DEUXIÈME LETTRE - Robert à Charles

2911 Words
DEUXIÈME LETTRE Robert à CharlesSavez-vous, Charles, que vous êtes très éloquent ! votre philippique contre le mariage me plaît tout à fait. J’aime à vous voir ces sentiments ; c’est moi qui vous ai inculqué cette haine ; vous êtes mon élève, et je dois reconnaître que vous avez puissamment profité. Tudieu ! quelle énergie ! à vous lire on vous prendrait pour un veuf éprouvé par toutes les calamités du ménage. Sérieusement, cette partie de votre lettre m’a donné de la joie. J’ai songé souvent avec tristesse qu’un jour peut-être une femme viendrait se mettre entre nous deux, une femme qui aurait le droit de réclamer la première place dans votre cœur : Hélas ! tant d’amitiés ont eu cette déplorable fin ! Mais votre style me rassure pleinement ; je suis désormais aussi sûr de vous que de moi, ce qui n’est pas peu dire. Nous pouvons nous donner la main : célibataires à perpétuité ! Changeons de style. Je suis amoureux, dites-vous, et cela vous donne à rire. D’abord, je pense que vous vous trompez ; mais, eussiez-vous deviné juste, l’évènement n’aurait rien en soi de particulièrement ridicule. J’ai vingt-six ans, et je rends grâce à Dieu tous les jours de n’être point blasé comme ces pauvres jeunes messieurs qui, à force de lire ce livre éternellement stupide dont le héros a perdu ses illusions avant sa majorité, ne demandent, pour clore leur existence désenchantée, qu’un revolver et trois lignes de réclame funèbre dans les échos d’un journal bien informé ; mon cœur est neuf et chaud ; c’est à peine si j’ai honte de l’avouer. En outre, à ma connaissance, je ne suis ni bossu ni manchot ; pourquoi, s’il vous plaît, ne serais-je pas amoureux ? Et, si je l’étais réellement comme vous l’entendez, amoureux fou, c’est votre expression, qui m’empêcherait de vous l’avouer ? Ce sont là, n’est-ce pas, de bien piètres arguments à opposer à mon séjour de deux longs mois dans un trou comme Dinan ? Me ferez-vous la grâce, vous, Charles, de me dire, dans votre réponse, ce que vous faites depuis trois ans à Pontoise ? S’il m’en souvient, lorsque nous nous séparâmes, vous deviez être de retour à Paris dans quinze jours, dans un mois tout au plus. Je veux penser que vos affaires vous auront retenu ; mais trois ans au lieu de trois semaines !… À Dieu ne plaise que, répondant à l’injure par l’outrage, je renvoie la qualification de trou à la cité de Pontoise ! je vous dirai seulement que l’ignorance vous rend souverainement injuste envers Dinan, qui, malgré son Jerzual, est bien la plus jolie ville qu’on puisse voir. Dinan est situé au centre d’un délicieux paysage ; il a des ruines gothiques, un bateau à vapeur et une source minérale. C’est le Baden-Baden de la Bretagne, ce bon pays tant et si bien exploité par la niaiserie littéraire, qu’on est tout étonné, quand on y vient de Paris, de trouver des aubergistes qui ne s’appellent ni Judicaël ni Cadwallon, et des jeunes demoiselles ne répondant point aux noms de Thiphaine ou de Margwynn. Dinan a, par soi, des charmes capables de fixer un touriste ; le Jerzual lui-même, que j’ai calomnié dans ma dernière lettre, forme de loin un remarquable point de vue ; et, à tout prendre, il n’est pas beaucoup plus mal pavé que la place du Carrousel. Vous voyez bien, Charles, que vous avez engagé l’escarmouche sur un terrain qui ne vous est pas favorable. Quand je serai resté trois ans à Dinan, si vous n’êtes plus vous-même à Pontoise, je me soumettrai de meilleure grâce à vos railleries. Adieu. P.S. Vous m’engagez à poursuivre le récit de mon aventure ; j’ai peine à vous tenir rigueur ; en outre, je ne veux, sous aucun prétexte, autoriser votre réserve par l’exemple. Mon aventure a pris une face nouvelle. Si vous aviez mis des bornes à votre raillerie, je vous avouerais franchement que mon amitié pour lady Wolsley ressemble en effet un peu à de