Chapitre 13-3

1120 Words
— Voici notre histoire, Aila. Nous sommes condamnées à disparaître, mais nous avons trop aimé les hommes pour les laisser seuls en face de l’adversité. Nous connaissons la misère qui règne en Avotour et la peine de ses habitants blessés par la vie. Malheureusement, notre force a trop faibli pour tous les aider. De façon fugitive, le beau visage d’Amylis se troubla et Aila n’y lut plus qu’une grande lassitude doublée de tristesse. Puis tout s’effaça et la fée Esprit poursuivit comme si de rien n’était : — Aila, tu es la première depuis bien des années à pouvoir nous rencontrer et tu es notre dernière chance. Tu dois accompagner les hommes grâce à nos pouvoirs et les sauver jusqu’à la naissance de l’héritière. Après, quand elle aura accepté et recueilli nos pouvoirs, nous pourrons disparaître à jamais, le cœur en paix. Consens-tu à nous aider ? — Oui, bien sûr, mais que dois-je accomplir ? — Revenir ce soir quand tu t’endormiras, c’est le seul moment où nous pouvons te transmettre nos pouvoirs, les uns après les autres. À nouveau, Aila se sentait mal à l’aise : l’impression de revivre sans cesse les mêmes scènes la harcelait et la nausée l’envahit. Mal assurée sur ses jambes, elle tenta de se lever avant de retomber sur le sol, très faible. Toutes les fées se précipitèrent vers elle ; la fée Mère apposa ses mains avec une grande douceur sur les tempes d’Aila, tandis qu’Amylis recherchait le contact avec son esprit. La jeune fille reprit un peu de force, mais restait complètement désorientée. Elle lança un regard bouleversé vers Amylis, son esprit perdu dans une extrême confusion. Les traits contractés par l’inquiétude de la fée se relâchèrent et Amylis poussa un immense soupir. — Tout ceci est de notre faute… Si nous avions su… Si seulement nous pouvions agir autrement, tu ne serais pas dans cet état-là… Je te présente toutes mes excuses. Aila essayait de retrouver des repères. Tout s’avérait si différent dans ce monde nouveau et inconnu. Soudain, l’image d’Aubin émergea dans son esprit et, comme une bouée de sauvetage, elle s’y accrocha avec l’énergie du désespoir. Petit à petit, les pièces de sa conscience se remirent en place et elle s’apaisa. — Que voulez-vous dire, Amylis ? s’enquit-elle, avec anxiété. — Tu es déjà entrée ici, plusieurs fois. Nous avons obtenu ton accord et le partage de notre magie avec toi a commencé. — Mais… mais je m’en souviendrais ! — Non, tu arrives quand tu t’endors et j’efface les souvenirs de ton passage parmi nous lorsque tu repars. — Mais pourquoi ? — Pour éviter ce que tu viens de vivre ! Tu apprends avec ton inconscient et nous faisons coexister deux êtres en toi : un qui partage nos pouvoirs et un qui ignore tout de nous. Ceci revient presque à mettre deux personnes différentes dans un même corps. Si les deux se rencontrent, leurs esprits se télescoperont et s’affronteront jusqu’à ce qu’un seul l’emporte sur l’autre. Nous avions peur que tu sois absorbée par ce pouvoir avant d’être suffisamment aguerrie pour lui résister. Comment ton bon sens pouvait-il, sans se troubler, assimiler un tel flot de connaissances magiques ? Et quand la raison flanche, la folie guette… — Et c’est ce qui vient de m’arriver ? — En quelque sorte… Mais, comme tu peux le constater, tu n’es pas devenue folle. Je ne sais si nous devons ce prodige à ta robuste constitution ou à une chance infinie, mais je suis heureuse que tu ailles bien. L’inquiétude nous troublait tellement que nous cherchions sans répit une solution pour t’amener à concilier ces deux entités distinctes sans te faire mal. Malheureusement, pour l’instant, nous n’avions rien trouvé… Petit à petit, Aila achevait de remettre ses idées en place, ses souvenirs anciens et récents. Une douleur lancinante martelait ses tempes. — Je