Port de Naples, 1909Le port grouillait de miséreux. Il y avait aussi quelques bourgeois. Mais pas beaucoup, et seulement de passage. Les bourgeois prenaient un autre navire, pas celui-là. Cetta regardait les gens par un hublot sale, au cadre rouillé. La plupart de ces misérables resteraient à terre, ils ne partiraient pas. Ils attendraient une autre occasion, tenteraient à nouveau de monter à bord, mettraient en gage leurs pauvres effets en espérant pouvoir s’acheter un billet pour l’Amérique et, dans l’attente d’un autre navire, dilapideraient leur petite fortune. Et ils ne partiraient jamais.
Mais Cetta, elle, partait.
Et elle ne pensait à rien d’autre en regardant par le hublot sale, tandis qu’elle entendait derrière elle le petit Natale, maintenant âgé de six mois, s’agiter fébrilement dans son panier en osier, sous la couverture en laine pleine de poils que la femme élégante à laquelle Cetta l’avait dérobée utilisait pour assurer le confort de son petit chien. Cetta ne pensait qu’à son long voyage en mer tandis que coulait le long de ses cuisses le liquide froid et visqueux qu’elle avait déjà connu le jour de son viol. Elle ne pensait qu’à l’Amérique tandis que le capitaine reboutonnait son pantalon, satisfait, promettant de revenir la voir avec un quignon de pain et un peu d’eau en début d’après-midi, et riait en s’exclamant qu’ils allaient bien s’amuser, tous les deux! Ce n’est qu’après l’avoir entendu verrouiller la porte en fer de l’extérieur que Cetta s’éloigna du hublot et se frotta les cuisses avec la paille qui recouvrait le sol de la soute, sans se soucier des égratignures. Elle prit Natale dans ses bras, sortit un sein encore rougi par la pression des mains du capitaine et donna le mamelon au bâtard qu’elle emmenait avec elle. Puis, alors que l’enfant s’endormait dans sa couche qui puait le chien, Cetta se recroquevilla dans le coin le plus sombre de la soute et, les larmes sillonnant ses joues, elle se dit: «Elles sont salées comme la mer qui me sépare de l’Amérique. Elles ont déjà le goût de l’océan!» et elle les lécha en essayant de sourire. Enfin, quand la sirène commença à faire retentir ses notes sombres et sourdes dans l’air du port, annonçant qu’on levait l’ancre, Cetta s’endormit – elle se raconta l’histoire d’une petite fille de quinze ans qui s’enfuyait de chez elle, toute seule, avec son petit bâtard, pour aller rejoindre le royaume des fées.