l’amour. Elle est si belle, si noble et si bonne ! Peut-être aurais-je à craindre près d’elle tous les dangers dont vous me faites complaisamment le compte, si je n’avais une sauvegarde ; mais trêve à votre compassion, je vous prie ; jamais je ne fus moins exposé à devenir fou de tendresse : je les aime toutes les deux… Après cette entrevue dont le récit termine ma dernière lettre, je devins très malheureux. J’avais formellement résolu de respecter la volonté de lady Wolsley ; mais cet effort m’entraînait dans une préoccupation continuelle, qui, chaque jour, donnait à ma passion de nouvelles forces. Parfois je songeais à partir : n’était-ce pas là un souverain remède et une excellente occasion de commencer enfin mon voyage autour du monde ? Je restais néanmoins ; pour colorer à mes propres yeux cette faiblesse, je me disais qu’il y aurait lâcheté à fuir, que je n’étais pas de ceux dont la conduite peut dépendre du caprice d’une femme ; je me disais, enfin, mille autres raisons de cette force-là. Ce pauvre lord Wolsley, qui n’a point encore été vaincu dans son duel à mort avec le Jerzual, contribuait lui-même à m’affermir dans ma détermination. J’avais cru remarquer que, depuis le fameux tête-à-tête, ma présence amenait un petit sourire sardonique sur son blême et triste visage. Du plus loin qu’il m’apercevait, il soulevait triomphalement son chapeau, et passait le front haut, comme s’il eût remporté sur moi quelque décisif avantage. C’en était trop, n’est-il pas vrai ? Si l’Anglais savait tout, sa femme avait joué le rôle d’une impitoyable et rusée coquette ; il ne fallait point leur donner à tous deux la joie de garder le champ de bataille. Je restai donc, mais en brave. Je défendis à ma physionomie toute expression langoureuse ou mélancolique ; j’affectai un franc retour à mon insouciance première, et, pour ne point paraître désirer de secrètes entrevues, je représentai hautement à lord Wolsley le danger de ces fatigantes excursions qui ruinaient sa santé de plus en plus chancelante. Ceci était pur charlatanisme. Le Jerzual est pour le digne homme ce qu’est l’opium au mandarin, l’objet d’une incurable et mortelle passion. Le Jerzual le tuera en détail par la fatigue, ou tout d’un coup, en lui ménageant une accolade avec l’un de ses pavés les plus aigus. C’est là un fait hors de doute. En attendant, il combat vaillamment, crève par mois deux chevaux, et fait visiter tous les huit jours les roues de son tilbury. Si le Jerzual pouvait être vaincu dans cette lutte bizarre, je parierais pour lord Wolsley ; mais celui-ci s’épuise à vue d’œil, tandis que le faubourg dresse toujours à pic sa formidable rampe, qui semble narguer l’administration des ponts et chaussées et l’édilité dinannaise. Mon stratagème eut un résultat inattendu. À mesure que ma gaieté revenait, celle de lady Wolsley disparaissait. Chaque jour, je la retrouvais plus triste que la veille. Ma vanité ne faillit point à tirer de ces symptômes le plus favorable augure. Je redoublai d’efforts, et parvins à prendre les allures d’un persifleur de moyen mérite. Je m’étais fait sceptique. Je déblatérais si platement contre toutes choses respectées, que je m’émerveillais moi-même. Lady Wolsley baissait les yeux ou me regardait étonnée ; elle ne me répondait point. Un soir, au beau milieu d’une de mes tirades, je m’interrompis tout à coup et demeurai la bouche ouverte, interdit et vivement ému : j’avais cru voir une larme rouler sous sa paupière demi-baissée. Pour le coup, mon adresse était couronnée d’un plein succès. Le mystère s’éclairait ; cette larme expliquait tout. Lady Wolsley m’avait aimé tout d’abord ; c’était la crainte de faiblir qui l’avait poussée à cette manœuvre tant soit peu théâtrale et affectée, mais bien excusable dans la situation de la pauvre femme. Comme je la plaignais sincèrement ! que de clémence je trouvais dans mon cœur