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L'Hôtel du Nord

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Extrait : "Emile Lecouvreur tira sa montre, elle marquait 2h.20. M. Mercier, marchand de fonds, lui avait donné redez-vous sur le quai de Jemmapes, près du poste-vigie, pour 2 heures précises. Il chercha mentalement à excuser ce retard et dit à sa femme et à son fils qui s'impatientaient : – C'est un type qui s'y connaît, on peut avoir confiance. Il regarda d'un œil plein de convoitise l'Hôtel du Nord qui se dressait de l'autre côté de la rue."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de qualité de grands livres de la littérature classique mais également des livres rares en partenariat avec la BNF. Beaucoup de soins sont apportés à ces versions ebook pour éviter les fautes que l'on trouve trop souvent dans des versions numériques de ces textes.

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• Jeunesse

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I
IEmile Lecouvreur tira sa montre, elle marquait 2 h. 20. M. Mercier, marchand de fonds, lui avait donné rendez-vous sur le quai de Jemmapes, près du poste-vigie, pour 2 heures précises. Il chercha mentalement à excuser ce retard et dit à sa femme et à son fils qui s’impatientaient : – C’est un type qui s’y connaît, on peut avoir confiance. Il regarda d’un œil plein de convoitise l’Hôtel du Nord qui se dressait de l’autre côté de la rue. Louise Lecouvreur proposa : – Si on entrait ? On dirait aux Goutay qu’on est les acheteurs. De ce temps-là, M. Mercier sera peut-être arrivé. – Le voilà justement ! fit Lecouvreur. Il tira sur ses manches et toucha gauchement sa casquette. Il avait conscience d’être à un moment décisif de sa vie. Il fut saisi par l’importance du personnage qui s’avançait. M. Mercier n’eut aucune peine à expliquer son retard. Il l’attribua à une vente sur folle enchère, compliquée de « purge ». Lecouvreur hochait la tête avec gravité. Il devait, pensa-t-il, s’agir d’une maladie. Ils traversèrent la rue, M. Mercier et Lecouvreur côte à côte, Louise suivant avec son fils Maurice. M. Mercier ouvrit la porte de l’hôtel ; cérémonieusement il introduisit Louise Lecouvreur qui, un feu aux ; joues, se tenait derrière son mari. Philippe Goutay, au comptoir, rinçait des verres. On fit les présentations. Mme Goutay apparut sur le seuil de la cuisine. Elle s’excusa d’être surprise en souillon. – J’étais après la vaisselle, dit-elle. Je cours changer de tablier et je vous suis, La visite de l’hôtel commença. On accédait au premier étage par un escalier étroit et raide qui se coudait à mi-chemin pour ménager la percée d’une fenêtre. Sur le palier s’ouvrait un couloir desservant les chambres. La lumière arrivait d’une petite cour intérieure que le groupe franchit sur une passerelle, ensuite ce fut l’ombre dans le couloir. Lecouvreur s’en inquiéta : – Mais, dites-moi… on se croirait dans un tunnel. Tout était noir, impossible de lire sur les portes les numéros des chambres. M. Goutay fit observer qu’en février la nuit tombait vite. L’été, le couloir resplendissait. Il ajouta, magnifique : – Du reste l’électricité est partout…, et après une pause : même aux cabinets. Les visiteurs marchaient à la file. Les portes, espacées de deux mètres en deux mètres, faisaient dans la nuit des taches d’un noir plus épais. Lecouvreur en compta treize, toutes à sa gauche. L’étage visité, ils revinrent sur leurs pas et gagnèrent le second. C’est alors que Louise Lecouvreur demanda à voir les chambres. Mme Goutay, pincée, lui répondit : – Bien sûr, Madame, bien sûr. C’est tout au grand jour ici… Philippe, tu as les clés ? Au hasard, sembla-t-il, M. Goutay ouvrit une porte. La chambre était si petite qu’il n’y pouvait guère tenir qu’un visiteur à la fois. Ils y pénétrèrent tous les six, à tour de rôle. Louise Lecouvreur s’y attarda. Une lumière grise s’accrochait aux rideaux déchirés, un papier à fleurs déteint attristait les murs ; le lit se trouvait serré entre une armoire de bois blanc et la table de toilette ; dans un coin, près du seau hygiénique, traînait