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Mansfield Park

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Mansfield Park est un roman de la femme de lettres anglaise Jane Austen paru en 1814.

L‘auteur ayant choisi de lui donner comme titre le nom de la propriété, c’est Mansfield Park, le lieu de vie de la famille du baronnet Sir Thomas Bertram, qui en est, en quelque sorte, le personnage central. Fanny Price, la petite cousine pauvre accueillie par charité, devra d’abord apprendre à s’y sentir chez elle avant d’en devenir finalement la conscience morale.

Le contexte économique et politique est particulièrement présent et joue un rôle dans l’intrigue : Sir Thomas part de longs mois à Antigua, dans les Caraïbes pour redresser la situation dans ses plantations (où travaillent des esclaves), et sa longue absence laisse trop de libertés à ses enfants. Avec William Price, le frère aîné de Fanny, qui participe aux expéditions militaires aux Antilles et en Méditerranée, est évoquée la situation de guerre avec la France. Mais, traitant de liberté et de limites, de dépendance et d’indépendance, d’intégrité et d’inconvenance, Mansfield Park peut aussi être lu comme une étude sur le sens de la famille et les valeurs qu’elle représente, voire une critique de la famille patriarcale traditionnelle, à cette époque charnière où son rôle et son statut sont en train d’être redéfinis.

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CHAPITRE PREMIER
CHAPITRE PREMIERIl y a de cela à peu près trente ans, Mlle Maria Ward d’Huntingdon, n’ayant pour toute fortune que sept cents livres, eut la chance de conquérir le cœur de Sir Thomas Bertram de Mansfield Park, dans le comté de Northampton. De ce fait elle fut élevée au rang de femme de baronet avec tout le luxe et tout le confort que lui apportait une maison bien montée et digne de sa situation. Tout Huntingdon applaudit à ce mariage magnifique et son oncle l’avocat, l’autorisa à user de ses talents jusqu’à concurrence de trois mille livres. Ses deux sœurs devaient bénéficier de son changement de situation et leurs amis et connaissances n’avaient aucun scrupule à prédire que Mlle Ward et Mlle Frances, aussi jolies que Mlle Maria, feraient certes d’aussi beaux mariages. Mais il n’y a pas, dans le monde, autant d’hommes possédant une grosse fortune qu’il y a de jolies femmes pour les mériter. Six ans plus tard, Mlle Ward se crut obligée de s’éprendre du Rév. A. Norris, un ami de son beau-frère, qui n’avait pratiquement aucune fortune et Mlle Frances fit encore pire. L’union de Mlle Ward n’était pas à dédaigner et Sir Thomas avait heureusement les moyens de donner l’hospitalité à son ami, à Mansfield, de sorte que M. et Mme Norris commencèrent leur vie conjugale avec moins de mille livres par an. Mais Mlle Frances désobligea toute sa famille en s’éprenant d’un lieutenant de marine, sans éducation, sans fortune et sans avenir. Elle aurait difficilement pu s’arrêter à un choix plus malencontreux. Sir Thomas Bertram avait tout intérêt, autant par principe que par fierté, à souhaiter que tous ceux de sa famille aient une situation respectable et aurait aidé de bon cœur la sœur de Lady Bertram dans ce sens. Mais la profession du mari de celle-ci était si peu intéressante qu’avant qu’il n’ait eu le temps de trouver le moyen de les aider, une mésintelligence profonde intervint entre les deux sœurs. C’était ce qui devait naturellement arriver à la suite d’un mariage aussi désastreux. Pour éviter des reproches inutiles, Mme Price n’avait jamais écrit à sa famille à ce sujet, jusqu’à ce qu’elle fût mariée. Lady Bertram, qui était une femme de caractère froid et indolent, se serait très bien accommodée d’abandonner sa sœur et de ne plus penser à elle. Mais Mme Norris était moins passive et ne fut satisfaite que lorsqu’elle eut écrit une longue lettre furieuse à Fanny, où elle lui montrait l’indignité de sa conduite et l’injuriait en conséquence. À son tour, Mme Price se froissa et se fâcha. Il y eut un échange de lettres désagréables entre elles, dans lesquelles Sir Thomas ne fut pas épargné, tant et si bien qu’il en résulta une brouille qui dura un temps considérable. Leurs habitations étaient si éloignées et leurs cercles de relations si différents, qu’ils entendirent à peine parler les uns des autres pendant les onze années qui suivirent et que ce fut