CHAPITRE CINQ

1907 Words
CHAPITRE CINQ Assis dans sa cage, Thanos attendait la mort. Il se tournait dans tous les sens, cuisant lentement sous le soleil de Delos pendant que, de l'autre côté de la cour, les gardes construisaient la potence sur laquelle il allait être tué. Thanos ne s'était jamais senti aussi impuissant. Ou aussi assoiffé. Ils l'avaient abandonné là, ne lui avaient donné ni à manger ni à boire. Ils ne prêtaient attention à Thanos que pour faire s'entrechoquer leurs épées à travers les barreaux de sa potence, pour le railler. Les domestiques traversaient la cour en tous sens et à la hâte. Ils se déplaçaient avec une urgence qui suggérait qu'il se passait quelque chose au château et que Thanos ne savait pas quoi. Ou peut-être était-ce simplement ce qui se passait peu après la mort d'un roi. Peut-être toute cette activité était-elle simplement due au fait que la Reine Athena gérait maintenant Delos de la façon qu'elle voulait. Thanos imaginait sans peine la reine en plein travail. Alors que d'autres auraient pu être la proie du chagrin, à peine capables d'assurer le minimum, Thanos l'imaginait parfaitement se servir de la mort de son mari comme d'une opportunité. Thanos serra plus fort les barreaux de la potence. En ce moment-là, il y avait de fortes chances pour qu'il soit le seul à vraiment regretter la mort de son père. Les domestiques et les gens de Delos avaient toutes les raisons de détester leur roi. Athena était probablement trop préoccupée par ses conspirations pour s'en soucier. Quant à Lucious … “Je te trouverai”, promit Thanos. “J'obtiendrai justice pour ça. Pour tout.” “Oh, justice sera faite, aucun doute”, dit un des gardes. “Dès qu'on t'étripera pour ce que tu as fait.” Il donna un coup aux barreaux et atteignit les doigts de Thanos avec une violence qui le fit siffler de douleur. Thanos essaya de saisir le bras du garde mais ce dernier se contenta de se placer habilement hors d'atteinte en riant et d'aller aider les autres à construire l'estrade sur laquelle Thanos devait finalement être tué. C'était une scène. Tout cela était un spectacle. En un unique instant de violence, Athena allait prendre le contrôle de l'Empire. D'un seul coup, elle allait se débarrasser de l'obstacle principal qui l'empêchait d'accéder au pouvoir et aussi montrer qu'elle restait à la tête du royaume même si ce serait son fils qui porterait la couronne. Peut-être croyait-elle même que ça allait vraiment se passer comme ça et, dans ce cas de figure, Thanos lui souhaitait bonne chance. Athena était mauvaise et cupide mais son fils était un fou sans limites. Il avait déjà tué son père et, si sa mère croyait qu'elle allait pouvoir le contrôler, alors, elle allait avoir besoin de toute l'aide disponible. Et aussi tous les citoyens de Delos, du paysan le plus humble jusqu'à Stephania. Ils seraient tous piégés et à la merci d'une famille royale qui n'en avait aucune. Quand il pensa à son épouse, Thanos grimaça. Il était venu ici pour la sauver et le résultat avait été tout différent. S'il n'avait pas été là, la situation se serait peut-être améliorée. Les gardes se seraient peut-être rendus compte que c'était Lucious qui avait tué le roi. Ils seraient peut-être passés à l'action au lieu d'essayer de tout passer sous silence. “Ou peut-être auraient-ils accusé la rébellion”, dit Thanos, “et donné une autre excuse à Lucious.” Il l'imaginait sans peine. Même si la situation allait de pire ne pire, Lucious trouverait toujours un moyen de rejeter la faute sur les autres. De plus, si Thanos n'avait pas été présent lors de l'agonie du roi, il n'aurait pas pu entendre son père le reconnaître comme son fils aîné. Il n'aurait pas appris qu'il pouvait en trouver la preuve à Felldust. Il n'aurait pas eu l'occasion de dire adieu ou de tenir son père pendant qu'il mourait. Ses regrets présents étaient tous dus au fait qu'il ne verrait jamais Stephania avant son exécution, qu'il ne pourrait jamais s'assurer qu'elle allait bien. Malgré tout ce qu'elle avait fait, il n'aurait pas dû l'abandonner sur ce quai. Il avait agi de façon égoïste, n'avait pensé qu'à sa colère et à son dégoût personnels. Cela lui avait coûté son épouse