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Les mystères de Paris

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Extrait : "Vers la fin du mois d'octobre 1838, par une soirée pluvieuse et froide, un homme d'une taille athlétique, coiffé d'un vieux chapeau de paille à larges bords, et vêtu d'un mauvais bourgeron de toile bleue flottant sur un pantalon de pareille étoffe, traversa le Pont-au-Change et s'enfonça dans la Cité, dédale de rues obscures, étroites et tortueuses, qui s'étend depuis le Palais-de-Justice jusqu'à Notre-Dame."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de qualité de grands livres de la littérature classique mais également des livres rares en partenariat avec la BNF. Beaucoup de soins sont apportés à ces versions ebook pour éviter les fautes que l'on trouve trop souvent dans des versions numériques de ces textes.

LIGARAN propose des grands classiques dans les domaines suivants :

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Preface
PréfaceMON CHER E. SUE, Votre succès vous trouble, vous en avez peur, et vous me demandez s’il faut le continuer sous une forme nouvelle qui le soutienne et le répande plus brillant encore sur le grand chemin de la popularité. Pour vous l’illustration n’est qu’un accessoire qui vient poliment offrir à votre livre une auréole dont il n’a nul besoin, fort qu’il est de lui-même, et peignant de main de maître, avec une si grande vérité de couleur et de dessin, qu’il fait passer à l’état réel toutes les fantaisies de votre imagination. Mais la mode est là qui s’impose, et la mode a raison quand elle associe l’art à la littérature pour qu’ils se traduisent et se commentent l’un l’autre sans jalousie de métier. D’ailleurs n’est pas illustré qui veut, et je ne pense pas que Molière, Michel Cervantès, Le Sage. Homère, Napoléon lui-même, se soient mal trouvés de ce genre de publication, qui tend à multiplier le nombre des lecteurs par tous les moyens de séduction que le commerce a merveilleusement appliqués, quitte à laisser croire qu’il faille traiter les hommes en enfants. Je sais que cette thèse en sens inverse a mené droit au paradoxe l’un de nos plus spirituels critiques ; et je ne lui en veux pas pour ma part, toute terrible que puisse être sa colère sur un thème qui a fourni les plus heureuses variations à sa diatribe humoriste. Pourquoi ne pas l’avoir signée ? Pourquoi rester discrètement inconnu ou prendre un nom d’emprunt dans une attaque de bon goût, qui suffirait à un nom propre bien et dûment appelé à toutes les gloires de l’aristarque et du poète ? Ce n’est donc pas Pelletan qui vous arrête : Pelletan, nouveau Josué que la Revue des Deux-Mondes arme de ses trompettes pour faire tomber l’échafaudage pittoresque de l’illustration ; faible rempart si la ville n’est forte par elle-même ; fioritures de luxe qu’emporte le souffle du dédain au premier rayon du jour qui trahit la faiblesse des travaux avancés. Tout croule, et le château de cartes retourne au pilon avec les valets, les dames et les rois qui promettaient quelque chance de lucre à l’éditeur malencontreux. Libre au vôtre d’habiller, de découper, de lancer à sa façon votre charmant ouvrage, qui tient en suspens la ville et la province, et qui explique les mille et une nuits que la sultane de Scheherazade arrache à son sultan blasé. Ne vous a-t-on pas réveillé parfois, comme ce bon M. Galland, pour vous demander : – Eugène Sue, vous qui contez si bien, contez-nous donc la fin de vos mystères ? Non, le respect a protégé votre porte ; et si votre repos n’a pas été troublé, parlant à la personne, les lettres ont dû pleuvoir dans votre charmant ermitage de la rue de la Pépinière. J’en juge par celles que le Journal des Débats a reproduites ; et je pense que vous en avez d’autres, tant pour l’éloge que pour la critique. Les