une paire de vieux souliers. L’exiguïté, le dénuement, l’odeur de ce lieu, créaient un malaise. Louise Lecouvreur se détourna. Ses compagnons avaient disparu. Elle les entendait bavarder dans le couloir ; sans doute visitaient-ils d’autres chambres. Pour elle, celle-ci suffisait. Emile Lecouvreur ne s’étonnait pas de cette indigence. Durant la guerre n’en avait-il pas vu d’autres ; et des nuits dans les granges, ou même « à l’auberge de la belle étoile », comme il disait en riant. Il fallait aussi considérer le prix des chambres : à ce tarif-là, pouvait-on mieux offrir ? D’ailleurs toutes ces salissures partout prouvaient bien que les locataires se souciaient peu de propreté ; cet inconfort ne devait guère les incommoder. Et puis, à quoi leur servaient ces chambres ? À dormir, pas plus. – Vous vous y habituerez, commerça M. Goutay. Faut pas demander l’impossible. Ici, avec les usines du quartier, c’est de la bonne clientèle d’ouvriers, tous du monde honnête, payant bien. Ne faites jamais de crédit, c’est la mort dans notre commerce… La maison du dehors n’a rien de grandiose, bien sûr… faudrait un fameux coup de torchon. Mais que voulez-vous, par le temps qui court, il n’y a que les passes qui puissent payer le prix du crépi… Il s’arrêta un moment et reprit : – Ce n’est pas une hôtel de passes… Les Lecouvreur dirent à l’unisson : – Sûr, qu’on voudrait pas une hôtel de passes… M. Goutay approuva : – Pour ces messieurs-dames, c’est comme pour nous. Notez qu’avec les femmes on travaille, mais qu’est-ce qu’on prend comme ennuis, pour un oui ou pour un non, la police fourrage dans vos papiers. Rien de ça ici ! Avec l’ouvrier, quelques jeunes filles et au troisième les ménages, sans gosses bien entendu, c’est une vraie famille… Ah ! j’oubliais, il y a aussi de vieux locataires qui finiront leurs jours dans l’hôtel. Il baissa la voix : – Des cochons, des malheurs de clients qu’on ne peut pas augmenter. Le groupe atteignit le troisième étage. Une verrière y puisait à plein ciel la lumière. Sut ce palier, on avait installé une fontaine et les cabinets. Le couloir était assez clair. Au bruit que firent les visiteurs, des portes s’entrebâillèrent. – Les ménages ! expliqua Mme Goutay. Lecouvreur suivit M. Goutay dans un grenier qui servait de débarras. Les deux hommes examinèrent les combles et se hissèrent sur le toit. De là, reliés par une fine passerelle, on découvrait les quais de Jemmapes et de Valmy. Des camions chargés de sable suivaient les berges. Au fil du canal, des péniches glissaient, lentes et gonflées comme du bétail. Lecouvreur, que ces choses laissaient d’ordinaire insensible, poussa un cri : Ah ! quelle vue ! Ce que vous êtes bien situés !… Puis il ajouta : – Je suis un vieux Parisien, mais voyez-vous, je ne connaissais pas ce coin-là. On se croirait au bord de la mer. Il s’était arrêté près d’une cheminée et réfléchissait. Un pli barrait son front et donnait du poids à son visage, à ses petits yeux fureteurs. Des fumées tournoyaient dans le soir ; vers le faubourg du Temple de gros nuages couvraient le ciel. La rumeur de Paris montait de toutes parts comme une exportation confuse. Soudain il se décida, il fallait à tout prix acheter cet hôtel. – Si vous voulez descendre visiter le logement, lui dit M. Goutay. Mais une lassitude l’envahissait. Parvenu au bas de l’escalier, il sentit une émotion indéfinissable lui serrer la gorge. Quelque chose de trouble poignait son cœur, la pensée des adieux prochains, des abandons, et, devant ces lieux étrangers encore, un mélange de détresse et de confiance, un goût de péril et d’aventures si v*****t qu’il en était oppressé. Non, vraiment, il n’avait plus la force de continuer la visite. Du reste la nuit tombait, les clients commençaient à rentrer. Il valait mieux ne pas éveiller leur curiosité avant que ne fussent conclus les accords définitifs. Il promit au marchand de fonds de donner le lendemain sa réponse pour oui ou pour non. Et il fut heureux de venir s’appuyer au comptoir quand M. Goutay proposa de se rafraîchir.

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