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1436 Words
– 2 –Le nom du célèbre aventurier sembla faire sur M. Kesselbach la meilleure impression. Lupin ne manqua pas de le remarquer et s’écria : – Ah ! ah ! cher monsieur, vous respirez ! Arsène Lupin est un cambrioleur délicat, le sang lui répugne, il n’a jamais commis d’autre crime que de s’approprier le bien d’autrui une peccadille, quoi ! et vous vous dites qu’il ne va pas se charger la conscience d’un assassinat inutile. D’accord… Mais votre suppression sera-t-elle inutile ? Tout est là. En ce moment, je vous jure que je ne rigole pas. Allons-y, camarade. Il rapprocha sa chaise du fauteuil, relâcha le bâillon de son prisonnier, et, nettement : – Monsieur Kesselbach, le jour même de ton arrivée à Paris, tu entrais en relation avec le nommé Barbareux, directeur d’une agence de renseignements confidentiels, et, comme tu agissais à l’insu de ton secrétaire Chapman, le sieur Barbareux, quand il communiquait avec toi, par lettre ou par téléphone, s’appelait « Le Colonel ». Je me hâte de te dire que Barbareux est le plus honnête homme du monde. Mais j’ai la chance de compter un de ses employés parmi mes meilleurs amis. C’est ainsi que j’ai su le motif de ta démarche auprès de Barbareux, et c’est ainsi que j’ai été amené à m’occuper de toi, et à te rendre, grâce à de fausses clés, quelques visites domiciliaires au cours desquelles, hélas ! je n’ai pas trouvé ce que je voulais. Il baissa la voix, et, les yeux dans les yeux de son prisonnier, scrutant son regard, cherchant sa pensée obscure, il articula : – Monsieur Kesselbach, tu as chargé Barbareux de découvrir dans les bas-fonds de Paris un homme qui porte, ou a porté, le nom de Pierre Leduc, et dont voici le signalement sommaire : taille, un mètre soixante-quinze, blond, moustaches. Signe particulier : à la suite d’une blessure, l’extrémité du petit doigt de la main gauche a été coupée. En outre, une cicatrice presque effacée à la joue droite. Tu sembles attacher à la découverte de cet homme une importance énorme, comme s’il pouvait en résulter pour toi des avantages considérables. Qui est cet homme ? – Je ne sais pas. La réponse fut catégorique, absolue. Savait-il ou ne savait-il pas ? Peu importait. L’essentiel, c’est qu’il était décidé à ne point parler. – Soit, fit son adversaire, mais tu as sur lui des renseignements plus détaillés que ceux que tu as fournis à Barbareux ? – Aucun. – Tu mens, monsieur Kesselbach. Deux fois, devant Barbareux, tu as consulté des papiers enfermés dans l’enveloppe de maroquin. – En effet. – Alors, cette enveloppe ? – Brûlée. Lupin tressaillit de rage. Évidemment, l’idée de la t*****e et des commodités qu’elle offrait traversa de nouveau son cerveau. – Brûlée ? mais la cassette… avoue donc… avoue donc qu’elle est au Crédit Lyonnais ? – Oui. – Et qu’est-ce qu’elle contient ? – Les deux cents plus beaux diamants de ma collection particulière. Cette affirmation ne sembla pas déplaire à l’aventurier. – Ah ! ah ! les deux cents plus beaux diamants ! Mais dis donc, c’est une fortune… Oui, ça te fait sourire… Pour toi, c’est une bagatelle. Et ton secret vaut mieux que ça… Pour toi, oui, mais pour moi ? Il prit un cigare, alluma une allumette qu’il laissa éteindre machinalement et resta quelque temps pensif, immobile. Les minutes passaient. Il se mit à rire. – Tu espères bien que l’expédition ratera, et qu’on n’ouvrira pas le coffre ? Possible, mon vieux. Mais alors il faudra me payer mon dérangement. Je ne suis pas venu ici pour voir la tête que tu fais sur un fauteuil… Les diamants, puisque diamants il y a… Sinon, l’enveloppe de maroquin… Le dilemme est posé… Il consulta sa montre. – Une demi-heure… Bigre !