par hasard que Sir Thomas apprit par Mme Norris, qui était toujours au courant de tout, que Fanny allait avoir un autre enfant. Après ce long laps de temps, Mme Price ne put supporter plus longtemps son ressentiment vis-à-vis de quelqu’un qui aurait pu l’aider et ne l’aidait pas. Une famille s’accroissant toujours, un mari inapte au service actif, mais aimant la bonne compagnie et les liqueurs fines, et un très petit revenu pour combler tous ces désirs la décidèrent à reconquérir les amis qu’elle avait si sottement sacrifiés. Elle adressa à Lady Bertram une lettre pleine de contrition et de désespoir, parlant avec émotion de ses enfants à qui il manquait le strict nécessaire et demandant la réconciliation. Elle attendait son neuvième enfant et après avoir exposé sa situation demandait à Lady Bertram d’être la marraine en la suppliant de s’occuper des huit autres. Son aîné était un garçon de dix ans plein d’esprit et qui désirait faire son chemin dans la vie, mais comment pouvait-elle l’aider ? Ne pourrait-il être utile à quelque chose dans une des propriétés que Sir Thomas avait dans les Indes ? Tout serait bon pour lui. Que pensait Sir Thomas de Woolwich ? Ou bien ne pouvait-on l’envoyer dans l’Est... La lettre produisit son effet. Elle rétablit la paix et ramena la bonté. Sir Thomas envoya des conseils et des recommandations. Lady Bertram de l’argent et une layette et Mme Norris écrivit des lettres. Tels furent les résultats immédiats, mais durant ces douze mois Mme Price obtint un autre avantage. Mme Norris déclara souvent à ses amis et connaissances qu’elle ne pouvait laisser sa pauvre sœur dans le besoin et quoique ayant déjà fait beaucoup pour elle, elle sentait qu’elle devait faire encore davantage. Elle émit l’idée de soulager Mme Price de la charge de l’un de ses enfants. – Ne serait-ce pas bien, s’ils prenaient chez eux complètement à leur charge l’aînée des filles, âgée de neuf ans et dont la mère ne pouvait s’occuper. L’ennui et la dépense ne seraient rien en comparaison de la bonne action accomplie. Lady Bertram acquiesça immédiatement : – Je crois que nous ne pourrions faire mieux, dit-elle. Envoyez chercher l’enfant. Mais Sir Thomas ne donna pas son consentement aussi rapidement. Il discuta et hésita. C’était une charge sérieuse et une petite fille ainsi enlevée de sa famille devait être élevée d’une façon adéquate, sinon ce serait une cruauté au lieu d’être une bonté. Il songeait à ses quatre enfants... à ses deux fils... à l’affection entre cousins... Mais à peine avait-il commencé ses objections que Mme Norris l’interrompit, ayant réponse à tout. – Mon cher Sir Thomas, je vous comprends très bien et je rends hommage à votre délicatesse, qui est tout à fait en rapport avec votre façon d’agir, et je suis tout à fait de votre avis : il faut faire pour l’enfant que l’on prend comme cela à sa charge tout ce qu’il est possible de faire. N’ayant pas d’enfant moi-même, que puis-je faire de mieux que de m’occuper des enfants de mes sœurs ? M. Norris est trop droit pour ne pas m’approuver. Ne nous empêchez pas de faire une bonne action pour une bagatelle. Donnez à cette jeune fille une éducation et introduisez-la dans un milieu convenable et je parie dix contre un, qu’elle a toutes les chances de bien s’établir sans dépenses supplémentaires pour personne. Une de « nos » nièces, Sir Thomas, et je devrais plutôt dire une de « vos » nièces, ne pourrait vivre dans cette compagnie sans en tirer de nombreux avantages. Je ne dis pas qu’elle sera aussi bien que ses cousines, je dirai même qu’elle ne peut pas l’être, mais elle sera introduite dans la société de cette contrée dans des circonstances si favorables, qu’il y a beaucoup de chances pour qu’elle s’établisse très convenablement. Vous pensez à vos garçons, mais n’oubliez pas que c’est ce qui a le moins de chances d’arriver. Les élever toujours ensemble, comme frères et sœur, c’est moralement impossible et je n’en connais aucun exemple. C’est en réalité le seul vrai moyen d’empêcher toute union. Supposons qu’elle soit une jolie fille et que Tom et Edmond la voient dans sept ans pour la première fois, il pourrait y avoir quelque danger. Rien que l’idée qu’elle a souffert loin de nous tous dans la pauvreté et les privations serait assez pour attendrir et rendre amoureux deux jeunes garçons tendres et bons. Mais s’ils sont élevés ensemble