Chapitre V

673 Words
Chapitre VOswald parcourut la Marche d’Ancone et l’État ecclésiastique jusqu’à Rome, sans rien observer, sans s’intéresser à rien ; la disposition mélancolique de son âme en était la cause, et puis une certaine indolence naturelle à laquelle il n’était arraché que par les passions fortes. Son goût pour les arts ne s’était point encore développé ; il n’avait vécu qu’en France, où la société est tout, et à Londres, ou les intérêts politiques absorbent presque tous les autres : son imagination, concentrée dans ses peines, ne se complaisait point encore aux merveilles de la nature et aux chefs-d’œuvre des arts. Le comte d’Erfeuil parcourait chaque ville, le guide des voyageurs à la main ; il avait à la fois le double plaisir de perdre son temps à tout voir, et d’assurer qu’il n’avait rien vu qui pût être admiré, quand on connaissait la France. L’ennui du comte d’Erfeuil décourageait Oswald ; il avait d’ailleurs des préventions contre les Italiens et contre l’Italie ; il ne pénétrait pas encore le mystère de cette nation ni de ce pays, mystère qu’il faut comprendre par l’imagination plutôt que par cet esprit de jugement qui est particulièrement développé dans l’éducation anglaise. Les Italiens sont bien plus remarquables par ce qu’ils ont été, et par ce qu’ils pourraient être, que par ce qu’ils sont maintenant. Les déserts qui environnent la ville de Rome, cette terre fatiguée de gloire qui semble dédaigner de produire, n’est qu’une contrée inculte et négligée, pour qui la considère seulement sous les rapports de l’utilité. Oswald accoutumé dès son enfance à l’amour de l’ordre et de la prospérité publique, reçut d’abord des impressions défavorables en traversant les plaines abandonnées qui annoncent l’approche de la ville autrefois reine du monde : il blâma l’indolence des habitants et de leurs chefs. Lord Nelvil jugeait l’Italie en administrateur éclairé, le comte d’Erfeuil en homme du monde ; ainsi, l’un par raison et l’autre par légèreté, n’éprouvaient point l’effet que la campagne de Rome produit sur l’imagination, quand on s’est pénétré des souvenirs et des regrets, des beautés naturelles et des malheurs illustres, qui répandent sur ce pays un charme indéfinissable. Le comte d’Erfeuil faisait de comiques lamentations sur les environs de Rome. – Quoi, disait-il, point de maison de campagne, point de voiture, rien qui annonce le voisinage d’une grande ville ! Ah, bon Dieu, quelle tristesse ! En approchant de Rome, les postillons s’écrièrent avec transport : Voyez, voyez, c’est la coupole de Saint-Pierre ! Les Napolitains montrent ainsi le Vésuve ; et la mer fait de même l’orgueil des habitants des côtes. – On croirait voir le dôme des Invalides, s’écria le comte d’Erfeuil. – Cette comparaison, plus patriotique que juste, détruisit l’effet qu’Oswald aurait pu recevoir à l’aspect de cette magnifique merveille de la création des hommes. Ils entrèrent dans Rome, non par un beau jour, non par une belle nuit, mais par un soir obscur, par un temps gris, qui ternit et confond tous les objets. Ils traversèrent le Tibre sans le remarquer ; ils arrivèrent à Rome par la porte du Peuple, qui conduit d’abord au Corso, à la plus grande rue de la ville moderne, mais à la partie de Rome qui a le moins d’originalité, puisqu’elle ressemble davantage aux autres villes de l’Europe. La foule se promenait dans les rues ; des marionnettes et des charlatans formaient des groupes sur la place ou s’élève la colonne Antonine. Toute l’attention d’Oswald fut captivée par les objets les plus près de lui. Le nom de Rome ne retentissait point encore dans son âme ; il ne sentait que le profond isolement qui serre le cœur quand vous entrez dans une ville étrangère, quand vous voyez cette multitude de personnes à qui votre existence est inconnue, et qui n’ont aucun intérêt en commun avec vous. Ces réflexions, si tristes pour tous les hommes, le sont encore plus pour les Anglais qui sont accoutumés à vivre entre eux, et se mêlent difficilement avec les mœurs des autres peuples. Dans le vaste caravansérail de Rome, tout est étranger, même les Romains qui semblent habiter là, non comme des possesseurs, mais comme des pèlerins qui se reposent auprès des ruines. Oswald, oppressé par des sentiments pénibles, alla s’enfermer chez lui, et ne sortit point pour voir la ville. Il était bien loin de penser que ce pays, dans lequel il entrait avec un tel sentiment d’abattement et de tristesse, serait bientôt pour lui la source de tant d’idées et de jouissances nouvelles. LIVRE IICorinne au Capitole
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