femmes surtout, dont le cœur est en émoi depuis l’apparition de Mathilde, n’ont pu garder pour elles leurs impressions de voyages psychologiques à travers les voies peu frayées que vous leur avez fait parcourir. On formerait, j’en suis certain, un volume bien curieux de votre correspondance, y compris les injures qui gardent l’anonyme, comme toujours, et les vers, tribut modeste, qu’il est, je crois, plus doux de payer que de recevoir, soit dit sans malice, à une époque où le sceptre poétique est tombé en quenouille, avec l’approbation de M. le secrétaire perpétuel de l’Académie, qui plus heureux que le beau Pâris, a trois pommes à donner, sans compter les prix de vertu. Ce n’est pas vous qui pouvez prétendre à ces hautes récompenses de la littérature et de la moralité officielle. Faites-en votre deuil, mon cher Sue ; car les grammairiens puristes ne vous pardonneront pas certains mots qui ne se trouvent pas dans le dictionnaire, et l’argot mis à l’index laisse bien loin toutes les hardiesses criardes du romantisme à son berceau. Bon Dieu ! ce n’est pas une langue, c’est une espèce de patois que les parias du crime ont inventé pour se reconnaître en dehors de la société ; l’image et la métaphore y abondent, non sans une certaine énergie, et le savantisme pourrait y trouver quelques souvenirs de la Cour-des-Miracles, ou quelques traces de l’idiome bohémien, si la question était posée gravement, avec une prime de quelques mille francs, pour la plus grande béatitude du monde érudit. Ce ne serait pas plus absurde, à tout prendre, que de faire rétablir à grands frais, par l’imprimerie royale, les jambages et l’écriture barbare de la société en bas âge ; et j’avoue, dans mon ingénuité, que je ne serais pas curieux d’avoir un iôta d’Homère au maillot. Mais l’argot n’est qu’une peccadille, et, par le temps qui court, l’écho de la cour d’assises ne ménage pas la pudeur des oreilles qui se dressent complaisamment à tous les scandales de la Gazette des Tribunaux. En fait de langues, la recherche de la paternité devrait être interdite, d’autant plus qu’elles sont toutes bâtardes ; et l’on couperait court aux misérables discussions qui tiennent tant de place dans l’histoire des niaiseries sérieuses et privilégiées. Votre crime n’est pas là, mon cher Sue : il est dans vos tendances à la réforme par la vente. Quoi ! vous pouvez avoir toutes les jouissances de la vie, et vous troublez celles des autres par l’étalage des misères qui ne peuvent vous atteindre, vous frappez à la porte des prisons, vous leur demandez leurs plus terribles secrets ; vous visitez le chenil du pauvre, vous entrez gaillardement dans les bouges de la Cité ; vous êtes bon prince, comme votre Rodolphe, et rien ne vous effraie dans cette étude du cœur, que vous disséquez en plein amphithéâtre avec tout le sang-froid de Dupuytren ! Vos héros sont des voleurs, des assassins, des femmes perdues, et vous faites descendre à leur niveau les gens du monde qui, dans leur perversité, n’ont point l’excuse de la misère et de l’ignorance. De votre main nue vous serrez la main fiévreuse de l’artisan honnête miné par les veilles et par la faim ; vous donnez le bras à la grisette, et vous traversez Paris avec elle ! Où allez-vous, mon cher Sue ? Quoi ! votre livre se permet d’être un enseignement ! Quoi ! vous prenez Parent-Duchâtelet pour guide à travers toutes les infamies de la Babylone moderne, comme on dit en parlant d’une cité quelconque aux jours des déclamations bibliques. Allez, allez toujours ; ne perdez pas de vue le bon larron et la Madeleine. Arrière au mauvais riche, place au bon Samaritain. Et, pour parler plus simplement, j’aime votre Goualeuse, ou plutôt Fleur-de-Marie, délicieuse créature dont l’âme n’a jamais suivi le corps dans ses transactions avec la nécessité de vivre quand même. Qu’elle