les femmes haïtiennes

2066 Words
Les femmes haïtiennes ont été reconnues comme étant plus susceptibles de développer des troubles liés à un traumatisme en raison de leur vulnérabilité face aux différents types de violence, y compris la violence conjugale, la violence civile et le désordre politique. Une étude réalisée par Roseline Benjamin, une psychologue qui travaille à Port-au￾Prince avec les victimes de violence conjugale a révélé que parmi les 1 505 femmes résidant dans les neuf départements, 70 % avaient été victimes de violence, dont 37 % de violences à caractère sexuel et 33 % de violences à caractère physique. Le plus souvent, l’agresseur est connu de la victime (65 %) ou est son partenaire (36 %). Plusieurs femmes développent ultérieurement des symptômes du syndrome de stress post-traumatique (SSPT), de dépression, d’anxiété et des troubles somatiques » (Jaimes et al., 2008). Une autre psychologue haïtienne, Norah Desroches Salnave, qui voit de nombreux jeunes patients issus de différents milieux chaque semaine à Port-au-Prince, a constaté qu’environ 40 % d’entre eux avaient des problèmes qui pouvaient être liés à la violence, aux enlè- vements, à la mort d’un membre de la famille, au viol et aux violences liées aux gangs (Jaimes et al., 2008). Le climat de terreur qui sévit dans certaines parties du pays crée une insécurité chronique, aggravée par la violence vécue par les enfants à l’école ou à domicile. Les effets de la violence sur le développement psychologique des enfants peuvent être graves. Il peut s’agir en outre de retards dans le développement, de difficultés sociales, de troubles affectifs, de problèmes comportemen￾taux ou de difficultés scolaires. Les effets du traumatisme sont visibles non seulement dans les variantes locales des troubles d’anxiété, de la dépression et du SSPT, mais aussi dans d’autres conflits émotionnels et idiomes de détresse. En écrivant sur la violence et les traumatismes dans le contexte du coup d’État de 1991-1994 et les années qui suivirent, James a constaté que « les complaintes les plus fréquentes parmi les viktim [victimes] avaient été les sentiments de honte, d’humiliation, d’impuissance ainsi que l’isolement ou la séparation de leurs familles et leurs communautés » (2004, 137). Tant les hommes que les femmes ont déploré leur incapacité à assumer leurs rôles sociaux en tant que pourvoyeurs des besoins de leurs enfants, et les hommes ont notamment exprimé leur rage à propos de leur perte de statut et de biens. La honte des hommes vis-à-vis de leur incapacité à agir en tant que pourvoyeurs a souvent mené à l’abandon des enfants et du partenaire conjugal, entraînant une vulnérabilité accrue pour ces derniers. Les travailleurs humanitaires peuvent parfois être surpris par la structure des récits de traumatisme qui ne concorde pas avec les styles locaux de narration. James (2004) décrit la structure de récits de traumatismes de victimes en Haïti, structure qui ne suit pas toujours un déroulement linéaire, et il discute du fait que ces récits pourraient parfois être falsifiés ou contrefaits par les victimes dans le but d’obtenir de l’aide. Cela fait partie de ce que James appelle « la culture de la victime » d’Haïti qui est la conséquence des interventions des organi￾sations d’aide. Dans une certaine mesure, l’incohérence des récits reflète l’instabilité des organisations d’aide elles-mêmes. «Les groupes internationaux et nationaux d’aide humanitaire et d’aide au dévelop￾pement sont souvent éphémères, ne rendant des comptes qu’à leurs propres donateurs et parties prenantes qui sont en dehors de la réalité locale. Ces groupes peuvent, en raison des ressources limitées dispo￾nibles, ne pas avoir un regard constant sur les souffrances des receveurs d’aide, et en particulier sur ceux qui souffrent dans des conditions d’insécurité chronique. » (James, 2010, 112). James (2004) aborde également le désarroi associé au fait d’être incapable de retrouver ses parents après une catastrophe. Au sujet d’une dame de plus de soixante ans dont le fils a disparu en 1992, elle écrit : « Son tourment permanent est de ne pas savoir si son fils est mort. Et s’il l’est, l’incapacité à pouvoir enterrer le corps selon les rites funéraires en vigueur laisse la mère dans un état de vide moral et la rend vulnérable à la hantise et à la persécution des zonbi, une manifestation de l’âme du défunt. » (p. 138). Troubles dissociatifs et autres