Chapitre 5 - Le cheval rouge.

1553 Words
Chapitre 5 - Le cheval rouge. E n regagnant son matelas, qui était de l’autre côté de mon lit Gustave me dit : – Comme cela, nous n’avons plus que soixante-cinq francs. J’ai lieu de croire que le brave Gilles Macé l’entendit. – Maintenant, mes bénis enfants, nous dit-il, vous allez me laisser éteindre ma lumière, pas vrai ?… J’ai fait là une affaire de dindon, mais ça vous a rendu service et je n’en serai pas beaucoup plus pauvre… Dormez comme de bons petits amours. Demain matin, vous monterez avec moi dans ma carriole, et je vous ferai passer sans danger ce fameux fond de la Morinière où Pierre Danet et sa femme ont été étranglés. Nous nous confondîmes en actions de grâces. Quelle chance était la nôtre ! avoir précisément trouvé un homme pareil sur notre chemin, dans un pays souillé de tant de crimes ! Je fus longtemps avant de m’endormir. L’idée d’aller en carriole m’affolait. Je commençais à reposer, lorsque la voix de notre sauveur m’éveilla en sursaut. – Allons, mes bénis enfants, nous ferons une autre fois la grasse matinée, pas vrai ? disait-il ; debout, et vitement. Je vais me détourner de ma route pour vous charroyer. Si nous pouvons sortir avant que cette séquelle soit éveillée, nous serons sûrs au moins de n’être pas suivis. Le jour commençait à peine à poindre. Nous nous levâmes docilement, Gustave et moi. Notre toilette ne fut pas longtemps à faire. Pendant que je secouais ma jupe et que je passais à l’eau mes mains et ma figure, le bon Gilles Macé était descendu à l’écurie pour atteler lui-même sa carriole. Gustave et moi nous ne tarîmes pas sur ses éloges. Sans cette rencontre providentielle, combien de calamités seraient tombées sur nous ! Dieu avait mis, dans sa bonté, le remède auprès du mal. Il avait suffi de ce juste pour paralyser les mauvais desseins de Perrin Doulais, de la Michonne et du reste. Ah ! pourquoi ne pouvait-il pas suivre le même chemin que nous et guider ses protégés tout le long du voyage ! – En roule ! dit-il aussitôt qu’il rentra ; j’ai dans ma carriole quelque chose de trop précieux pour l’exposer. Dépêchons-nous, pas vrai ? et vite ! Nous payâmes la considérable mère Guénée, qui était déjà debout, et qui nous jeta, je m’en souviens bien, le même regard de compassion dont elle nous avait gratifiés la veille. De la compassion ! à nous qui allions voyager en carrosse ! – Quoi donc avez-vous là derrière ? demanda une des servantes à Gilles Macé. Celui-ci mit un doigt sur sa bouche. – Ca vaut cher, répondit-il ; j’ai fait un bon marché là-bas… quoique les affaires sont bien crevantes… A vous revoir ! La carriole s’ébranla. Elle était divisée en deux compartiments par une toile qui me rappela la serpillière de la Noué. Nous étions sur le devant. Le père Macé n’avait pas voulu dire à la servante ce qu’il y avait derrière. – Mes bénis enfants, nous dit le digne homme quand nous eûmes fait une demi-lieue, vous ne croiriez pas ça, pas vrai ? Eh bien ! ça me fait de la peine de vous quitter. – Déjà ! m’écriai-je toute désolée. – Bientôt… Dès que nous aurons passé le fond, je prendrai la traverse pour descendre à Presles… Mais vous êtes si novices que j’ai peur pour vous… Je gage bien que votre argent ne tiendra pas longtemps dans vos poches. Il pouvait en effet tenir cette gageure-là, le traître maquignon. – Si vous nous donniez de bons conseils… commença Gustave. – Ta ta ta !… les conseils !… ça entre par une oreille, ça sort par l’autre… Vous ne savez pas à quoi je pense ? – A quoi pensez-vous, mon bon monsieur Macé ? – A changer votre pauvre argent en quelque chose qui vaille autant et mieux, mais qui ne puisse pas vous être volé. Nous le regardâmes émerveillés. – En quelque chose, poursuivit-il, qui puisse par-dessus le marché vous servir de carriole et vous faire éviter les mauvaises rencontres… – Quoi donc, fîmes-nous à l’unisson, qui pourrait nous servir de carriole et remplacer notre argent ? Depuis le commencement du voyage, le bonhomme glissait souvent sa main derrière la toile qui fermait le fond de son véhicule. On aurait dit qu’il donnait le grain à des poules. Au lieu de répondre, il cligna de l’œil comme il faisait toujours dans les grandes circonstances, et souleva brusquement la draperie. Nous nous retournâmes en même temps, Gustave et moi. Nous vîmes un grand diable de cheval rouge qui était couché tout de son long sur la paille. En regagnant son matelas, qui était de l’autre côté de mon lit Gustave me dit : – Comme cela, nous n’avons plus que soixante-cinq francs. J’ai lieu de croire que le brave Gilles Macé l’entendit. – Maintenant, mes bénis enfants, nous dit-il, vous allez me laisser éteindre ma lumière, pas vrai ?