pour cette faute vénielle, rendue pour moi si flatteuse par ses motifs ! Oh ! je me repentais. Toutes ces paroles incisives, amères, pleines de doute et de sécheresse, que j’avais prononcées depuis quelques jours, me revenaient en mémoire, et je me trouvais un monstre de barbarie. Et ma victime était là, devant moi ; elle souffrait avec résignation et sans murmure ! Je sentais mes paupières sollicitées par mes larmes, qui demandaient impérieusement passage. Quel doux moment ! nous allions confondre nos pleurs. Lady Wolsley, voyant que je ne poursuivais pas, releva sur moi son regard. Son œil était sec et n’exprimait qu’une froide et indifférente surprise, mêlée, je dois le dire, d’une légère dose de pitié. Vous êtes-vous quelquefois confondu en excuses empressées vis-à-vis d’une personne qui vous laissait dire, ne sachant point ce dont il était question ? Avez-vous demandé à genoux pardon d’une offense, et reçu pour réponse ces mots navrants : « Je n’avais pas pris garde ? » Si vous vous êtes jamais trouvé dans cette humiliante position, vous avez éprouvé environ la dixième partie de la honte que je ressentis à la vue du calme de lady Wolsley. Cette fois, quelle que fût ma bonne volonté, je ne pouvais prendre le change : mon rôle atteignait les limites du ridicule ; je me voyais grotesque. En vain je voulus prendre le dessus ; lady Wolsley, en me demandant avec intérêt la cause de ce trouble subit, mit le comble à ma détresse. Je pris congé précipitamment. Tout le long de la route, je me fis à moi-même des reproches furieux. Telle était la violence de mon dépit que, si j’eusse rencontré lord Wolsley désarçonné dans quelque trou, je l’aurais laissé, je crois, à la garde de la providence. Le soir, je mis en ordre mes bagages, je voulais partir le lendemain avant le jour, sans voir lady Wolsley. – Sans la voir ! quel pauvre dénouement à cette comédie si péniblement soutenue ! N’était-ce pas là une déroute manifeste ? Je repoussai bien vite ce pitoyable expédient, et, dès le matin, je pris la route du Vauvert afin de faire au moins mes adieux dans les règles. Je me munis, pour entrer, d’un visage souriant. Lord Wolsley voulut battre en retraite et me laisser seul avec sa femme. Cette conduite, à laquelle je devais être habitué, me sembla ce jour-là singulièrement dédaigneuse et outrecuidante. Décidément, le vieux nobleman n’avait pas peur de moi. – Milord, lui dis-je en l’arrêtant, permettez-moi de vous présenter mes adieux ; je pars demain pour l’Angleterre. Il souleva son chapeau, me secoua la main à quatre reprises, murmura « un portez-vous bien » anglo-français et prit la porte. Je me retournai vers lady Wolsley. Elle était pâle et semblait prête à défaillir. Instruit par ma déconvenue de la veille, je feignis de ne point remarquer son trouble, et lui demandai ses commissions pour Londres avec une froideur passablement bien jouée. – pourquoi ce soudain départ ? me demanda-t-elle à voix basse au lieu de me répondre. Je me roidis et fis l’impitoyable. Je ne me souviens pas au juste quelle impertinente fadaise je lui donnai en retour de sa question, mais ce dut être bien misérable, à coup sûr, car elle me laissa dès lors le soin de faire à moi seul les frais de l’entretien. Elle était émue ; plus cette émotion devenait évidente, plus je prenais plaisir à faire montre de ma liberté d’esprit. Je me vengeais avec délices de ma récente peine. Au bout de quelques minutes, lady Wolsley se leva. – Adieu donc, dit-elle, je souhaite que vous soyez heureux. Je sentis tout à coup mon cœur se serrer ; j’aurais donné deux ans de ma vie pour pouvoir prolonger d’une heure cette entrevue. Lady Wolsley, cependant, touchait déjà le bouton de la porte. – Ne désirez-vous plus savoir pourquoi je pars ? balbutiai-je d’une voix suppliante. Elle se retourna ; moi, je faisais à ma faculté d’imagination un appel désespéré ; que dire ? – Milady ! m’écriai-je enfin au hasard ; j’aime, je souffre ! Elle fit un mouvement de frayeur. – Ne vous offensez pas, repris-je en m’élançant vers elle ; je suis bien malheureux ; je croyais… Je m’interrompis ; une idée m’était enfin venue. Ce que je voulais par-dessus tout, c’était prolonger ce dernier tête-à-tête. Je lisais en effet dans mon cœur, et, pour la première fois, je mesurais l’étendue de ma passion. – Écoutez-moi, dis-je rapidement ; j’aurais dû sans doute vous parler ainsi depuis longtemps ; une fausse honte me retenait. Je veux à mon tour vous ouvrir mon âme. Vous me direz après s’il faut que je parte. Une puissante anxiété se peignait dans le regard de lady Wolsley. Elle se laissa conduire jusqu’à son fauteuil et se rassit. En ce moment, n’eût été l’expérience de la veille, j’aurais pu croire qu’elle aussi avait au cœur un sentiment autre que l’amitié. Et maintenant, Charles, vous souvient-il de cette jolie apparition qui vint interrompre ma rêverie le soir de mon arrivée à Dinan ? C’est elle qui me fournit le prétexte ardemment désiré. Je racontai à lady Wolsley la scène nocturne qui avait précédé ma rencontre avec son mari ; je lui dépeignis scrupuleusement la jeune fille, cela d’autant plus aisément que le propre visage de lady Wolsley venait en aide à mes souvenirs. – Depuis ce jour, dis-je en finissant, l’image de cette enfant est restée présente à ma pensée ; une seule fois je l’oubliai, milady, et ce fut près de vous. Je l’aime. Je pense que je mentais. Il est certain pourtant que cette jeune fille, le mystère aidant, a laissé en moi une profonde impression. Quoi qu’il en soit, je m’attendais à une explosion de douloureuse surprise au milieu de laquelle lady Wolsley aurait trahi l’état secret de son cœur. Mais, ou je connais bien peu les femmes, ou celle-ci est, de beaucoup, la plus incompréhensible entre toutes. Elle ne manifesta aucun chagrin ; seulement, étonnée d’abord, elle me regarda comme si elle croyait que j’avais voulu railler, puis elle baissa les yeux et se prit à réfléchir. Bientôt un sourire d’expression équivoque parut sur sa lèvre et ne la quitta plus. Ce sourire me déplut ; c’était en quelque sorte un nouveau mécompte ; mon irritation, un instant calmée, revint plus vive que jamais. Je repris après un court silence : – Veuillez excuser mon indiscrétion ; le mystère qui environne cette enfant n’est point chose dont il me soit permis de m’enquérir ; mais il m’a semblé reconnaître dans ses traits… milady, ce doit être votre sœur ? Elle baissa la tête davantage, son front devint pourpre. – C’est ma sœur, en effet, dit-elle avec une hésitation marquée. – Je l’avais deviné, m’écriai-je vivement, et cela m’explique mon amour. Ce mot était à peine prononcé, que je le regrettais déjà. Lady Wolsley, qui avait recouvré quelque calme, feignit de ne le point comprendre. Un long silence suivit, pendant lequel elle retomba dans sa rêverie. Je sentais croître mon malaise ; j’avais choisi à l’étourdie le premier expédient venu, et je me trouvais affublé d’un rôle qui pouvait devenir pénible. Le souvenir récemment évoqué de la jeune fille ne me laissait pas sans émotion ; mais, près de lady Wolsley, toute autre image se voilait ; je ne pouvais voir qu’elle. En outre, ce silence qui se prolongeait semblait m’inviter à la retraite, et je voulais rester encore. pendant que je torturais ma cervelle pour trouver un moyen de poursuivre l’entretien, lady Wolsley reprit la parole d’une voix basse et mal assurée. Elle s’interrompait de temps à autre pour se recueillir. parfois sa phrase restait inachevée : on eût dit une bouche pure s’essayant pour la première fois au mensonge. – Vous aimez ma sœur Ève, dit-elle : je ne sais si je dois m’en réjouir. Un mariage n’est pas possible… Non. Il ne faut point espérer une heureuse fin à cet amour… La pauvre Ève m’a souvent permis de lire dans