PROLOGUE
PROLOGUE
Kirsten se raidit contre le froid de Boston, ajusta son écharpe autour de son cou et se prépara pour ce qui l’attendait : marcher sur quatre pâtés de maisons, dans la nuit noire. Elle passa devant tous les bars fermés, réalisa qu’il était trop tard pour marcher et ressentit un soudain élan de peur. Elle jeta un coup d’œil à la porte de l’immeuble qu’elle venait de quitter, et pensa à changer d’avis. Peut-être aurait-elle dû rester chez son amie.
Amy avait insisté pour qu’elle reste – qu’il était trop tard et faisait bien trop froid dehors. Et même si ces deux choses étaient vraies, Amy les avait prononcées avec le visage enfoui dans le cou d’un homme qu’elle avait rencontré au bar. Et pendant que son visage avait été là, les mains du gars avaient été ailleurs. Et honnêtement, Kirsten ne voulait pas dormir sur le canapé d’Amy tout en écoutant sa meilleure amie et un mec aléatoire (mais mignon) se donner à fond toute la nuit dans une stupeur pleine d’ivresse.
Honnêtement, elle ne voulait pas non plus être là le matin, à s’affairer avec Amy pour trouver une bonne raison de mettre le gars dehors.
En plus, ce n’étaient que quatre pâtés de maisons. Et comparé au froid polaire qui avait ravagé Boston il y avait environ un mois, ce soir ressemblerait à une petite balade vivifiante dans une brise printanière.
Il était près de trois heures du matin. Elle et Amy étaient sorties avec l’intention de s’enivrer, de boire toute la nuit et de faire ce que leurs cerveaux de primates ivres suggéraient. Après tout, là, au cours de leur dernière année d’université, leurs rêves étaient devenus réalité. D’une manière ou d’une autre, contre toute attente, elles avaient toutes les deux été choisies dans leur classe de photojournalisme – deux parmi huit candidats – pour partir en mission en Espagne en été. Elles allaient travailler pour un magazine prometteur sur la nature qui s’adressait spécifiquement aux marchés de l’éducation…et seraient payées plus cher pour cette seule mission que la mère de Kirsten ne l’avait été pour toute l’année précédente.
Et ça la fera taire, pensa Kirsten. Elle aimait beaucoup sa mère, mais en avait vraiment assez de l’entendre dire que poursuivre une carrière dans la photographie était une chimère ― une perte de temps.
Elle arriva au bout du premier pâté de maisons, regarda au passage pour piétons et le trouva éteint, puis continua. Le froid commençait à la piquer. Elle pouvait le sentir sur son nez comme une présence réelle, commençant à la pincer.
Elle se demanda distraitement si Amy et son mec aléatoire étaient déjà nus, et si le type était bon ou s’il serait entravé par les quantités copieuses d’alcool qu’ils avaient bues.
Enfin, non pas qu’elle en ait beaucoup profité. Elle avait pris un petit dîner au bar où elles s’étaient terrées pour la nuit. Elle n’était pas sûre de savoir si c’étaient les nachos qu’elles avaient partagés à table ou s’il s’agissait de quelque chose dans la pizza, mais son estomac n’avait pas été content. Après quatre bières, elle avait su que sa soirée était terminé – qu’elle ne ferait rien de plus que de tenir compagnie à Amy pendant qu’elle s’anéantissait shot après shot.
Elle supposa qu’elle obtiendrait tous les détails scabreux le lendemain. Et en pensant à ces détails obscènes ainsi qu’à combien elles allaient profiter de leur été en Espagne, Kirsten remarqua à peine le bruit qu’elle entendait derrière elle. Des bruits de pas.
Les cheveux de sa nuque se hérissèrent, mais elle n’osa pas regarder en arrière.
Elle accéléra le rythme. Deux pâtés de maisons derrière elle, deux devant à franchir. Et maintenant, le froid la mordait vraiment.
Tout à coup, les pas furent juste derrière, et un homme trébucha pile à côté d’elle. Il semblait ivre et quand Kirsten bondit d’effroi, il ricana pour lui-même, manifestement amusé.
« Désolé », dit-il. « Je ne voulais pas vous faire peur. J’étais juste…eh bien, pouvez-vous m’aider ? En train de boire avec des amis et…et censé les retrouver quelque part après le bar mais je ne me souviens plus où. Je viens de New York…jamais été à Boston auparavant. Aucune idée d’où je suis. »
Kirsten ne put se résoudre à le regarder quand elle secoua la tête. C’était plus qu’être mal à l’aise vis-à-vis d’un étrange homme ivre si tard dans la nuit. C’était de savoir qu’elle était si proche de la maison, et voulait juste que la nuit se termine.
« Non, je suis désolée », dit-elle.
« Sérieusement ?! », dit l’homme.
Brusquement, il ne parut plus si saoul. Assez curieusement, il avait l’air amusé que quelqu’un soit tellement sur la défensive pour quelque chose d’aussi innocent que d’aider un homme perdu dans une ville qu’il ne connaissait pas. Cela la frappa comme quelque chose d’étrange tandis qu’elle commençait à se détourner, dans l’intention d’accélérer le rythme.
Mais alors un léger mouvement attira son attention et la fit hésiter.
L’homme se tenait le ventre, comme s’il allait vomir. Cela avait été tout le temps là mais Kirsten était à peu près certaine que ce n’était pas le cas. Il tendit la main dans sa veste et c’est alors qu’elle vit qu’il tenait soudain quelque chose.
Une arme à feu, pensa son esprit paniqué. Et même si cela ressemblait à une arme à feu, ce n’était pas tout à fait ça.
Ses muscles exigeaient qu’elle coure. Elle regarda son visage pour la première fois et vit que quelque chose n’allait pas. Il avait fait semblant. Il n’était pas du tout un homme ivre et égaré. Ses yeux avaient l’air trop sobres – sobres et, maintenant qu’elle commençait à paniquer, un peu déments aussi.
La chose qui ressemblait à une arme à feu s’éleva rapidement. Elle ouvrit la bouche pour appeler au secours tout en se détournant pour courir.
Mais ensuite elle sentit quelque chose la frapper par derrière. Il l’atteignit sur le côté de la tête, juste en dessous de l’oreille ― net et immédiat. Elle trébucha puis tomba. Elle sentit le goût du sang dans sa bouche puis des mains sur elle. Il y eut une autre de ces sensations aiguës dans sa tête, légère mais curieusement fracassante en même temps.
La douleur était immense mais elle ne fut pas capable d’en ressentir toute l’ampleur avant que la nuit ne semble se dilater autour d’elle. La rue s’effaça, tout comme le visage de l’homme, et tout devint noir.
Sa dernière pensée fut que cette vie s’était révélée être très courte – et que le voyage qui était sur le point de tout changer n’allait jamais avoir lieu.