Sixième aventure
Comment le Frère convers ne détacha pas les chiens.
Mais, pour surcroît de danger, en s’éloignant de la Mésange afin de rentrer dans le bois, il se trouve en présence d’un de ces demi-vilains, demi-valets qui, par charité ou pour quelque redevance, obtenaient la faveur de vivre de la vie des moines, qu’ils servaient ou dont ils gardaient les terres et les courtils. On les désignait sous le nom de Frères convers ou convertis à la vie monacale ; gens peu considérés, et qui méritaient rarement de l’être davantage. Celui-ci avait la charge de tenir en laisse deux veautres ou lévriers. Bientôt le premier valet qui aperçoit Renart lui crie à haute voix : délie, délie ! Renart comprend le danger ; au lieu de tenter une fuite devenue impossible, il aborde résolument le Frère convers, qui s’adressant à lui : « Ah ! méchante bête, c’est fait de vous ! – Sire religieux, dit Renart, vous ne faites pas que prudhomme : aucun ne doit être privé de son droit. Ne voyez-vous pas qu’entre les autres chiens et moi, nous courons un enjeu que gagnera le premier arrivé ? Si vous lâchez les deux veautres, ils m’empêcheront de disputer le prix, et vous en aurez tout le blâme. »
Le Frère convers, homme simple de sa nature, réfléchit, se gratta le front : « Par Notre-Dame, se dit-il, damp Renart pourrait bien avoir raison. » Il ne lâcha donc pas les lévriers, et se contenta de souhaiter bonne chance à Renart. Celui-ci, pressant alors le pas, s’enfonce dans les taillis et, toujours poursuivi, s’élance dans une plaine que terminait un large fossé. Le fossé est à son tour franchi, et les chiens, après un moment d’incertitude, perdent ses pistes et retournent. Mis à l’abri de leurs dents cruelles, Renart put enfin se reconnaître. Il était épuisé de fatigue ; mais il avait mis en défaut ses ennemis, et si quelques heures de repos ne le rassasièrent pas, au moins elles lui rendirent sa légèreté et toute son ardeur de chasse et de maraude.