CHAPITRE DEUX-2

2433 Words
Utilisant son plan pour le guider, Oliver trouva bientôt la classe d’anglais. Il jeta un coup d’œil par la petite fenêtre carrée de la porte. La pièce était déjà à moitié pleine d’élèves. Il sentit son estomac tourbillonner d’angoisse à l’idée de rencontrer de nouvelles personnes, d’être vu, jugé et évalué. Il ouvrit la porte et entra. Il avait raison d’avoir peur, bien sûr. Il avait déjà fait cela assez de fois pour savoir que tout le monde le dévisagerait, curieux vis-à-vis du nouveau. Oliver avait éprouvé cette sensation si souvent qu’il en avait oublié le nombre de fois. Il essaya de ne croiser le regard de personne. — Qui êtes-vous ? dit une voix bourrue. Oliver se retourna pour voir le professeur, un vieil homme aux cheveux d’un blanc éclatant, qui le regardait depuis son bureau. — Je suis Oliver. Oliver Blue. Je suis nouveau ici. Le professeur fronça les sourcils. Ses yeux perçants étaient noirs et soupçonneux. Il regarda Oliver pendant un laps de temps inconfortablement long. Bien sûr, cela ne faisait qu’ajouter au stress d’Oliver, car de plus en plus de ses camarades de classe lui prêtaient attention, et d’autres encore affluaient par la porte. Un public de plus en plus grand l’observait avec curiosité, comme s’il était une sorte de numéro dans un cirque. — Je ne savais pas que j’en avais un autre, dit finalement l’enseignant avec un air de dédain. J’aurais bien aimé en être informé. Il soupira avec lassitude, rappelant son père à Oliver. Asseyez-vous alors. Je suppose. Oliver se précipita vers un siège libre, sentant tous les yeux le suivre. Il essaya de se faire le plus petit et le plus invisible possible. Mais bien sûr, il se démarquait comme un nez au milieu de la figure, peu importait à quel point il essayait de se cacher. Il était le nouveau, après tout. Avec toutes les places désormais occupées, le professeur commença son cours. — Nous allons poursuivre là où nous nous étions arrêtés au cours précédent, dit-il. Aux règles de grammaire. Quelqu’un peut-il s’il vous plaît expliquer à Oscar de quoi nous parlions ? Tout le monde se mit à rire de son erreur. Oliver sentit sa gorge se serrer. — Euh, désolé de vous interrompre, mais je m’appelle Oliver Blue. Avec un “B”. Pas Oscar avec un “N”. Le professeur prit instantanément un air courroucé. Oliver sut immédiatement qu’il n’était pas du genre à apprécier qu’on le corrige. — Quand vous avez vécu soixante-six ans avec un nom comme monsieur Portendorfer, dit-il, le regard noir, vous passez outre quand les gens ne prononcent pas votre nom correctement. Profendoffer. Portenworten. J’ai tout entendu. Donc je suggère que vous, Oscar, soyez moins préoccupé par la prononciation correcte de votre nom ! Oliver haussa les sourcils, stupéfait et réduit au silence. Même le reste de ses camarades semblait choqué par cet accès de colère, car ils ne ricanaient même pas. La réaction de monsieur Portendorfer était exagérée aux yeux de tous, et le fait qu’elle soit dirigée contre un nouvel arrivant aggravait encore la situation. De la secrétaire grincheuse au professeur d’anglais lunatique, Oliver se demandait s’il existait ne serait-ce qu’une seule personne agréable dans cette école ! Monsieur Portendorfer commença à parler de pronoms. Oliver se tassa encore plus sur sa chaise, tendu et malheureux. Heureusement, le professeur ne s’en prit plus à lui, mais lorsque la sonnerie retentit une heure plus tard, sa réprimande résonnait encore aux oreilles d’Oliver. Oliver marcha d’un pas lourd dans les couloirs, à la recherche de sa classe de mathématiques. Quand il la trouva, il s’assura de se diriger droit vers la rangée de derrière. Si monsieur Portendorfer ne savait pas qu’il avait un nouvel élève, le professeur de mathématiques ne le saurait peut-être pas non plus. Peut-être pourrait-il être invisible pour la prochaine heure. Au grand soulagement d’Oliver, cela fonctionna. Il resta assis, silencieux et anonyme, pendant tout le cours, comme un fantôme obsédé par l’algèbre. Mais même cela ne lui semblait pas être la meilleure solution à ses problèmes, pensa Oliver. Passer inaperçu était tout aussi mauvais que d’être humilié publiquement. Cela le faisait se sentir insignifiant. La cloche sonna encore. C’était le déjeuner, donc Oliver