Notice
À Paris, 1845. C’était une très belle personne, extraordinairement intelligente, et qui vint plusieurs fois verser son cœur à mes pieds, disait-elle. Je vis parfaitement qu’elle posait devant moi et ne pensait pas un mot de ce qu’elle disait la plupart du temps. Elle eût pu être ce qu’elle n’était pas. Aussi n’est-ce pas elle que j’ai dépeinte dans Isidora.
GEORGE SAND
Nohant, 17 janvier 1853.
Première partie
JOURNAL D’UN SOLITAIRE À PARIS
Il y a quelques années, un de nos amis partant pour la Suisse nous chargea de ranger des papiers qu’il avait laissés à la campagne, chez sa mère, bonne femme peu lettrée, qui nous donna le tout, pêle-mêle, à débrouiller. Beaucoup des manuscrits de Jacques Laurent avaient déjà servi à faire des sacs pour le raisin, et c’était peut-être la première fois qu’ils étaient bons à quelque chose. Cependant nous eûmes le bonheur de sauver deux cahiers qui nous parurent offrir quelque intérêt. Quoiqu’ils n’eussent rien de commun ensemble, en apparence, la même ficelle les attachait, et nous prîmes plaisir à mettre en regard les interruptions d’un de ces manuscrits avec les dates de l’autre ; ce qui nous conduisit à en faire un tout que nous livrons à votre discrétion bien connue, amis lecteurs. Nous avons désigné ces deux cahiers par les numéros 1 et 2, et par les titres de Travail et Journal. Le premier était un recueil de notes pour un ouvrage philosophique que Jacques Laurent n’a pas encore terminé et qu’il ne terminera peut-être jamais. Le second était, un examen de son cœur et un récit de ses émotions qu’il se faisait sans doute à lui-même.