Desiree
— Giovanni, laissai-je échapper, me souvenant enfin du prénom du frère de Junior.
Je l’avais rencontré une fois chez sa mère.
Mon cœur battait fort depuis que je l’avais vu couché sur le lit avec une blessure par balle, tachant les draps. Je ne savais pas pourquoi je m’en souciais à ce point, mais ça semblait pire quand vous connaissiez le gars.
Et je ne le connaissais pas vraiment, mais je m’étais occupée de sa mère pendant presque trois mois et elle parlait de ses enfants tout le temps.
Ses paupières papillonnèrent et il se concentra sur moi et grogna.
— Ne bougez pas, l’avertis-je. Je sais que ça fait mal. Ne vous inquiétez pas. Nous allons nous occuper de vous, Giovanni.
— Gio, gronda Junior près de moi.
— Il se fait appeler Gio. Compris, dis-je en me redressant pour le regarder. Écoutez, je ne peux pas faire grand-chose avant que vous m’ayez trouvé le matériel. Je ne veux pas suturer la blessure avant de l’avoir nettoyée. Je pense qu’il restera relativement stable si nous l’empêchons de bouger.
Junior hocha la tête.
— Paolo s’occupe du matériel.
Et puisqu’il n’y avait rien à faire d’autre qu’attendre, je décidai de faire sentir mon mécontentement.
— Vous ne pouvez pas simplement me kidnapper dès que vous avez besoin d’une infirmière.
Le visage de Junior devint complètement impassible. Il ne dit rien.
Rien.
Comme s’il ne voulait même pas s’abaisser à me répondre.
Je lui frappai le torse.
— Sérieusement.
Il m’attrapa la main et la ramena vers son torse.
— Attention, poupée. J’ai dit que je laissais passer la dernière fois. Mais tu me frappes encore et il y aura des conséquences.
Un frisson remonta le long de mon échine, mais c’était plus de l’excitation que de la vraie peur. Je le savais, parce que ma petite culotte s’humidifia aussi. J’adorais que Junior parle de conséquences avec moi de sa profonde voix rocailleuse tout en maintenant ma main contre son torse alors qu’il se tenait à quelques centimètres de moi.
J’adorais ça, presque assez pour tenter ma chance et découvrir exactement quelles seraient ces conséquences, mais je n’étais pas stupide à ce point.
J’essayai de le repousser et de récupérer ma main mais il ne bougea pas et ma main resta collée là où elle était.
Il baissa la tête et me cloua d’un regard sombre.
— Tu prends soin de Gio, je prendrai soin de toi.
Maintenant, un petit soupçon de peur me traversa, même si je pensais que c’était une sorte de proposition, plutôt qu’une menace. J’entendais les sous-entendus de tous les accords mafieux de la télé dans ses mots, et ça me fit flipper.
— Je vais le recoudre et rester jusqu’à ce qu’il soit stable, mais c’est tout. Je travaille demain à midi à l’hôpital.
Il secoua la tête.
— Tu ne partiras pas d’ici avant qu’il aille mieux. Peu m’importe si ça prend un mois. Demain tu appelleras ton travail et tu leur diras que tu as attrapé la grippe.
Je le regardai bouche bée.
Mince. J’étais toujours prisonnière ici.
— Ma mère travaille dans le même hôpital… elle passera chez moi à la seconde où elle sortira du boulot.
Son masque impassible ne changea pas.
— Tu ferais bien de trouver quelque chose, alors.
Mon cœur se serra.
— Ou sinon quoi ?
Il pencha la tête, m’étudia un instant.
— Il y a une raison pour laquelle nous ne sommes pas à l’hôpital, capiche ?
Je hochai la tête.
— Alors réfléchis bien si tu veux que ta mère devienne un de mes détails à régler ou pas.
Tout mon corps se glaça.
C’était incontestablement une menace.
Une menace vraiment effrayante.
Et cela signifiait-il que j’allais être un de ses détails à régler aussi ? Quand je ne serais plus d’aucune utilité, se débarrasserait-il de moi pour que je ne parle pas ?
Oh mon Dieu, mon Dieu.
J’étais dans la mouise jusqu’au cou.
Mes genoux flanchèrent. J’aurais probablement trébuché en arrière s’il ne m’avait pas tenue par la main.