est innocente, qu’elle est belle sous les oripeaux de l’ogresse ! Sa tige fléchit, déjà brûlée par l’eau d’aff ; mais comme elle se relève au premier rayon du soleil, comme son cœur endormi se réveille au premier souffle de la vertu et de la religion ! J’aime votre Rigolette, fille du hasard, que sa gaîté protège ; couturière modèle, qui, faisant œuvre pie de ses dix doigts, n’a pas le temps de penser à mal, et s’en va trotte-menu sur le pavé glissant de Paris, sans crotter son bas blanc et bien tiré. Ce sont là vos enfants chéris, et je ne veux pas flatter le père dans son légitime orgueil ; je veux qu’il ait le courage de sa bonne œuvre, en dépit des hypocrites, des égoïstes ou des envieux. Car ne vous y trompez pas, c’est dans ces trois catégories qu’il faut chercher vos ennemis. Nous avons encore celle des pudibonds, qui mettent des feuilles de vigne partout, et rougissent de la créature au nom du Créateur ; caste fort curieuse dans ses susceptibilités, que je vous recommande à la première occasion. Malheur à ceux qui risquent devant elle une plaisanterie sans façon, ou se déshabillent pour sauver un homme qui se noie. Allez toujours, appelez un chat un chat et Rollet un fripon. Il ne vous manquerait plus que la crainte de vous mettre à dos la classe estimable des portiers, qu’un président sur son siège a déclarés le fléau des maisons de Paris, Laissez faire Cabrion : il ne sera peut-être jamais préfet, jamais non plus un grand peintre ; mais il est drôle, il est verveux, et sa gaîté épisodique ne gâte rien au dramatique du roman. Si Ferrand est odieux, si sur sept péchés capitaux il en choisit deux, les plus ignobles, qui se combattent jusqu’à ce que mort s’en suive, ce n’est pas votre faute, et ce type pris sur nature, tout révoltant qu’il est, n’a pourtant rien qui doive nous étonner. Les duchesses de Lucenay, les marquises d’Harville ne sont pas rares, et je ne vois rien de plus moral que de leur conseiller la charité comme le plus noble des amours aux heures de désœuvrement et de déception. Quant à Rodolphe, que ce soit Haroun-al-Raschid demandant à la nuit les secrets de Bagdad, ou tout autre prince de fantaisie, redresseur de torts, je ne m’informe pas d’où il vient, mais je le suis où il va dans ses pérégrinations aventureuses, et je ne lui conteste pas le droit de faire le bien à sa manière, ou de juger en dernier ressort à son tribunal exceptionnel. Vous avez atteint votre but, mon cher Sue ; votre livre a été pris au sérieux par l’éloge et par la critique ; il n’a rien exagéré, et Poulman n’est point resté au-dessous du Squelette dans ses projets de vengeance sur le pauvre Germain. Toutes ces atrocités, toutes ces misères dont vous vous êtes fait l’historien poète, ont frappé nos législateurs ; et si J.-J. Rousseau a mis en baisse le lait des nourrices, vous mettez en hausse les lois les plus simples de la justice et de l’humanité. Les systèmes d’amélioration sociale restent longtemps à l’état de système, il faut passer à l’application. Donc je ne comprends pas vos scrupules à l’endroit de la réimpression des Mystères : elle me paraît donc d’un intérêt tout autre que celle du père André, jésuite ; livre qui ne peut profiter qu’à l’auteur de la préface, philosophe trépassé demandant aux morts la résurrection par l’annonce et la réclame. Ne vous préoccupez pas de ces prétendus hommes sérieux de ces rhéteurs impuissants, qui ne laisseront pas une idée, pas un souvenir, et qui, dédaigneux du présent, se cramponnent, au passé dans le grand naufrage de leur réputation usurpée. Soyez vous-même par la tête et par le cœur, l’un et l’autre vous ont bien conseillé : et si l’on crée des charges d’avocat du pauvre, à bon droit vous devez être bâtonnier. Paris, 1er juillet 1843. TH. BURETTE

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