et la vie de son enfant. Cela allait probablement lui coûter sa propre vie, étant donné qu'il n'était là que parce que Stephania était piégée. S'il l'avait emmenée avec lui, s'il l'avait laissée en sécurité sur Haylon, rien de tout cela ne se serait produit. Thanos comprit alors qu'il n'y avait qu'une chose qu'il fallait qu'il fasse avant qu'on ne l'exécute. Il ne pourrait pas s'évader, ne pourrait pas espérer éviter ce qui l'attendait mais il pourrait quand même essayer d'arranger les choses. Il attendit qu'un autre des domestiques traverse la cour et se rapproche. Le premier auquel il fit signe continua à marcher. “Je t'en prie”, cria-t-il au deuxième, qui se tourna avant de secouer la tête et de poursuivre sa route. Le troisième, une jeune femme, s'arrêta. “Nous ne devons pas te parler”, dit-elle. “On nous a interdit de t'apporter à manger ou à boire. La reine veut que tu souffres pour avoir tué le roi.” “Je ne l'ai pas tué”, dit Thanos. Il tendit la main quand elle commença à se détourner. “Je ne m'attends pas à ce que tu me croies et je ne te demande pas d'eau. Pourrais-tu m'apporter un fusain et du papier ? La reine ne peut pas vous l'avoir interdit.” “Prévois-tu d'écrire un message pour la rébellion ?” demanda la domestique. Thanos secoua la tête. “Pas du tout. Tu pourras lire ce que j'écrirai si tu le veux.” “Je … j'essaierai.” On aurait dit qu'elle allait en dire plus mais Thanos vit un des gardes regarder dans leur direction et la domestique partit précipitamment. Thanos eut peine à patienter. Comment pouvait-on s'attendre à ce qu'il regarde les gardes construire la potence à laquelle on allait le pendre jusqu'à ce qu'il soit presque mort ou la grande roue sur laquelle on allait par la suite lui briser les membres ? Cette petite cruauté montrait que, même si la Reine Athena réussissait à contrôler son fils, l'Empire ne serait pas parfait, loin de là. Il était encore en train de penser à toutes les cruautés que Lucious et sa mère allaient pouvoir infliger au pays quand la domestique arriva avec quelque chose de glissé sous le bras. Ce n'était seulement qu'un reste de parchemin et un minuscule fusain mais elle les lui passa quand même aussi furtivement que s'ils avaient été la clé de sa liberté. Thanos prit les deux objets avec tout autant de soin. Il était certain que les gardes les lui enlèveraient, même si ce n'était que pour avoir une petite occasion supplémentaire de le faire souffrir. Même si certains des gardes n'étaient pas complètement corrompus par la cruauté de l'Empire, ils croyaient qu'il était le pire des traîtres et qu'il méritait tout ce qui lui arrivait. Il se recroquevilla sur le reste de parchemin et murmura les mots de son message, qu'il essaya d'écrire de façon à s'exprimer avec exactitude. Il écrivit en lettres minuscules car il savait qu'il en avait gros sur le cœur et qu'il allait falloir qu'il le fasse rentrer sur cette petite page : A mon épouse chérie, Stephania. Quand tu liras ceci, j'aurai été exécuté. Peut-être considéreras-tu que je l'ai mérité, après la façon dont je t'ai abandonnée. Peut-être ressentiras-tu un peu de la douleur que je ressens quand on t'aura forcé à faire trop de choses que tu ne voulais pas faire. Thanos essayait de trouver les mots qui correspondaient à ce tout ce qu'il ressentait. Il avait peine à noter tout ça, ou à trouver du sens au maelstrom déroutant de sentiments qui tourbillonnait en lui : Je … t'aimais vraiment et je suis venu à Delos pour essayer de te sauver. Je suis désolé de ne pas y être parvenu, même si je ne suis pas sûr que nous aurions pu nous remettre ensemble. Je … sais à quel point tu as été heureuse d'apprendre que nous allions avoir un enfant et j'ai moi aussi ressenti beaucoup de joie. Malgré cela, mon plus grand regret est que nous ne verrons jamais le fils ou la fille qui aurait pu naître. Cette simple pensée le fit plus souffrir que tous les coups que les gardes lui avaient donnés. Il aurait dû revenir plus tôt pour libérer Stephania. Il n'aurait jamais dû l'abandonner. “Je suis désolé”, murmura-t-il, conscient qu'il n'aurait pas assez de place pour écrire tout ce qu'il voulait dire. Il ne pouvait assurément pas dévoiler