peux te soulager si tu le désires, intervint la fée Mère. Aila acquiesça, laissant Errys s’occuper d’elle. Rapidement, son état s’améliora et la jeune fille se redressa. — Je comprends à présent d’où je tiens ces pouvoirs qui me dépassaient… Et ce soir, je reviens pour la suite ? — Non, pas cette nuit, Aila. Je crois que tu as réussi assez d’exploits pour aujourd’hui ! Je suis impressionnée par le fait que tu t’es adaptée aussi promptement à cette dualité. Je ne voudrais pas faire basculer ce fragile équilibre en allant trop vite. Demain sera bien assez tôt pour poursuivre notre partage. En t’endormant, tu n’auras qu’à toucher le livre. — Et maintenant, vous n’effacerez plus mes souvenirs ? Amylis jeta un coup d’œil vers ses sœurs avant de répondre : — Non, désormais ta résistance hors du commun devrait te permettre d’assimiler nos pouvoirs et de te les rappeler sans problèmes. — Est-ce la magie qui provoque mes nausées le matin ? — Des nausées ! Mais tu ne nous en avais jamais parlé ! Fée Terre, s’il te plaît, apporte-moi des graines de Canubre. Dorénavant, tu en mâcheras une avant de te coucher, ceci devrait les éliminer. Et si elles ne disparaissent pas en totalité, elles deviendront tolérables. Désires-tu encore quelque chose ? — Oui, une dernière question…, ou peut-être plusieurs. Pourquoi est-ce que j’utilise vos dons malgré moi ? Et pourquoi ma volonté seule ne peut-elle les solliciter ? Et pourquoi… ? Aila s’arrêta. Elle se sentait épuisée et ses idées s’obscurcissaient de nouveau. — À présent que tu es consciente de tes pouvoirs, le bon choix se fera naturellement, mais la magie ne sera pas disponible à tout moment… En effet, nous ne pouvons t’en donner qu'un accès illimité parce que nous ne disposons plus de force. Nous tentons, comme nous le pouvons, de préserver l’énergie qui nous reste… — Alors, il faut que je restreigne son utilisation pour ne pas vous affaiblir trop vite ! — Aila ! Tout va bien. Fais ce que tu as à faire, sans tenir compte de nous ! Il suffira naturellement qu’une d’entre nous survive jusqu’au transfert complet de nos pouvoirs pour tous les sauver… Aila eut peur de comprendre. Elle revit toutes ces fées sans vie étendues dans la grotte et déglutit douloureusement avant d’enchaîner : — Vous êtes en train de me dire que, lors de chacun des partages de votre magie avec moi, des fées meurent… « Dites-moi que je me trompe », supplia-t-elle, dans sa tête. Amylis la regarda sans tristesse. — Pas une fée, mais une partie d’elle…, telle est notre destinée ! Et nous sommes fières de l’accomplir. Succomber ne signifie rien, puisque nous survivrons dans l’héritière et chaque fée que nous sommes donnera sa vie sans regret pour ne pas disparaître tout à fait. Si nous réussissons, ce sera grâce à toi, Aila. Et puis, n’oublie pas que si tu peux utiliser nos dons, c’est parce que nous l’acceptons et même que nous le souhaitons ! T’en souviendras-tu ? Au lit maintenant ! Et pour dormir cette fois ! Je te conseille de prendre une graine dès à présent pour éviter une éventuelle nausée demain matin. Attristée par l’idée de leur sacrifice, elle embrassa toutes les fées, les étreignant avec ferveur. Comment des êtres aussi merveilleux pouvaient-ils disparaître ? Elle s’apprêtait à les quitter, le cœur rempli d’amertume et de regrets. Toutes l’accompagnèrent pour lui dire au revoir dans un joyeux brouhaha. Puis elle se retrouva seule dans sa chambre. Rapidement, elle mit sa chemise et s’étendit loin du livre pour ne pas le toucher par inadvertance. Alors que le sommeil s’emparait d’elle, les dernières images dans son esprit ne furent plus celles d’un petit être doré, mais d’une multitude de fées aux noms étranges et de leur magie que les hommes avaient reçue
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