diagnostics traditionnels Diverses formes de possession qui se manifestent dans des transes ainsi que d’autres phénomènes dissociatifs peuvent être présents en Haïti, en partie en raison de leur relation aux pratiques vaudoues (Bourguignon, 2004, 558). La possession par les esprits vaudous (lwa-s) peut donner aux femmes le pouvoir de diagnostiquer, guérir, ou devenir leaders au sein de leur communauté, et cela peut revêtir différentes significations en fonction de l’expérience de la personne. Selon Bourguignon, une caractéristique frappante de possession manifestée dans les transes est que les esprits qui possèdent, en général les femmes, préservent les motivations fonda￾mentales de la personne ; la dissociation étant « au service du moi ». Dans les situations de subordination ou d’oppression, incarner un esprit puis￾sant lors des transes de possession fournit aux femmes un moyen acceptable (et pouvant être dénié consciemment) d’exprimer des désirs inconscients ou interdits, ainsi que des pensées et des sentiments. Sezisman, qui signifie littéralement « saisi » ou « surpris », est un état de paralysie généralement provoqué par un choc soudain mettant en jeu une grande colère, de l’indignation ou de la tristesse ou plus rare￾ment un bonheur extrême (Bourguignon, 1984 ; Nicolas et al., 2006). Les principales causes comprennent : recevoir des nouvelles tristes au sujet d’un être cher, être témoin d’un événement traumatique, voir des personnes mourir, vivre une crise familiale ou être victime de blessures narcissiques (injures, perte d’emploi). En bref, l’état sezisman est pro￾voqué par un choc de situations ou d’événements imprévus. La spéci￾ficité catalytique de l’état sezisman concerne les femmes: il est admis que donner des nouvelles choquantes ou des mauvaises nouvelles à une femme enceinte peut provoquer une fausse couche, un accouchement prématuré, une déformation du fœtus, la mort de la femme ou une contamination du lait maternel (lèt gate, voir aussi Farmer, 1988). De grands efforts sont donc déployés pour protéger la femme enceinte des mauvaises nouvelles. Selon les Haïtiens, sezisman implique le dépla￾cement de sang vers la tête, provoquant potentiellement une perte de la vue, des céphalées, de l’hypertension, des accidents vasculaires céré- braux, un infarctus ou la mort (Laguerre, 1981, 1987). La personne devient dysfonctionnelle, désorganisée et confuse. Certaines réactions typiques incluent le fait de ne plus répondre aux stimuli extérieurs, de pleurer, de refuser de parler ou de manger. La personne peut également toufé (s’étouffer). Les réactions individuelles à la maladie varient consi￾dérablement et influencent la durée du sezisman, qui peut se prolonger quelques heures ou quelques jours. En cas de sezisman, la famille aidera la personne à se reposer, à boire des tisanes, lui appliquera des com￾presses froides sur le front et pourra recommander la visite d’un gué- risseur spirituel tel un prêtre, un pasteur, un oungan ou un Manbo. Endispozisyon («malaise ») fait référence à des périodes de faiblesse, d’évanouissement ou « de chute » qui peuvent se produire suite à un désarroi émotionnel et en particulier lorsque la douleur et les souffrances deviennent insupportables (Philippe et Romain, 1979). Selon les croyances populaires, l’endispozisyon est due au sang chaud ou au mauvais sang. L’endispozisyon est plus fréquente chez les femmes. Par exemple, une femme peut tomber quand elle reçoit une mauvaise nouvelle au sujet d’un être cher. Certaines maladies corpo￾relles (par exemple, les crampes menstruelles, la douleur) peuvent aussi causer une endispozisyon. Pèdisyon se réfère à un état culturellement reconnu dans lequel une femme est considérée comme portant un enfant, mais la progression de la grossesse est arrêtée (Coreil et al., 1996). La grossesse commence normalement, mais, selon la croyance populaire, à un certain moment le sang de l’utérus est dévié du fœtus, qui cesse alors de se développer. Ce phénomène se produirait suivant ce que les praticiens de la biomédecine appellent une fausse couche ou dans des situations d’infertilité (Murray, 1976). L’état de grossesse arrêtée peut durer plusieurs mois ou années. Bien que la femme croit qu’elle est toujours enceinte et que médicale￾ment ce ne soit pas le cas, cet état se différencie de la pseudocyesis (grossesse nerveuse), car d’autres acceptent également la réalité de la grossesse. Pèdisyon est généralement un diagnostic collectif auquel est parvenu une femme, sa famille et ses pairs, et il peut permettre aux femmes stériles d’invoquer le statut « d’être avec l’enfant » ou constituer un moyen d’attribuer la paternité aux partenaires (Murray, 1976). Il peut également fournir une explication à la mortalité féminine associée à la perte de sang, aux tumeurs ou toute autre cause inconnue. 