tous ses sentiments dans un message qu'il allait confier à une inconnue. Il espérait seulement que ce court message suffirait. Il aurait pu en écrire beaucoup plus mais, finalement, il avait dit l'essentiel. Son chagrin que tout ait mal tourné. Le fait qu'il y ait eu de l'amour entre eux. Il espéra que cela suffirait. Thanos attendit que la domestique repasse près de lui et l'arrêta en tendant le bras. “Peux-tu apporter ce message à Lady Stephania ?” demanda-t-il. La domestique secoua la tête. “Je suis désolée mais non.” “Je sais que je te demande beaucoup”, dit Thanos. Il comprenait le risque qu'il demandait à la domestique de prendre. “Cela dit, si qui que ce soit peut le lui apporter pendant qu'elle est encore enfermée —” “Ce n'est pas ça”, dit la domestique. “Lady Stephania n'est pas ici. Elle est partie.” “Partie ?” répéta Thanos. “Quand ?” La domestique écarta les mains. “Je ne sais pas. J'ai entendu une de ses servantes en parler. Elle est partie en ville et elle n'est pas revenue.” S'était-elle échappée ? Avait-elle réussi à quitter le château sans son aide ? Sa servante avait dit que c'était impossible, mais est-ce que Stephania avait quand même trouvé un moyen ? Il pouvait espérer que ce soit possible, n'est-ce pas ? Thanos y pensait encore quand il se rendit compte que toute activité avait pris fin autour de la potence. Quand il regarda, il n'eut aucun mal à comprendre pourquoi. Le travail était fini. Des gardes attendaient à côté, en admiration visible devant leur construction. Un nœud coulant pendait, sombre sur fond de ciel. Une roue et un brasier se trouvaient à côté. Au dessus de tout le reste trônait une grande roue équipée de chaînes. Un énorme marteau gisait par terre à côté. A présent, Thanos voyait les gens se rassembler. Les gardes étaient disposés en cercle autour des bords de la cour. On aurait dit qu'ils étaient là aussi bien pour empêcher d'autres personnes de se mêler de leurs affaires que pour voir Thanos mourir de leurs propres yeux. Au-dessus, Thanos voyait des domestiques et des nobles contempler la scène depuis leurs fenêtres. Certains semblaient ressentir de la pitié, d'autres étaient impassibles et d'autres franchement haineux. Thanos en vit même quelques-uns contempler la scène perchés sur les toits parce qu'ils n'avaient aucun autre endroit d'où le faire. On aurait dit que, pour eux, c'était l'événement social de la saison, pas une exécution, et cette idée éveilla la colère en Thanos. “Traître !” “Assassin !” Les huées descendirent des fenêtres et les insultes furent suivies par des fruits. Ce fut le plus dur à supporter. Thanos avait cru que ces gens le respectaient et sauraient qu'il n'aurait jamais pu faire ce dont on l'avait accusé, mais ils le raillaient comme s'il était le pire des criminels. Ils ne l'insultaient pas tous mais étaient quand même nombreux à le faire et Thanos se mit à se demander s'ils le détestaient vraiment à ce point ou s'ils voulaient juste montrer au nouveau roi et à sa mère de quel côté ils étaient. Quand ils vinrent le chercher, le traîner hors de sa potence, il se débattit. Il donna des coups de poings et de pieds, les frappa et essaya de se libérer en se tortillant mais ce n'était jamais assez. Les gardes lui saisirent les bras, les lui tordirent dans le dos et les lui attachèrent. Alors, Thanos arrêta de se battre mais seulement parce qu'il voulait faire preuve d'un minimum de dignité en ce moment-là. Ils l'emmenèrent pas à pas jusqu'à la potence qu'ils avaient construite. Sans y être forcé, Thanos monta sur le tabouret qu'ils avaient installé sous le nœud coulant. S'il avait de la chance, sa chute lui romprait peut-être les vertèbres et les frustrerait du reste de leur cruel amusement. Quand ils lui passèrent le nœud coulant autour du cou, il se mit à penser à Ceres, à tout ce qui aurait pu être différent. Il avait voulu changer les choses. Il avait voulu améliorer les choses et vivre avec elle. Il aurait voulu … Cependant, il n'avait plus le temps de vouloir quoi que ce soit. Il sentit les gardes écarter le tabouret d'un coup de pied et le nœud coulant se resserrer autour de son cou.
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