empare de moi. Mon cœur bondit prêt à sortir de ma poitrine. Mes gémissements se mêlent aux profonds râles de mon assaillant. Nos corps tremblent l’un contre l’autre.
Dans un dernier puissant coup de rein, il se vide en moi. Mon corps lui cède, exténué. Je cligne des yeux, l’esprit brumeux. Il se retire et se rhabille. Je me redresse le bas ventre et les cuisses endoloris. Tremblante, je m’avance et lui retire son masque qui m’échappe. Mon être entier se liquéfie sur place tandis que le prince, d’une contenance imperturbable, me fixe en silence. Je fais un pas en arrière, surprise.
— Je…Vous…
Mes yeux se perdent sur le lit derrière nous.
— Je vais vous envoyer quelqu’un pour vous aider à vous habiller, finit-il par dire.
Je secoue la tête, ramasse ma robe à la hâte.
— Ce ne sera pas nécessaire.
Il fait un pas vers moi, les bras derrière le dos, sérieux.
— Je crains que vous ne m’ayez pas bien compris, Mademoiselle Calden. Vous ne rentrerez pas chez vous ce soir.
Je me stoppe, alerte :
— Sous-prétexte de ce qui s’est passé ?
— Ça et le fait que votre père me doit de l’argent, acquiesce-t-il.
— Est-ce une menace ?
Ses lèvres frémissent :
— Je parlerais plutôt d’ultimatum.
— Vous voulez que je vienne à la Cour, avec vous ?
— Oui.
Je plisse les yeux, farouche :
— Jamais.
— Dans ce cas…
Son regard se pose sur un point derrière moi. Avant même que je ne me retourne, l’on m’applique un chiffon imbibé de je ne sais quel produit sur le nez et la bouche. Mes muscles se ramollissent. Ma vision se floute.
— C’est bon, dit une voix au loin.
Je m’effondre. Alors que je m’attends à heurter le sol, des bras puissants me soulèvent par la taille. Les ténèbres m’engloutissent.
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