I-3

3007 Words
En l’apercevant, la petite marquise se leva vivement, courut à elle, lui prit les deux mains ; et tout en l’examinant des pieds à la tête, elle murmurait d’une voix flûtée : – Ah ! chère belle, chère belle… Cependant, il y eut un grand mouvement, tous les convives vinrent saluer la belle Mme Saccard, comme on nommait Renée dans le monde. Elle toucha la main presque à tous les hommes. Puis elle embrassa Christine, en lui demandant des nouvelles de son père, qui ne venait jamais à l’hôtel du parc Monceaux. Et elle restait debout, souriante, saluant encore de la tête, les bras mollement arrondis, devant le cercle des dames qui regardaient curieusement la rivière et l’aigrette. La blonde Mme Haffner ne put résister à la tentation ; elle s’approcha, regarda longuement les bijoux, et dit d’une voix jalouse : – C’est la rivière et l’aigrette, n’est-ce pas ?… Renée fit un signe affirmatif. Alors toutes les femmes se répandirent en éloges ; les bijoux étaient ravissants, divins ; puis elles en vinrent à parler, avec une admiration pleine d’envie, de la vente de Laure d’Aurigny, dans laquelle Saccard les avait achetés pour sa femme ; elles se plaignirent de ce que ces filles enlevaient les plus belles choses, bientôt il n’y aurait plus de diamants pour les honnêtes femmes. Et, dans leurs plaintes, perçait le désir de sentir sur leur peau nue un de ces bijoux que tout Paris avait vus aux épaules d’une impure illustre, et qui leur conteraient peut-être à l’oreille les scandales des alcôves où s’arrêtaient si complaisamment leurs rêves de grandes dames. Elles connaissaient les gros prix, elles citèrent un superbe cachemire, des dentelles magnifiques. L’aigrette avait coûté quinze mille francs, la rivière cinquante mille francs. Mme d’Espanet était enthousiasmée par ces chiffres. Elle appela Saccard, elle lui cria : – Venez donc qu’on vous félicite ! Voilà un bon mari ! Aristide Saccard s’approcha, s’inclina, fit de la modestie. Mais son visage grimaçant trahissait une satisfaction vive. Et il regardait du coin de l’œil les deux entrepreneurs, les deux maçons enrichis, plantés à quelques pas, écoutant sonner les chiffres de quinze mille et de cinquante mille francs, avec un respect visible. À ce moment, Maxime, qui venait d’entrer, adorablement pincé dans son habit noir, s’appuya avec familiarité sur l’épaule de son père, et lui parla bas, comme à un camarade, en lui désignant les maçons d’un regard. Saccard eut le sourire discret d’un acteur applaudi. Quelques convives arrivèrent encore. Il y avait au moins une trentaine de personnes dans le salon. Les conversations reprirent ; pendant les moments de silence, on entendait, derrière les murs, des bruits légers de vaisselle et d’argenterie. Enfin, Baptiste ouvrit une porte à deux battants, et, majestueusement, il dit la phrase sacramentelle : – Madame est servie. Alors, lentement, le défilé commença. Saccard donna le bras à la petite marquise ; Renée prit celui d’un vieux monsieur, un sénateur, le baron Gouraud, devant lequel tout le monde s’aplatissait avec une humilité grande ; quant à Maxime, il fut obligé d’offrir son bras à Louise de Mareuil ; puis venait le reste des convives, en procession, et, tout au bout, les deux entrepreneurs, les mains ballantes. La salle à manger était une vaste pièce carrée, dont les boiseries de poirier noirci et verni montaient à hauteur d’homme, ornées de minces filets d’or. Les quatre grands panneaux avaient dû être ménagés de façon à recevoir des peintures de nature morte ; mais ils étaient restés vides, le propriétaire de l’hôtel ayant sans doute reculé devant une dépense purement artistique. On les avait simplement tendus de velours gros vert. Les meubles, les rideaux et les portières de même étoffe, donnaient à la pièce un caractère sobre et grave, calculé pour concentrer sur la table toutes les splendeurs de la lumière. Et, à cette heure, en effet, au milieu du large tapis persan, de teinte sombre, qui