Chapitre premier

925 Words
Chapitre premierMoi Il y a des jours comme ça. Des jours qui commencent bien et qui se terminent dans le cauchemar. Des jours où on voudrait pouvoir remonter le temps, pas beaucoup, juste de quelques secondes pour changer le cours de la vie. Je m’appelle Christian Arribeau. Oui, comme les bonbons Haribo. Épargnez-moi les sarcasmes, j’ai eu ma dose. Je suis médecin néphrologue. Ça veut dire spécialiste en maladies des reins. Pas le mal de dos, non, des maladies bien plus graves, qui conduisent à la dialyse et la greffe. La néphrologie est une spécialité hautement technique et prestigieuse. Et je vais être nommé bientôt professeur. Enfin, ce matin, j’en étais certain. * Je suis le dernier d’une famille de trois enfants. Bien né, comme on dit. Mon père travaillait dans la finance internationale et jouissait d’une bonne situation. Il n’était pas particulièrement brillant, mais il avait trouvé le bon filon et une bonne boîte, au sein de laquelle son portefeuille s’est bien garni. Ses placements complètent une retraite déjà confortable. Ma mère était médecin du travail. Je ne pense pas qu’elle aurait pu se lancer dans une spécialité plus ardue ; elle a terminé sa médecine sans gloire. Évidemment, nous n’avons rencontré aucun problème financier pour entreprendre des études supérieures. Mais mes deux sœurs n’ont pas été bien loin. La première a épousé un banquier alors qu’elle terminait sa deuxième année de droit. De toute façon, je la voyais mal aller au bout de son cursus. La seconde a péniblement décroché un diplôme de sage-femme. Vous allez peut-être me trouver méprisant ; je suis seulement lucide. Moi, j’ai commencé médecine avec la ferme intention d’arriver au plus haut niveau. Pour ça, j’ai étudié avec soin les filières et les débouchés, et j’ai porté mon choix sur la néphrologie. C’est une discipline astreignante, qui n’attire donc pas beaucoup les étudiants, et en ce moment, la génération née après la Deuxième Guerre mondiale part à la retraite et libère des postes. De plus, un numerus clausus mal évalué a limité le nombre des étudiants en médecine pendant des années et la relève se fait attendre. Mais être nommé professeur d’université est une sacrée course d’obstacles. Il faut ajouter aux études de médecine, longues et compliquées, une licence de sciences dès les premières années et des travaux de recherche en laboratoire ; il faut aussi effectuer des stages, assurer des gardes de nuit et publier des articles scientifiques. Il faut soutenir une thèse de sciences, puis obtenir un diplôme d’habilitation à diriger des recherches. Et enfin trouver un poste, et là, la politique s’en mêle. Il y a beaucoup de candidats pour peu d’élus, et une lutte féroce entre les disciplines au sein de chaque faculté. J’ai passé toutes ces étapes. Après mon internat, j’ai jeté mon dévolu sur un jeune patron qui venait d’ouvrir un service dans un CHU de la proche banlieue. Nommé à la suite du décès prématuré de son principal concurrent, Hugues Fumeron n’était pas une flèche, mais il était clair qu’il obtiendrait dans les années suivantes la création d’un poste de PU-PH1, d’autant qu’il était un ami proche du doyen de la Faculté. 1 Professeur des universités – praticien hospitalier. Je n’ai ménagé ni mon temps ni mes efforts. J’ai beaucoup de facilités et une solide formation en biologie et en statistiques qui m’a permis de faire progresser rapidement mes recherches et de publier des résultats originaux. Évidemment, j’avais sélectionné avec soin mon laboratoire, je ne voulais pas rater mon coup. Ensuite, il m’a fallu écarter les rivaux potentiels. Me montrer plus fort. Cela n’a pas été trop difficile. J’ai de l’assurance en public, je présente bien mes topos, je parle anglais couramment, et avec très peu d’accent, ce qui est rare chez nos concitoyens. On m’a vite remarqué dans les congrès. Juste avant de prendre mon poste de chef de clinique chez Fumeron, j’ai passé un an dans un laboratoire à Sheffield, au Royaume Uni, afin de satisfaire aux conditions de mobilité exigées pour concourir. De retour en France, j’ai obtenu mon habilitation à diriger des recherches et j’ai soutenu ma thèse de sciences. Je me suis investi dans l’enseignement pour confirmer ma motivation. On ne parlait plus que de moi dans la Faculté. J’avoue que les malades ne me préoccupaient guère. Il ne manquait heureusement pas de « petites mains » dans le service pour s’occuper des consultations, ce qui m’a toujours paru un peu secondaire. Je préfère la gloire à la reconnaissance des patients qui, au demeurant, en manifestent de moins en moins ! Dernier point, last but not least, j’ai épousé la fille du doyen. Céline Dureuil terminait des études de médecine assez médiocres, bien qu’elle eût réussi à passer l’Internat ; elle se destinait à la dermatologie. Je n’ai eu aucun mal à l’éblouir et à la séduire lorsqu’elle est passée comme interne dans le service. Et, à peine deux ans plus tard, la commission médicale d’établissement et la commission des effectifs de la Faculté attribuaient un poste de PU-PH en tête de liste à mon patron. Le seul candidat digne de ce nom, nonobstant mon âge relativement jeune, c’était moi. Sauf à perdre toute crédibilité, il était impossible de ne pas me mettre en première position, vu ma liste de publications (je savais bien que certains membres de ces commissions ne nourrissaient pas une sympathie excessive à mon égard). La pauvre PH2 du service, comme le MCU-PH3 nommé quelques années plus tôt (et qui pensait naïvement que cette promotion serait un bon tremplin pour lui…) n’avaient aucune chance face à moi. 2 Praticien hospitalier. 3 Maître de conférences des universités – praticien hospitalier. Le poste fut publié au Journal officiel deux mois plus tard. Aujourd’hui, c’était la dernière étape avant la validation par les ministères concernés (Enseignement supérieur et Recherche, Santé) et la nomination officielle : un exposé devant la section de néphrologie du conseil national des Universités (CNU). Voilà pourquoi ce matin était le plus beau jour de ma vie.
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