TROISIÈME LETTRE
Robert à CharlesMisérable insensé que je suis ! j’ai lu et relu ses lettres et je ne l’ai point devinée ! Comment ai-je pu croire un instant qu’une autre savait écrire ainsi ? Comment, dès la première ligne, n’ai-je pas reconnu sa pensée ? Elle est partie, Charles ! elle est perdue pour moi, perdue pour toujours ! Et elle m’aimait !… Ce matin, un paysan m’a remis une lettre ; j’ai reconnu l’écriture d’Ève et me suis empressé de rompre le cachet. Voici ce que j’ai lu :
Adieu, Robert, je ne puis rester là où vous êtes sans vous voir. Je n’ai point de sœur. Pardonnez-moi une supercherie que vous-même m’avez suggérée et qui a trompé parfois ma souffrance. Je vous quitte parce que je vous aime.
Et moi qui l’accusais ! Moi qui lui faisais un crime de ses continuelles hésitations ! Moi qui prenais en méprisante pitié toute la peine qu’elle se donnait pour me cacher son cœur ! Oh ! pourquoi ai-je repoussé cet instinctif avertissement qui me portait à la bénir pour tout le bonheur que me donnaient les lettres de sa sœur prétendue ? Pourquoi ai-je obstinément fermé les yeux ? Mais j’y songe, qui donc ai-je vu le soir de mon arrivée à Dinan ? Quelle était cette jeune fille ?… Hélas ! cela doit-il m’importer, maintenant ? Elle m’aimait !
Je souffre ; ma tête brûle. Depuis que j’ai reçu cette lettre, une fièvre ardente s’est emparée de moi.
Il faut que je parte néanmoins, Charles, que je parte sur-le-champ. Je la retrouverai. Dussé-je fouiller jusqu’aux villages les plus ignorés de l’Angleterre, je la reverrai.