étouffait le bruit des pas, sous la clarté crue du lustre, la table, entourée de chaises dont les dossiers noirs, à filets d’or, l’encadraient d’une ligne sombre, était comme un autel, comme une chapelle ardente, où, sur la blancheur éclatante de la nappe, brûlaient les flammes claires des cristaux et des pièces d’argenterie. Au-delà des dossiers sculptés, dans une ombre flottante, à peine apercevait-on les boiseries des murs, un grand buffet bas, des pans de velours qui traînaient. Forcément, les yeux revenaient à la table, s’emplissaient de cet éblouissement. Un admirable surtout d’argent mat, dont les ciselures luisaient, en occupait le centre ; c’était une b***e de faunes enlevant des nymphes ; et, au-dessus du groupe, sortant d’un large cornet, un énorme bouquet de fleurs naturelles retombait en grappes. Aux deux bouts, des vases contenaient également des gerbes de fleurs ; deux candélabres, appareillés au groupe du milieu, faits chacun d’un s****e courant, emportant sur l’un de ses bras une femme pâmée, et tenant de l’autre une torchère à dix branches, ajoutaient l’éclat de leurs bougies au rayonnement du lustre central. Entre ces pièces principales, les réchauds grands et petits, s’alignaient symétriquement, chargés du premier service, flanqués par des coquilles contenant des hors d’œuvre, séparés par des corbeilles de porcelaine, des vases de cristal, des assiettes plates, des compotiers montés, contenant la partie du dessert qui était déjà sur la table. Le long du cordon des assiettes, l’armée des verres, les carafes d’eau et de vin, les petites salières, tout le cristal du service était mince et léger comme de la mousseline, sans une ciselure, et si transparent, qu’il ne jetait aucune ombre. Et le surtout, les grandes pièces semblaient des fontaines de feu ; des éclairs couraient dans le flanc poli des réchauds ; les fourchettes, les cuillers, les couteaux à manches de nacre, faisaient des barres de flammes ; des arcs-en-ciel allumaient les verres ; et, au milieu de cette pluie d’étincelles, dans cette masse incandescente, les carafes de vin tachaient de rouge la nappe chauffée à blanc. En entrant, les convives, qui souriaient aux dames qu’ils avaient à leur bras, eurent une expression de béatitude discrète. Les fleurs mettaient une fraîcheur dans l’air tiède. Des fumets légers traînaient, mêlés aux parfums des roses. Et c’était la senteur âpre des écrevisses et l’odeur aigrelette des citrons qui dominaient. Puis, quand tout le monde eut trouvé son nom, écrit sur le revers de la carte du menu, il y eut un bruit de chaises, un grand froissement de jupes de soie. Les épaules nues étoilées de diamants, flanquées d’habits noirs qui en faisaient ressortir la pâleur, ajoutèrent leurs blancheurs laiteuses au rayonnement de la table. Le service commença, au milieu de petits sourires échangés entre voisins, dans un demi-silence que ne coupaient encore que les cliquetis assourdis des cuillers. Baptiste remplissait les fonctions de maître d’hôtel avec ses attitudes graves de diplomate ; il avait sous ses ordres, outre les deux valets de pied, quatre aides qu’il recrutait seulement pour les grands dîners. À chaque mets qu’il enlevait, et qu’il allait découper, au fond de la pièce, sur une table de service, trois des domestiques faisaient doucement le tour de la table, un plat à la main, offrant le mets par son nom, à demi-voix. Les autres versaient les vins, veillaient au pain et aux carafes. Les relevés et les entrées s’en allèrent et se promenèrent ainsi lentement, sans que le rire perlé des dames devint plus aigu. Les convives étaient trop nombreux pour que la conversation pût aisément devenir générale. Cependant, au second service, lorsque les rôtis et les entremets eurent pris la place des relevés et des entrées, et que les grands vins de Bourgogne, le Pomard, le Chambertin, succédèrent au Léoville et au Château-Lafitte, le bruit des voix grandit, des éclats de rire firent tinter