pendant tout ce temps, même si elle a la beauté d’un ange elle ne sera jamais pour eux autre chose qu’une sœur. – Il y a beaucoup de vrai dans ce que vous dites, répondit Sir Thomas, et loin de moi l’idée de rejeter une idée qui pourrait contenter tout le monde. Je désirais seulement faire remarquer que cet engagement ne doit pas être pris à la légère et que pour qu’il soit réellement une aide pour Mme Price et une possibilité pour nous, nous devons pouvoir assurer à cet enfant, ou du moins nous engager à lui assurer, pour l’avenir, la possibilité de devenir une femme accomplie et qu’elle puisse se suffire à elle-même, même si, quoi que vous disiez, elle ne trouve pas à se marier. – Je vous comprends parfaitement, s’écria Mme Norris, vous êtes l’homme le plus généreux que je connaisse et je suis sûre que nous ne serons jamais en désaccord sur ce point. Comme vous le savez, je suis prête à faire tout ce que je puis, pour ceux que j’aime et quoique je ne puisse jamais avoir pour cette petite fille le centième de l’affection que j’ai pour vos enfants, je me haïrais si j’étais capable de la négliger. N’est-elle pas un enfant de ma sœur et puis-je supporter que cette petite ait faim, tant que j’ai un morceau de pain à lui donner ? Mon cher Sir Thomas, quoique ayant beaucoup de défauts, j’ai un cœur tendre, et pauvre comme je le suis, j’aimerais mieux renoncer à mon nécessaire que d’agir d’une façon peu généreuse. Alors, si vous n’y êtes pas opposé, j’écrirai à ma sœur demain et aussitôt que les dispositions seront prises, je ferai venir l’enfant à Mansfield, vous n’en aurez aucun ennui, je vous le jure. Quant à mes propres peines, vous savez que je ne m’en soucie guère. J’enverrai Fanny à Londres où elle peut loger chez son cousin qui est sellier et où l’enfant pourrait la rejoindre. Ils peuvent facilement l’envoyer de Portsmouth par la diligence sous la garde de quelque personne honorable. Il y a toujours au moins une femme d’homme d’affaires qui fait le voyage. Sir Thomas ne fit plus aucune objection si ce n’est quant à la personnalité du cousin de Fanny ; et un rendez-vous moins économique mais certes plus honorable, fut arrangé en conséquence. Il ne restait plus qu’à se laisser à la joie du joli projet. Sa part de sensations de reconnaissance n’aurait certes pas dû être égale en toute justice, car Sir Thomas était absolument résolu à être le protecteur réel et effectif de l’enfant choisie, tandis que Mme Norris n’avait pas la moindre intention d’intervenir dans sa subsistance. Tant qu’il ne s’agissait que de parler, de marcher, de discuter, elle était sincèrement dévouée et personne ne savait mieux qu’elle dicter aux autres la façon d’être libéral, mais son amour de l’argent était égal à son amour du commandement et elle savait aussi bien le moyen de garder le sien que de dépenser celui des autres. S’étant mariée avec de petits revenus elle avait dû s’astreindre dès le début à une ligne de conduite d’économie obligatoire et ce qui avait commencé à être chez elle une affaire de prudence devint une affaire de goût. Si elle avait eu une famille à nourrir Mme Norris ne serait pas devenue avare, mais n’ayant pas ce souci, il n’y avait rien pour l’empêcher de faire des économies et diminuer la douceur de pouvoir faire au bout de l’année une addition des revenus qu’elle ne dépassait jamais. Avec de tels principes il lui était impossible de faire plus que protéger et encourager une telle charité, quoique rentrant au presbytère elle s’imaginât être la tante la plus libérale et la sœur la plus généreuse du monde ! Lorsque le sujet revint sur le tapis, ses vues s’étaient bien concrétisées et c’est avec stupéfaction que Sir Thomas l’entendit répondre à la question de Lady Bertram : – Si l’enfant irait d’abord chez eux ou chez elle ? que c’était tout à fait en dehors de ses moyens de prendre la moindre part à l’entretien de celle-ci. Il avait cru qu’elle serait au contraire considérée comme particulièrement bien venue au presbytère et semblait une compagne toute indiquée pour une tante sans enfant. Il se rendit compte qu’il s’était tout à fait trompé. Mme Norris regrettait de dire que dans sa situation actuelle il était tout à fait en dehors de question que l’enfant vînt habiter chez elle. La santé précaire de M. Norris rendait la chose impossible. Il ne supporterait pas plus le bruit d’un enfant qu’il ne