Dimanche matin.
Je me lève vers 11h. Je descends prendre mon petit-déjeuner. Mes parents ont dû partir à la messe, pour faire bonne impression. Tom dort toujours, mais comme d'habitude, il a tout rangé et nettoyé avant de se coucher, du coup, je peux m'installer devant la télévision et regarder Les Simpson.
Apparemment, les garçons ont dormi là, j'entends plusieurs éléphants descendre les escaliers.
- Salut miss Katy, pas très féminin tout ça !
- Ta gueule, Lucien ! Lui lance Tom en le poussant pour venir me faire un bisou. Salut princesse, on peut déjeuner avec toi ?
Je lui fais signe que oui. Il se lève pour aller chercher des bols et les autres s'installent de chaque côté de moi.
- Alors, t'as quel âge ? Demande Charles.
- Dix-sept.
- On a treize mois d'écart, ajoute Tom.
- Donc t'es en terminale, dit Chris.
- Oui, on s'est vu le jour de la rentrée dans l'amphi et on a mangé au self ensemble, t'es idiot ou tu le fais exprès ?
Tom pousse Lucien pour s'asseoir à côté de moi.
- Calme-toi, me chuchote-t-il en me prenant dans ses bras.
- Désolé, je t'avais pas reconnu sans ton attirail gothique.
- Vous êtes super proches pour des frères et sœurs, fait remarquer Charles pour dévier l'attention.
- On a été élevé comme des jumeaux et on s'adore, dit Tom avec fierté.
- Nous sommes deux moitiés d'un tout, dis-je en me levant pour aller mettre mon bol dans la cuisine. Donc n'essayez pas de me mettre à l'écart de la vie de mon frère. Il est tout ce que j'ai.
Un sourire s'affiche sur le visage de Jules.
- Ça veut dire que t'as pas de copain ?
Les larmes m'échappent instantanément, Tom se précipite vers moi. Et pour une fois, Lucien dit quelque chose d'intelligent :
- p****n mec, t'es c*n ! Je t'avais dit de ne pas aborder le sujet !
Je sens la crise d'angoisse monter, aussi destructrice que le jour du drame, je sens que je ne vais pas pouvoir la retenir. Je me lance dans l'escalier, le souffle court. De bruyants sanglots m'échappent. Je n'ai pas le temps d'atteindre ma chambre, je m'effondre sur le palier avec le sentiment de le perdre pour la seconde fois. Des cris de douleur, impossibles à gérer, m'assourdissent les oreilles, j'ai du mal à entendre Tom qui me berce et qui tente de me calmer. Je sens ses larmes couler sur moi. Quand tout à coup, je n'arrive plus à respirer, la crise est trop forte. Je vois Lucien à côté de Tom, puis plus rien.
Quand je me réveille, mes parents sont rentrés, mon père pleure dans les bras de ma mère, Tom est assis sur mon lit et Lucien lui tient l'épaule pour lui montrer son soutien moral.
- Hey, comment tu vas, princesse ? Me demande Tom en prenant ma main dans la sienne.
- Ça va, dis-je d'une voix affreusement rauque.
Le Dr. Longet, notre médecin de famille, s'approche et vérifie ma tension, mes yeux, mon audition et ma respiration.
- Tout va bien, mais je conseille beaucoup de repos.
Mon père s'approche avec un plateau, je ne l'avais pas vu s'absenter. Il le pose sur mes genoux et je vois un bol de soupe, une assiette avec du riz et du poulet en sauce, un morceau de pain fait maison et une part de gâteau au chocolat avec de la crème anglaise.
- Bon appétit ma chérie.
Il s'éloigne et demande à Lucien de le suivre.
- Qu'est-ce qui s'est passé ? Demandé-je à Tom.