les cristaux légers. Renée, au milieu de la table, avait, à sa droite le baron Gouraud, à sa gauche M. Toutin-Laroche, ancien fabricant de bougies, alors conseiller municipal, directeur du Crédit viticole, membre du conseil de surveillance de la Société générale des ports du Maroc, homme maigre et considérable, que Saccard, placé en face, entre Mme d’Espanet et Mme Haffner, appelait d’une voix flatteuse tantôt : « Mon cher collègue, » et tantôt : « Notre grand administrateur. » Ensuite venaient les hommes politiques : M. Hupel de la Noue, un préfet qui passait huit mois de l’année à Paris ; trois députés, parmi lesquels M. Haffner étalait sa large face alsacienne ; puis M. de Saffré, un charmant jeune homme, secrétaire d’un ministre ; M. Michelin, chef du bureau de la voirie ; et d’autres employés supérieurs. M. de Mareuil, candidat perpétuel à la députation, se carrait en face du préfet, auquel il faisait les doux yeux : Quant à M. d’Espanet, il n’accompagnait jamais sa femme dans le monde. Les dames de la famille étaient placées entre les plus marquants de ces personnages. Saccard avait cependant réservé sa sœur Sidonie, qu’il avait mise plus loin, entre les deux entrepreneurs, le sieur Charrier à droite, le sieur Mignon à gauche, comme à un poste de confiance où il s’agissait de vaincre. Mme Michelin, la femme du chef de bureau, une jolie brune, toute potelée, se trouvait à côté de M. de Saffré, avec lequel elle causait vivement à voix basse. Puis, aux deux bouts de la table, était la jeunesse, des auditeurs au Conseil d’État, des fils de pères puissants, des petits millionnaires en herbe, M. de Mussy, qui jetait à Renée des regards désespérés, Maxime ayant à sa droite Louise de Mareuil, et dont sa voisine semblait faire la conquête. Peu à peu, ils s’étaient mis à rire très haut. Ce furent de là que partirent les premiers éclats de gaieté. Cependant, M. Hupel de la Noue demanda galamment : – Aurons-nous le plaisir de voir Son Excellence, ce soir ? – Je ne crois pas, répondit Saccard d’un air important qui cachait une contrariété secrète. Mon frère est si occupé !… Il nous a envoyé son secrétaire, M. de Saffré, pour nous présenter ses excuses. Le jeune secrétaire, que Mme Michelin accaparait décidément, leva la tête en entendant prononcer son nom, et s’écria à tout hasard, croyant qu’on s’était adressé à lui : – Oui, oui, il doit y avoir une réunion des ministres à neuf heures chez le garde des sceaux. Pendant ce temps, M. Toutin-Laroche, qu’on avait interrompu, continuait gravement, comme s’il eût péroré dans le silence attentif du conseil municipal : – Les résultats sont superbes. Cet emprunt de la Ville restera comme une des plus belles opérations financières de l’époque. Ah ! messieurs… Mais, ici, sa voix fut de nouveau couverte par des rires qui éclatèrent brusquement à l’un des bouts de la table. On entendait, au milieu de ce souffle de gaieté, la voix de Maxime, qui achevait une anecdote : « Attendez donc, je n’ai pas fini. La pauvre amazone fut relevée par un cantonnier. On dit qu’elle lui fait donner une brillante éducation pour l’épouser plus tard. Elle ne veut pas qu’un homme autre que son mari puisse se flatter d’avoir vu certain signe noir placé au-dessus de son genou. » Les rires reprirent de plus belle ; Louise riait franchement, plus haut que les hommes. Et doucement, au milieu de ces rires, comme sourd, un laquais allongeait en ce moment, entre chaque convive, sa tête grave et blême, offrant des aiguillettes de canard sauvage, à voix basse. Aristide Saccard fut fâché du peu d’attention qu’on accordait à M. Toutin-Laroche. Il reprit, pour lui montrer qu’il l’avait écouté : – L’emprunt de la ville… Mais M. Toutin-Laroche n’était pas homme à perdre le fil d’une idée : – Ah ! messieurs, continua-t-il quand les rires furent calmés, la journée d’hier a été une grande consolation pour nous, dont l’administration est en butte à tant d’ignobles attaques. On accuse le Conseil de