supportait celui d’une mouche ; évidemment si son attaque de goutte allait mieux ce serait tout différent et elle serait alors contente de prendre l’enfant à son tour. Mais pour le moment le pauvre M. Norris prenait tout son temps et le seul fait de lui parler d’une telle chose serait mauvais pour sa santé. – Alors il vaut mieux qu’elle vienne chez nous, dit Lady Bertram avec le plus grand calme. Après un moment, Sir Thomas ajouta avec dignité : – Oui, que sa maison soit la nôtre. Nous nous efforcerons de faire notre devoir, vis à vis d’elle et elle aura au moins l’avantage d’avoir des compagnes de son âge et de son rang. – Très vrai ! s’écria Mme Norris, ce sont là deux considérations très importantes ; et ce sera la même chose pour Miss Lee d’avoir trois enfants à instruire au lieu de deux. Je regrette de ne pas être plus utile, mais vous voyez que je fais tout ce que je puis. Je ne suis pas de celles qui épargnent leurs peines. Fanny ira les chercher malgré les désagréments que j’aurai à me priver de celle-ci pendant trois jours. Je suppose, ma sœur, que vous mettrez l’enfant dans la petite mansarde blanche près de l’ancienne « nursery ». Ce sera le meilleur endroit pour elle, près de Miss Lee et non loin des autres petites de la femme de chambre qui peuvent à leur tour l’aider à s’habiller et s’occuper de ses vêtements, car je suppose que vous ne songez pas à demander à Ellis de prendre soin d’elle comme de vos filles ? Je ne crois pas que vous pourriez la mettre ailleurs ! Lady Bertram ne fit aucune objection. – J’espère qu’elle se montrera de bonne volonté, continua Mme Norris et qu’elle sera reconnaissante pour la bonne fortune inespérée qu’elle aura, d’avoir de telles amies. – Si ses dispositions sont vraiment mauvaises, dit Sir Bertram, nous ne la garderons pas dans notre famille, pour le bien de nos enfants, mais il n’y a pas de raison de le croire. Nous trouverons sans doute beaucoup de choses à désirer en elle et nous devons nous préparer à une monstrueuse ignorance, à des idées mesquines et à une désastreuse vulgarité de manières, mais ce ne sont ni des défauts incurables ni, je crois, des défauts contagieux. Si mes filles avaient été plus jeunes qu’elle, j’aurais hésité à leur donner une telle compagne, mais dans ce cas-ci il n’y a rien à craindre. – C’est exactement ce que je pense, s’écria Mme Norris, et c’est ce que je disais à mon mari également, ce matin, le seul fait d’être avec ses cousines donnera de l’éducation à cette enfant. Si même Miss Lee ne lui apprenait rien, elle apprendrait à être bonne et intelligente en leur compagnie. – J’espère qu’elle ne taquinera pas mon petit chien, dit Lady Bertram, j’avais enfin obtenu que Julia le laissât tranquille. – Il y aura quelques difficultés de notre côté, Mme Norris, observa Sir Thomas, à cause de la différence nécessaire à établir entre les jeunes filles quand elles grandiront. Comment préserver dans l’esprit de mes filles le sentiment de ce qu’elles sont, sans pour cela dédaigner leur cousine ? Et comment arriver sans humilier celle-ci à lui rappeler qu’elle n’est pas une Demoiselle Bertram ? Je les voudrais très bonnes amies et je ne tolérerai à aucun prix la moindre arrogance de la part de mes filles vis à vis de leur parente, mais elles ne peuvent cependant pas êtres égales. Leur rang, leur fortune, leur droit et leurs possibilités d’avenir seront toujours différents. C’est un point de grande délicatesse et vous devez nous assister dans nos efforts, afin de choisir l’exacte ligne de conduite à suivre. Mme Norris était tout à fait du même avis, et quoiqu’elle envisageât la chose comme étant très difficile, elle l’encouragea à espérer que tout s’arrangerait pour le mieux. Il est facile de supposer que Mme Norris n’écrivit pas en vain à Mme Price. Celle-ci sembla plutôt surprise que sa sœur choisit d’adopter sa fille, alors qu’elle avait tant de beaux garçons ; mais elle accepta l’offre avec reconnaissance en l’assurant que sa fille avait bon caractère, beaucoup d’esprit et qu’il n’aurait jamais à s’en plaindre. Elle en parla comme d’une petite créature délicate et chétive mais elle était convaincue que le changement d’air lui ferait le plus grand bien. Pauvre femme ! Elle pensait sans doute qu’un changement d’air aurait fait un aussi grand bien à ses autres enfants !

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