… Le destin se fait tirer l’oreille… Mais ne rigole donc pas, monsieur Kesselbach. Foi d’honnête homme, je ne rentrerai pas bredouille… Enfin ! C’était la sonnerie du téléphone. Lupin s’empara vivement du récepteur, et changeant le timbre de sa voix, imitant les intonations rudes de son prisonnier : – Oui, c’est moi, Rudolf Kesselbach… Ah ! bien, mademoiselle, mettez-moi en communication… C’est toi, Marco ?… Parfait… Ça s’est bien passé ?… À la bonne heure… Pas d’accrocs ?… Compliments, l’enfant… Alors, qu’est-ce qu’on a ramassé ? La cassette d’ébène… Pas autre chose ? aucun papier ?… Tiens, tiens !… Et dans la cassette ?… Sont-ils beaux, ces diamants ?… Parfait, parfait… Une minute, Marco, que je réfléchisse… tout ça, vois-tu… si je te disais mon opinion… Tiens, ne bouge pas… reste à l’appareil… Il se retourna : – Monsieur Kesselbach, tu y tiens à tes diamants ? – Oui. – Tu me les rachèterais ? – Peut-être. – Combien ? Cinq cent mille ? – Cinq cent mille… oui… – Seulement, voilà le hic… Comment se fera l’échange ? Un chèque ? Non, tu me roulerais… ou bien je te roulerais… Écoute, après-demain matin, passe au Lyonnais, prends tes cinq cents billets et va te promener au Bois, près d’Auteuil… moi, j’aurai les diamants… dans un sac, c’est plus commode… la cassette se voit trop… – Non… non… la cassette… je veux tout… – Ah ! fit Lupin, éclatant de rire… tu es tombé dans le panneau… Les diamants, tu t’en fiches… ça se remplace… Mais la cassette, tu y tiens comme à ta peau… Eh bien ! tu l’auras, ta cassette… foi d’Arsène… tu l’auras, demain matin par colis postal ! Il reprit le téléphone. – Marco, tu as la boîte sous les yeux ?… Qu’est-ce qu’elle a de particulier ? De l’ébène, incrusté d’ivoire… oui, je connais ça… style japonais, faubourg Saint-Antoine… Pas de marque ? Ah ! une petite étiquette ronde, bordée de bleu, et portant un numéro… oui, une indication commerciale… aucune importance. Et le dessous de la boîte, est-il épais ?… Bigre ! pas de double fond, alors… Dis donc, Marco, examine les incrustations d’ivoire sur le dessus… ou plutôt, non, le couvercle. Il exulta de joie. – Le couvercle ! c’est ça, Marco ! Kesselbach a cligné de l’œil… Nous brûlons !… Ah ! mon vieux Kesselbach, tu ne voyais donc pas que je te guignais. Fichu maladroit ! Et, revenant à Marco : – Eh bien ! où en es-tu ? Une glace à l’intérieur du couvercle ?… Est-ce qu’elle glisse ? Y a-t-il des rainures ? Non… eh bien ! casse-la… Mais oui, je te dis de la casser… Cette glace n’a aucune raison d’être… elle a été rajoutée. Il s’impatienta : – Mais, imbécile, ne te mêle pas de ce qui ne te regarde pas… Obéis… Il dut entendre le bruit que Marco faisait, au bout du fil, pour briser le miroir, car il s’écria, triomphalement : – Qu’est-ce que je te disais, monsieur Kesselbach, que la chasse serait bonne ?… Allô ? Ça y est ? Eh bien ?