conduire la Ville à sa ruine, et, vous le voyez, dès que la Ville ouvre un emprunt, tout le monde nous apporte son argent, même ceux qui crient. – Vous avez fait des miracles, dit Saccard. Paris est devenu la capitale du monde. – Oui, c’est vraiment prodigieux, interrompit M. Hupel de la Noue. Imaginez-vous que moi, qui suis un vieux Parisien, je ne reconnais plus mon Paris. Hier, je me suis perdu pour aller de l’Hôtel de Ville au Luxembourg. C’est prodigieux, prodigieux ! Il y eut un silence. Tous les hommes graves écoutaient maintenant. – La transformation de Paris, continua M. Toutin-Laroche, sera la gloire du règne. Le peuple est ingrat : il devrait b****r les pieds de l’empereur. Je le disais ce matin au Conseil, où l’on parlait du grand succès de l’emprunt : « Messieurs, laissons dire ces braillards de l’opposition : bouleverser Paris, c’est le fertiliser. » Saccard sourit en fermant les yeux, comme pour mieux savourer la finesse du mot. Il se pencha derrière le dos de Mme d’Espanet, et dit à M. Hupel de la Noue, assez haut pour être entendu : – Il a un esprit adorable. Cependant, depuis qu’on parlait des travaux de Paris, le sieur Charrier tendait le cou, comme pour se mêler à la conversation. Son associé Mignon n’était occupé que de Mme Sidonie, qui lui donnait fort à faire. Saccard, depuis le commencement du dîner, surveillait les entrepreneurs du coin de l’œil. – L’administration, dit-il, a rencontré tant de dévouements ! Tout le monde a voulu contribuer à la grande œuvre. Sans les riches compagnies qui lui sont venues en aide, la Ville n’aurait jamais pu faire si bien ni si vite. Il se tourna, et avec une sorte de brutalité flatteuse : – MM. Mignon et Charrier en savent quelque chose, eux qui ont eu leur part de peine, et qui auront leur part de gloire. Les maçons enrichis reçurent béatement cette phrase en pleine poitrine. Mignon, auquel Mme Sidonie disait en minaudant : « Ah ! monsieur, vous me flattez ; non, le rose serait trop jeune pour moi…, » la laissa au milieu de sa phrase pour répondre à Saccard : – Vous êtes trop bon ; nous avons fait nos affaires. Mais Charrier était plus dégrossi. Il acheva son verre de Pomard et trouva moyen de faire une phrase : – Les travaux de Paris, dit-il, ont fait vivre l’ouvrier. – Dites aussi, reprit M. Toutin-Laroche, qu’ils ont donné un magnifique élan aux affaires financières et industrielles. – Et n’oubliez pas le côté artistique ; les nouvelles voies sont majestueuses, ajouta M. Hupel de la Noue, qui se piquait d’avoir du goût. – Oui, oui, c’est un beau travail, murmura M. de Mareuil, pour dire quelque chose. – Quant à la dépense, déclara gravement le député Haffner qui n’ouvrait la bouche que dans les grandes occasions, nos enfants la payeront, et rien ne sera plus juste. Et comme, en disant cela, il regardait M. de Saffré que la jolie Mme Michelin semblait bouder depuis un instant, le jeune secrétaire pour paraître au courant de ce qu’on disait, répéta : – Rien ne sera plus juste, en effet. Tout le monde avait dit son mot, dans le groupe que les hommes graves formaient au milieu de la table. M. Michelin, le chef de bureau, souriait, dodelinait de la tête ; c’était, d’ordinaire, sa façon de prendre part à une conversation ; il avait des sourires pour saluer, pour répondre, pour approuver, pour remercier, pour prendre congé, toute une jolie collection de sourires qui le dispensaient presque de jamais se servir de la parole, ce qu’il jugeait sans doute plus poli et plus favorable à son avancement. Un autre personnage était également resté muet, le baron Gouraud, qui mâchait lentement comme un bœuf aux paupières lourdes. Jusque-là, il avait paru absorbé dans le spectacle de son assiette. Renée, aux petits soins pour lui, n’en obtenait que de légers grognements de satisfaction. Aussi fut-on surpris de le voir lever la tête et de l’entendre dire, en essuyant ses lèvres grasses : – Moi qui suis propriétaire, lorsque je fais réparer et décorer