- Tu as fait une énorme crise d'angoisse, comme je n'en avais jamais vu. Lucien a vu le truc venir, alors il a appelé le doc et deux minutes après, tu as fait une sorte d'arrêt respiratoire et tu t'es évanouie. Heureusement, le doc est arrivé tout de suite, on n'a pas eu besoin de t'emmener aux urgences. Les parents sont rentrés presque en même temps. Jules était trop mal, il a fallu que j'explique à tout le monde ce que tu m'as avoué jeudi, Katy. Je voulais qu'ils comprennent toute l'ampleur des dégâts. Dis-moi que tu ne m'en veux pas…
Je le prends dans mes bras et le rassure.
- Merci pour tout, Tom.
- Jules s'en veut, il veut que tu saches qu'il est vraiment désolé.
- Je ne lui en veux pas, ce n'est pas sa faute tout ça.
Je regarde l'heure, il est presque 15h. Ce n'est pas étonnant que mon estomac crie famine ! Je commence à manger, Tom reste près de moi. Mon père et Lucien revienne avec une télé à écran plat, celle que papa avait remisée dans le garage quand nous avons acheté la taille au-dessus pour le salon. Ils la posent sur la commode en face de mon lit et la branchent.
Lucien serre la main de Tom, me dit au revoir et s'en va.
- Comment a-t-il su ce qui arriverait, demandé-je à Tom.
- Il est passé sapeur-pompier volontaire en février, quand il a eu 18 ans. Il a déjà vu ça.
- Lucien, sapeur-pompier ? Impressionnant, je n'aurais jamais cru ça de lui.
- Il n'est pas si c*n, tu sais, il t'apprécie beaucoup.
- Il a une drôle de façon de le montrer…
Mon père vient m'embrasser sur le front, après avoir réglé la télévision, et s'en va.
- Et lui, qu'est-ce qui lui prend ? Chuchoté-je.
- Après ce qui vient de se passer, il s'en veut d'être comme ça avec nous, il dit qu'il risque de nous perdre sans nous connaître, s'il ne fait pas davantage attention à nous.
Ma mère vient ensuite et m'annonce qu'elle appellera le lycée demain pour les prévenir que je n'irai pas en cours. Le temps que je comprenne, elle était déjà sortie.
- Tom, je t'en prie, ne me laisse pas toute seule ici demain, je veux aller en cours, sinon je vais devenir dingue !
- Si tu te reposes jusqu'à demain, j'irai négocier ta libération avec maman.
***
La semaine a été atroce. Dimanche, j'ai dormi tout l'après-midi, donc Tom est allé parler à maman. Elle a accepté que j'aille au lycée, à condition que je passe toutes mes heures de perm. à l'infirmerie pour me reposer. Elle s'en est assurée en m'emmenant elle-même au lycée lundi matin, où elle est allée voir l'infirmière. Elle m'a, ensuite, emmenée tous les matins pour 9h, sauf hier, on était vendredi, je commençais à 8h donc Tom a pu m'emmener.
Le soir, je rentrais à 18h20, 18h30 nous étions à table, 20h30 je stoppais mes devoirs, 21h : extinction des feux. Bien souvent, je n'avais même pas terminé mon travail et j'ai tenté à plusieurs reprises de me relevé en douce, mais ils avaient dû mettre un dispositif de détection, car à chaque fois que j'ai posé le pied par terre, je me suis fait prendre.
Mes parents avaient mis un mot dans mon carnet, signé de la main du Dr. Longet, pour justifier mon travail non fait par un besoin intense de me reposer suite à un traumatisme. Moi, j'appellerais plutôt ça, un choc émotionnel insurmontable.
Enfin, bref…
Résultat de la semaine, j'ai vu plus de fois l'infirmière en une semaine que dans toute ma scolarité. J'ai été plus de fois au tableau qu'en une année pour rattraper le travail non fait à la maison, je n'ai quasiment pas vu Tom, j'ai mangé toute seule trois fois sur cinq et, les deux fois où j'ai mangé avec Tom, ses copains étaient tellement mal à l'aise à vouloir me prendre avec des pincettes, que j'ai dû écourter le repas pour leur soulager la conscience. Je n'ai fait aucune connaissance et, quand je déambulais dans les couloirs, on s'écartait comme si j'avais la peste, on me montrait du doigt et on chuchotait sur mon passage. Allez savoir pourquoi…