… J’ai fait là une affaire de dindon, mais ça vous a rendu service et je n’en serai pas beaucoup plus pauvre… Dormez comme de bons petits amours. Demain matin, vous monterez avec moi dans ma carriole, et je vous ferai passer sans danger ce fameux fond de la Morinière où Pierre Danet et sa femme ont été étranglés. Nous nous confondîmes en actions de grâces. Quelle chance était la nôtre ! avoir précisément trouvé un homme pareil sur notre chemin, dans un pays souillé de tant de crimes ! Je fus longtemps avant de m’endormir. L’idée d’aller en carriole m’affolait. Je commençais à reposer, lorsque la voix de notre sauveur m’éveilla en sursaut. – Allons, mes bénis enfants, nous ferons une autre fois la grasse matinée, pas vrai ? disait-il ; debout, et vitement. Je vais me détourner de ma route pour vous charroyer. Si nous pouvons sortir avant que cette séquelle soit éveillée, nous serons sûrs au moins de n’être pas suivis. Le jour commençait à peine à poindre. Nous nous levâmes docilement, Gustave et moi. Notre toilette ne fut pas longtemps à faire. Pendant que je secouais ma jupe et que je passais à l’eau mes mains et ma figure, le bon Gilles Macé était descendu à l’écurie pour atteler lui-même sa carriole. Gustave et moi nous ne tarîmes pas sur ses éloges. Sans cette rencontre providentielle, combien de calamités seraient tombées sur nous ! Dieu avait mis, dans sa bonté, le remède auprès du mal. Il avait suffi de ce juste pour paralyser les mauvais desseins de Perrin Doulais, de la Michonne et du reste. Ah ! pourquoi ne pouvait-il pas suivre le même chemin que nous et guider ses protégés tout le long du voyage ! – En roule ! dit-il aussitôt qu’il rentra ; j’ai dans ma carriole quelque chose de trop précieux pour l’exposer. Dépêchons-nous, pas vrai ? et vite ! Nous payâmes la considérable mère Guénée, qui était déjà debout, et qui nous jeta, je m’en souviens bien, le même regard de compassion dont elle nous avait gratifiés la veille. De la compassion ! à nous qui allions voyager en carrosse ! – Quoi donc avez-vous là derrière ? demanda une des servantes à Gilles Macé. Celui-ci mit un doigt sur sa bouche. – Ca vaut cher, répondit-il ; j’ai fait un bon marché là-bas… quoique les affaires sont bien crevantes… A vous revoir ! La carriole s’ébranla. Elle était divisée en deux compartiments par une toile qui me rappela la serpillière de la Noué. Nous étions sur le devant. Le père Macé n’avait pas voulu dire à la servante ce qu’il y avait derrière. – Mes bénis enfants, nous dit le digne homme quand nous eûmes fait une demi-lieue, vous ne croiriez pas ça, pas vrai ? Eh bien ! ça me fait de la peine de vous quitter. – Déjà ! m’écriai-je toute désolée. – Bientôt… Dès que nous aurons passé le fond, je prendrai la traverse pour descendre à Presles… Mais vous êtes si novices que j’ai peur pour vous… Je gage bien que votre argent ne tiendra pas longtemps dans vos poches. Il pouvait en effet tenir cette gageure-là, le traître maquignon. – Si vous nous donniez de bons conseils… commença Gustave. – Ta ta ta !… les conseils !… ça entre par une oreille, ça sort par l’autre… Vous ne savez pas à quoi je pense ? – A quoi pensez-vous, mon bon monsieur Macé ? – A changer votre pauvre argent en quelque chose qui vaille autant et mieux, mais qui ne puisse pas vous être volé. Nous le regardâmes émerveillés. – En quelque chose, poursuivit-il, qui puisse par-dessus le marché vous servir de carriole et vous faire éviter les mauvaises rencontres… – Quoi donc, fîmes-nous à l’unisson, qui pourrait nous servir de carriole et remplacer notre argent ? Depuis le commencement du voyage, le bonhomme glissait souvent sa main derrière la toile qui fermait le fond de son véhicule. On aurait dit qu’il donnait le grain à des poules. Au lieu de répondre, il cligna de l’œil comme il faisait toujours dans les grandes circonstances, et souleva brusquement la draperie. Nous nous retournâmes en même temps, Gustave et moi. Nous vîmes un grand diable de cheval rouge qui était couché tout de son long sur la paille.
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