… Une lettre ? Victoire ! Tous les diamants du Cap et le secret du bonhomme ! Il décrocha le second récepteur, appliqua soigneusement les deux plaques sur ses oreilles, et reprit : – Lis, Marco, lis doucement… L’enveloppe d’abord… Bon… Maintenant, répète. Lui-même répéta : – Copie de la lettre contenue dans la pochette de maroquin noir. – Et après ? Déchire l’enveloppe, Marco. Vous permettez, monsieur Kesselbach ? Ça n’est pas très correct, mais enfin… Vas-y, Marco, M. Kesselbach t’y autorise. Ça y est ? Eh bien ! lis. Il écouta, puis ricanant : – Fichtre ! ce n’est pas aveuglant. Voyons, je résume. Une simple feuille de papier pliée en quatre et dont les plis paraissent tout neufs… Bien… En haut et à droite de cette feuille, ces mots : un mètre soixante-quinze, petit doigt gauche coupé, etc. Oui, c’est le signalement du sieur Pierre Leduc. De l’écriture de Kesselbach, n’est-ce pas ?… Bien… Et au milieu de la feuille ce mot, en lettres capitales d’imprimerie : APOON – Marco, mon petit, tu vas laisser le papier tranquille, tu ne toucheras pas à la cassette ni aux diamants. Dans dix minutes j’en aurai fini avec mon bonhomme. Dans vingt minutes je te rejoins… Ah ! à propos, tu m’as envoyé l’auto ? Parfait. À tout à l’heure. Il remit l’appareil en place, passa dans le vestibule, puis dans la chambre, s’assura que le secrétaire et le domestique n’avaient pas desserré leurs liens et que, d’autre part, ils ne risquaient pas d’être étouffés par leurs bâillons, et il revint vers son prisonnier. Il avait une expression résolue, implacable. – Fini de rire, Kesselbach. Si tu ne parles pas, tant pis pour toi. Es-tu décidé ? – À quoi ? – Pas de bêtises. Dis ce que tu sais. – Je ne sais rien. – Tu mens. Que signifie ce mot Apoon ? – Si je le savais, je ne l’aurais pas inscrit. – Soit, mais à qui, à quoi se rapporte-t-il ? Où l’as-tu copié ? D’où cela te vient-il ? M. Kesselbach ne répondit pas. Lupin reprit, plus nerveux, plus saccadé : – Écoute, Kesselbach, je vais te faire une proposition. Si riche, si gros monsieur que tu sois, il n’y a pas entre toi et moi tant de différence. Le fils du chaudronnier d’Augsbourg et Arsène Lupin, prince des cambrioleurs, peuvent s’accorder sans honte ni pour l’un ni pour l’autre. Moi, je vole en appartement ; toi, tu voles en Bourse. Tout ça, c’est k*f-k*f. Donc, voilà, Kesselbach. Associons-nous pour cette affaire. J’ai besoin de toi puisque je l’ignore. Tu as besoin de moi parce que, tout seul, tu n’en sortiras pas. Barbareux est un niais. Moi, je suis Lupin. Ça colle ? Un silence. Lupin insista, d’une voix qui tremblait : – Réponds, Kesselbach, ça colle ? Si oui, en quarante-huit heures, je te le retrouve, ton Pierre Leduc. Car il s’agit bien de lui, hein ? C’est ça, l’affaire ? Mais réponds donc ! Qu’est-ce que c’est que cet individu ? Pourquoi le cherches-tu ? Que sais-tu de lui ? Je veux savoir. Il se calma subitement, posa sa main sur l’épaule de l’Allemand et, d’un ton sec : – Un mot seulement. Oui ou non ? – Non. Il tira du gousset de Kesselbach un magnifique chronomètre en or et le plaça sur les genoux du prisonnier. Il déboutonna le gilet de Kesselbach, écarta la chemise, découvrit la poitrine, et, saisissant un stylet d’acier, à manche niellé d’or, qui se trouvait près de lui, sur la table, il en appliqua la pointe à l’endroit où les battements du cœur faisaient palpiter la chair nue. – Une dernière fois ? – Non. – Monsieur Kesselbach, il est trois heures moins huit. Si dans huit minutes vous n’avez pas répondu, vous êtes mort.
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