un appartement, j’augmente mon locataire. La phrase de M. Haffner : « Nos enfants payeront, » avait réussi à réveiller le sénateur. Tout le monde battit discrètement des mains, et M. de Saffré s’écria : – Ah ! charmant, charmant, j’enverrai demain le mot aux journaux. – Vous avez bien raison, messieurs, nous vivons dans un bon temps, dit le sieur Mignon, comme pour conclure, au milieu des sourires et des admirations que, le mot du baron excitait. J’en connais plus d’un qui ont joliment arrondi leur fortune. Voyez-vous, quand on gagne de l’argent, tout est beau. Ces dernières paroles glacèrent les hommes graves. La conversation tomba net, et chacun parut éviter de regarder son voisin. La phrase du maçon atteignait ces messieurs, roide comme le pavé de l’ours. Michelin, qui justement contemplait Saccard d’un air agréable, cessa de sourire, très effrayé d’avoir eu l’air un instant d’appliquer les paroles de l’entrepreneur au maître de la maison. Ce dernier lança un coup d’œil à Mme Sidonie, qui accapara de nouveau Mignon, en disant : « Vous aimez donc le rose, monsieur ?… » Puis Saccard fit un long compliment à Mme d’Espanet ; sa figure noirâtre, chafouine, touchait presque les épaules laiteuses de la jeune femme, qui se renversait avec de petits rires. On était au dessert. Les laquais allaient d’un pas plus vif autour de la table. Il y eut un arrêt, pendant que la nappe achevait de se charger de fruits et de sucreries. À l’un des bouts, du côté de Maxime, les rires devenaient plus clairs : on entendait la voix aigrelette de Louise dire : « Je vous assure que Sylvia avait une robe de satin bleu dans son rôle de Dindonnette. » et une autre voix d’enfant ajoutait : « Oui, mais la robe était garnie de dentelles blanches. » Un air chaud montait. Les visages, plus roses, étaient comme amollis par une béatitude intérieure. Deux laquais firent le tour de la table, versant de l’alicante et du tokai. Depuis le commencement du dîner, Renée semblait distraite. Elle remplissait ses devoirs de maîtresse de maison avec un sourire machinal. À chaque éclat de gaieté qui venait du bout de la table, où Maxime et Louise, côte à côte, plaisantaient comme de bons camarades, elle jetait de ce côté un regard luisant. Elle s’ennuyait. Les hommes graves l’assommaient. Mme d’Espanet et Mme Haffner lui lançaient des regards désespérés. – Et les prochaines élections, comment s’annoncent-elles ? demanda brusquement Saccard à M. Hupel de la Noue. – Mais très bien, répondit celui-ci en souriant ; seulement je n’ai pas encore de candidats désignés pour mon département. Le ministère hésite, paraît-il. M. de Mareuil, qui, d’un coup d’œil, avait remercié Saccard d’avoir entamé ce sujet, semblait être sur des charbons ardents. Il rougit légèrement, il fit des saluts embarrassés, lorsque le préfet, s’adressant à lui, continua : – On m’a beaucoup parlé de vous dans le pays, monsieur. Vos grandes propriétés vous y font de nombreux amis, et l’on sait combien vous êtes dévoué à l’empereur. Vous avez toutes les chances. – Papa, n’est-ce pas que la petite Sylvia vendait des cigarettes à Marseille, en 1849 ? cria à ce moment Maxime, du bout de la table. Et comme Aristide Saccard feignait de ne pas entendre, le jeune homme reprit d’un ton plus bas : – Mon père l’a connue particulièrement. Il y eut quelques rires étouffés. Cependant, tandis que M. de Mareuil saluait toujours, M. Haffner avait repris d’une voix sentencieuse : – Le dévouement à l’empereur est la seule vertu, le seul patriotisme, en ces temps de démocratie intéressée. Quiconque aime l’empereur aime la France. C’est avec une joie sincère que nous verrions monsieur devenir notre collègue. – Monsieur l’emportera, dit à son tour M. Toutain-Laroche. Les grandes fortunes doivent se grouper autour du trône. Renée n’y tint plus. En face d’elle, la marquise étouffait un bâillement. Et comme Saccard allait reprendre la parole :
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