suivit son plan jusqu’au hall. Si la cour de récréation avait été intimidante, ce n’était rien comparé au réfectoire. Ici, les enfants se comportaient comme des animaux sauvages. Leurs voix assourdissantes résonnaient contre les murs, rendant le bruit encore plus insupportable. Oliver inclina la tête et se précipita vers la file d’attente. Bam. Tout à coup, il percuta un grand corps menaçant. Lentement, Oliver leva les yeux. À sa grande surprise, c’était le visage de Chris qu’il regardait. De part et d’autre de lui, dans une sorte de formation en flèche, se trouvaient trois garçons et une fille à la même mine renfrognée. Sbires fur le mot qui vint à l’esprit d’Oliver. — Tu t’es déjà fait amis ? dit Oliver en essayant de ne pas paraître surpris. Chris plissa les yeux. — Nous ne sommes pas tous des loosers antisociaux, dit-il. Oliver se rendit alors compte que ce ne serait pas un échange agréable avec son frère. Enfin, ça ne l’était jamais. Chris regarda ses nouveaux amis. — Voici mon frère, l’a*****n, Oliver, annonça-t-il. Puis il laissa échapper un rire gras. Il dort dans l’alcôve. Ses nouvelles brutes d’amis commencèrent aussi à rire. — Il est disponible pour les têtes dans les toilettes, les slips coincés entre les fesses, les clés de cou et mon préféré, poursuivit Chris. Il attrapa Oliver et frotta ses doigts contre sa tête. Le shampouinage. Oliver se tortillait et se débattait contre la poigne de Chris. Bloqué dans une clé de cou horrible et douloureuse, Oliver se souvint de ses pouvoirs la veille, au moment où il avait cassé le pied de table et envoyé des pommes de terre sur les genoux de Chris. Si seulement il savait comment il les avait invoqués, il pourrait le faire maintenant et se libérer. Mais il ne savait pas comment il s’y était pris. Tout ce qu’il avait fait était de visualiser dans son esprit la table cassée, le soldat en plastique volant dans les airs. Était-ce tout ce qu’il fallait ? Son imagination ? Il tentait cela maintenant, s’imaginant en train de se libérer de Chris. Mais en vain. Tandis que les nouveaux amis de Chris regardaient, riant de joie, il était simplement trop attentif à la réalité de son humiliation pour entrer dans son imagination. Finalement, Chris le laissa partir. Oliver recula en titubant et en se frottant la tête. Il tapota ses cheveux, devenus crépus à cause de l’électricité statique. Mais plus que l’humiliation de l’agression de Chris, Oliver éprouva la déception de ne pas avoir réussi à invoquer ses pouvoirs. Peut-être l’épisode de la table de la cuisine n’était-il qu’une coïncidence. Peut-être n’avait-il aucun pouvoir spécial. La fille qui se trouvait à côté de l’épaule de Chris prit la parole. — Je suis impatiente de mieux te connaître, Oliver, dit-elle d’une voix menaçante, d’après laquelle Oliver pouvait déterminer qu’elle pensait le contraire. Il avait été inquiet de croiser le chemin de brutes. Bien sûr, il aurait dû anticiper que la pire de toutes serait son frère. Oliver passa devant Chris et ses nouveaux amis et se dirigea vers la file d’attente pour le déjeuner. Avec un soupir triste, il attrapa un sandwich au fromage dans le réfrigérateur et se dirigea, le cœur lourd, vers les toilettes. Les cabines était le seul endroit où il se sentait en sécurité. * Après le déjeuner, le cours suivant était les sciences. Il erra dans les couloirs à la recherche de la bonne salle, l’estomac serré avec la certitude que ce serait aussi désagréable que ses deux premiers cours. Lorsqu’il trouva la salle de classe, il frappa à la fenêtre. La professeure était plus jeune qu’il ne l’avait prévu. Les professeurs de sciences, selon son expérience, avaient tendance à être vieux et quelque peu étranges, mais madame Belfry semblait complètement saine d’esprit. Elle avait de longs cheveux châtain clair raides, qui étaient presque de la même couleur que sa robe en coton et son cardigan. Elle se retourna en l’entendant et sourit, formant des fossettes sur les deux joues, et lui fit signe d’entrer. Il ouvrit la porte timidement. — Bonjour, dit madame Belfry en souriant. Vous êtes Oliver ? Oliver hocha de la tête. Même s’il était le premier à arriver, il se sentit soudain très timide. Au moins, cette professeure semblait l’attendre. C’était un soulagement. — Je suis tellement