son âme ; elle songeait à vous sans cesse. Souvent, peut-être ne devrais-je point vous le dire, elle vous écrivait de longues lettres. Elle a bien souffert ; elle souffrira plus encore… Ce fut dès la première fois qu’elle vous vit ; elle fut prise d’une de ces passions soudaines, dont nous gardons souvent le secret jusqu’à la mort, nous autres femmes. J’ai combattu tant que j’ai pu : à quoi bon ! Elle vous aime ; elle vous aimera toujours ! Lady Wolsley prononça ces derniers mots avec une énergie que je ne puis vous rendre. J’écoutais, muet de surprise. Tout à coup elle se leva : je l’imitai. – Restez, me dit-elle, je vais revenir. – Que veut dire ceci ? m’écriai-je en moi-même quand elle fut sortie. Ève m’aime ! Où m’a-t-elle vu ? Et où est-elle ? Pourquoi me l’a-t-on cachée si longtemps avec tant de soin ? Pourquoi me fait-on maintenant cette incroyable confidence ? Lord Wolsley ignore-t-il ?… Lady Wolsley rentra. Elle tenait à la main un paquet de lettres. – Lisez, murmura-t-elle. Celle qui les écrivit n’espéra point qu’elles dussent arriver jusqu’à vous. Elle a laissé parler son cœur. Souvenez-vous qu’elle ne peut être votre femme. J’ouvrais la bouche pour exprimer enfin mon étonnement jusqu’alors contenu, mais lady Wolsley, comme brisée par une irrésistible émotion, cacha sa tête entre ses mains et fit un geste que je dus prendre pour un ordre : je me retirai sur-le-champ. Je les ai lues, ces lettres, Charles. Quel esprit ! quel cœur ! Elle m’aime ; elle m’aime comme je souhaitais si passionnément d’être aimé. Moi, je l’aime aussi, j’espère. Oh ! pourquoi ai-je connu lady Wolsley ! Lady Wolsley est entre Ève et moi ; car j’essaierais vainement de me le dissimuler, la pensée de cette femme m’obsède sans relâche. En lisant ces lettres d’Ève, je me prends à penser parfois que c’est sa sœur qui les a dictées, et je deviens fou de bonheur. Mais je combattrai ; je serai le plus fort ; je veux aimer cette enfant qui me demande une place en mon cœur. Si je ne puis, je partirai. J’ai revu, depuis, plusieurs fois, lady Wolsley. Je l’ai pressée de questions ; ses réponses ont été obscures, ambiguës ; je n’ai rien appris. Ève ne peut être à moi, dit-elle. Pourquoi ? Je ne sais. La plus simple question trouble lady Wolsley au point de la rendre muette. Hier, je lui demandais si sa sœur habitait encore le Vauvert. Elle hésita longtemps ; sa réponse négative, tardivement donnée, équivalait presque à une affirmation. Que croire ? Il n’est point de suppositions folles qui n’aient traversé mon esprit. Lady Wolsley m’a réclamé les lettres d’Ève ; je les ai refusées. Un effroi visible s’est peint d’abord sur sa physionomie ; puis elle s’est efforcée de sourire et m’a demandé ce que j’en prétendais faire. Toute franchise a disparu de nos relations. Son caractère s’est complètement transformé : elle est tour à tour pétulante ou abattue ; à chaque instant, et sans motif apparent, ses yeux se remplissent de larmes. – Ève serait-elle morte, et voudrait-elle me le cacher ? Pauvre Ève ! Peut-être vaudrait-il mieux qu’elle fût morte en effet ! On m’annonce lord Wolsley. Adieu, Charles. C’est la première visite que milord ait jamais daigné me faire. … Je rouvre ma lettre pour vous dire en deux mots ce qui vient de se passer. Lord Wolsley, en entrant, m’a abordé froidement, puis, refusant de s’asseoir, il a tiré de son portefeuille deux bank-notes qu’il a déposées sur le marbre de ma cheminée : – Acceptez nos remerciements, a-t-il dit en se retirant aussitôt. Milady et moi nous avons fait choix d’un autre médecin. Je suis donc banni de sa présence ! Hélas ! Charles, ayez pitié de moi ! Prenez au sérieux ma peine et envoyez-moi un bon conseil. Puis-je essayer de la voir encore ? Dois-je partir ?… Partir ! cela serait odieux ! Ève, cette pauvre enfant !… Je resterai pour Ève.
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