4. Services de santé Ressources formelles et informelles en santé mentale Près de la moitié de la population d’Haïti n’a pas accès aux services de santé formels (Caribbean Country Management Unit, 2006). Seuls 30 % des établissements de soins de santé sont publics et la plupart d’entre eux se trouvent dans les zones urbaines. Dans les zones rurales, 70 % des services de santé sont dispensés par des organismes non gouvernementaux et comprennent essentiellement les soins de santé primaires. Un certain nombre d’hôpitaux sont gérés par des fondations privées (Caribbean Country Management Unit, 2006). En Haïti, la plupart des personnes valorisent les services professionnels biomédi￾caux, mais elles ne sont pas en mesure d’accéder à ce type de soins en raison d’obstacles structurels tels que le coût, la distance et l’empla￾cement. Le système de soins de santé en Haïti peut être divisé en quatre secteurs: 1. les institutions publiques gérées par le ministère de la Santé publique et de la Population (MSPP); 2. le secteur à but non lucratif privé, composé d’ONG et d’orga￾nisations religieuses; 3. le secteur à but non lucratif mixte, où le personnel est payé par le gouvernement, mais la gestion est assurée par le secteur privé ; 4. le secteur privé à but lucratif, qui comprend les médecins, den￾tistes, infirmières et autres spécialistes travaillant en cabin doktè zo (ramancheurs), ils soignent des maladies telles que les fractures, les troubles musculosquelettiques ou articulaires; • pikirist (poseurs d’injections), ils administrent des préparations parentérales de phytothérapie ou des médicaments occidentaux (Miller, 2000); • fanm saj (sages-femmes), elles prodiguent les soins périnataux et postnataux. Au cours des dernières années, les Haïtiens ont mobilisé un réseau de ressources communautaires pour sensibiliser la population aux questions sociales liées à divers problèmes comme la violence faite aux femmes et les droits des enfants. Ces regroupements populaires servent également de groupes d’entraide et de soutien pour les personnes confrontées à de graves événements dans leur vie et au stress permanent. Des groupes d’entraide pour aider à faire face à la maladie ont égale￾ment vu le jour, mais ils ont typiquement tendance à se concentrer non pas sur la maladie, mais sur la religion et la spiritualité, sur des activités artistiques et d’expression et des moyens de générer des revenus afin d’améliorer la capacité des participants et de leurs familles à subvenir à leurs besoins. Naissance. Dans les zones rurales, les sages-femmes (appelées matwòn ou fanm saj) accouchent et donnent la plupart des soins prénataux et postnataux à la mère et l’enfant. Les vaccinations ne sont pas facilement disponibles pour les résidents ruraux. La mère et l’enfant restent isolés durant le premier mois ou 40 jours, pendant lesquels le cercle de femmes proches subvient à leurs besoins. Cette période d’iso￾lement découle de la croyance très répandue sur les maladies mater￾nelles qui pourraient être causées par un refroidissement rapide et excessif du corps. Si la mère se refroidit, on croit que le déséquilibre peut se transmettre au bébé par le lait maternel, provoquant le tétanos et la diarrhée. La mère doit également éviter le move san («mauvais sang », la détresse causée par une frayeur ou l’exposition à des émotions négatives), car cela peut causer le lèt gate (lait gâché), ainsi que de la diarrhée, des éruptions cutanées et un retard de croissance du nour￾risson. Le lait maternel peut devenir trop épais et donner des maux de tête à la mère, provoquant une dépression chez la mère et un impétigo chez le nourrisson. Farmer décrit le move san comme « une maladie causée par des affections malignes de la colère née de conflits inter￾personnels, d’un choc, d’une tristesse, d’une inquiétude chronique et d’autres émotions perçues comme potentiellement néfastes » (1988, 63). On soupçonne également le syndrome move san de pouvoir évoluer vers le sida
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