Il pinça mon menton entre son pouce et son index pour ramener mes yeux vers les siens.
— Tu resteras ici jusqu’à ce qu’il aille mieux. Pas de contact avec qui que ce soit à l’extérieur. Et quand tu partiras… tu auras assez d’argent pour t’acheter une voiture neuve.
Junior avait dû me ramener chez moi une fois de chez sa mère quand ma voiture était tombée en panne devant sa maison. Il savait l’âge qu’avait ma voiture.
— D’accord ? demanda-t-il.
Je le repoussai encore, des larmes me piquant les yeux. Cette fois il me lâcha.
— Non, je ne suis pas d’accord, répondis-je en clignant rapidement des yeux pour qu’il ne me voie pas pleurer. Vous croyez que vous m’avez cernée juste parce que je conduis une caisse pourrie ? Vous pensez que vous pouvez me kidnapper, prendre le contrôle de ma vie et tout arranger avec une liasse de billets ?
Il était imprudent de ma part de me disputer avec lui. C’était stupide, vraiment. Je ne savais même pas si son offre de me payer était réelle, ou juste des mots pour s’assurer que je ferais le boulot. Je savais qu’il pouvait me forcer à le faire, de toute façon.
Mais je m’énervais et ne semblais pas pouvoir arrêter de le provoquer maintenant.
— Je pourrais perdre mon travail, vous savez. Je viens de commencer… je n’ai qu’un jour de congé de côté.
Les lèvres de Junior se fermèrent en une ligne mince et, pour la première fois, je me rendis compte à quel point il avait l’air impitoyable. Je m’étais toujours concentrée sur le côté beau, avant. Mais maintenant ? Maintenant je voyais le visage que d’autres devaient voir quand ils faisaient dans leurs pantalons et demandaient pardon à Dieu pour leurs péchés avant de mourir.
Parce que son expression était mortelle.
— Si tu perds ton travail, je te couvrirai, d’accord ? Maintenant arrête de me faire suer. Ton travail est ici pour l’instant, et je m’attends à ce que tu le fasses bien.
Je le foudroyai du regard, mais je n’osai plus ouvrir la bouche.
Il me fit pivoter, de nouveau face à Gio.
— Allons, poupée, ne rends pas ça difficile.
Sa voix perdit une partie de son ton incisif, remplacée par une note de cajolerie.
— Ce devait être toi, dit-il derrière mon dos.
Je résistai à l’envie de regarder par-dessus mon épaule pour lui demander d’élaborer.
— À la seconde où tu es entrée ici, tu as su quoi faire. Tu as pris la situation en main. Je ne confierais la vie de mon frère à personne d’autre.
Quelque chose de rigide se détendit dans ma poitrine.
— Je suis sûre qu’il y a plein d’autres personnes pour ça, marmonnai-je.
— Non.
Il se rapprocha. Il était juste derrière moi, même s’il ne me touchait pas.
— Ce devait être toi, répéta-t-il.
Ses mains se posèrent sur ma taille, y reposant légèrement.
Des picotements descendaient et remontaient le long de mon échine. Mes cuisses se tendirent et frissonnèrent.
— Je ferai en sorte que ça en vaille la peine, dit-il en penchant la tête vers la mienne, la bouche près de mon oreille. Je te le promets.
J’aurais juré qu’il y avait des insinuations dans cette promesse. Spontanément, un fantasme que j’avais eu quand je travaillais pour sa mère refit surface. Il me poussait sur la table de la cuisine, me prenant brutalement par-derrière pendant que je le suppliais d’être doux. Ce fantasme ne semblait pas trop loin de devenir réalité désormais et cela aurait dû me terrifier. Ou me rendre malade.
À la place, je sentis des battements d’ailes dans mon ventre et l’envie de le pousser vers ses maudites conséquences refit surface.
Heureusement, je n’étais pas idiote à ce point. Je repoussai cette envie, l’enfouis sous des couches de peur et de droiture et jurai de ne jamais, jamais laisser mon attirance pour cet homme réapparaître.
Il était dangereux.
Il ne méritait pas ce genre d’attention de ma part.
Je ne pouvais même pas envisager des idées pareilles.
1 Alcool de maïs, qui peut être acheté à 75,5° ou 95°.