heureuse de vous rencontrer, dit madame Belfry, en lui tendant la main. C’était très formel et pas du tout ce à quoi Oliver s’attendait, compte tenu de ce qu’il avait vécu jusqu’à présent à Campbell Junior High. Mais il lui prit la main et la serra. Elle avait la peau très chaude et son attitude amicale et respectueuse l’aidait à se sentir à l’aise. — Avez-vous eu l’occasion de lire quelques-uns des livres ? demanda madame Belfry. Oliver écarquilla les yeux et sentit un léger sursaut de panique dans sa poitrine. — Je ne savais pas qu’il y avait de la lecture à faire. — Ce n’est pas grave, dit madame Belfry d’un ton rassurant, en lui souriant gentiment. Ne vous inquiétez pas. Nous étudions les scientifiques ce trimestre, et certains personnages historiques importants. Elle pointa du doigt un portrait en noir et blanc accroché au mur. Voici Charles Babbage, il a inventé la… — … calculatrice, termina Oliver. Madame Belfry rayonna et applaudit. Vous le savez déjà ? Oliver acquiesça. — Oui. Et il est aussi souvent considéré comme le père de l’ordinateur, car ce sont ses conceptions qui ont conduit à son invention. Il jeta un coup d’œil à la photo suivante accrochée au mur. Et c’est James Watt, dit-il. L’inventeur de la machine à vapeur. Madame Belfry acquiesça. Elle avait l’air ravi. — Oliver, je peux déjà dire que nous allons nous entendre à merveille. À ce moment précis, la porte s’ouvrit et les camarades de classe d’Oliver affluèrent. Il déglutit, et son anxiété revint en une énorme vague. — Pourquoi ne vous asseyez-vous pas ? suggéra madame Belfry. Il acquiesça et se précipita vers la table qui se trouvait le plus près de la fenêtre. Si tout cela faisait trop pour lui, il pourrait au moins regarder dehors et s’imaginer ailleurs. De là, il avait une belle vue sur le quartier, sur toutes les poubelles et les feuilles d’automne aux couleurs vives qui volaient dans le vent. Les nuages au-dessus semblaient encore plus sombres que dans la matinée. Cela n’aidait pas vraiment Oliver et son mauvais pressentiment. Le reste des enfants de la classe était très bruyant et très bagarreurs. Il fallut du temps à madame Belfry pour les calmer afin de pouvoir commencer sa leçon. — Aujourd’hui, nous allons poursuivre là où nous en étions la semaine dernière, dit-elle en ayant besoin de hausser la voix, remarqua Oliver, pour se faire entendre au-dessus du vacarme. Avec quelques inventeurs extraordinaires de la Seconde Guerre mondiale. Je me demande si quelqu’un sait qui c’est ? Elle monta une photo en noir et blanc d’une femme à propos de laquelle Oliver avait lu quelque chose dans son livre sur les inventeurs. Katharine Blodgett, qui avait inventé le masque à gaz, l’écran de fumée et le verre non réfléchissant utilisés pour les périscopes des sous-marins de guerre. Après Armando Illstrom, Katharine Blodgett était l’une des inventeurs préférés d’Oliver, car il trouvait fascinantes toutes les avancées technologiques qu’elle avait réalisées au cours de la Seconde Guerre mondiale. À ce moment-là, il remarqua que madame Belfry le regardait, dans l’expectative. Elle pouvait probablement voir à son visage qu’il savait précisément qui était la personne sur la photo. Mais après ses expériences de la journée, il avait peur de dire quoi que ce soit à voix haute. Sa classe finirait par comprendre un jour qu’il était un intello ; Oliver ne voulait pas précipiter le processus. Mais madame Belfry hocha la tête, passionnée et encourageante. Contre ce qui lui semblait être le mieux pour son bien, Oliver prit la parole. — C’est Katharine Blodgett, dit-il finalement. Le sourire de madame Belfry éclata sur son visage, apportant avec lui ses ravissantes fossettes. — C’est correct, Oliver. Pouvez-vous dire à la classe qui elle est ? Qu’est-ce qu’elle a inventé ? Derrière lui, Oliver pouvait entendre des gloussements. Les enfants saisissaient déjà son statut d’intello. — C’était une inventrice pendant la Seconde Guerre mondiale, dit-il. Elle a créé de nombreuses inventions utiles et importantes pour la guerre, telles que des périscopes pour sous-marins. Et les masques à gaz, qui ont sauvé la vie de nombreuses personnes. Madame Belfry semblait extrêmement contente d’Oliver. — TORDU ! cria quelqu’un de derrière. — Non, merci Paul, dit sévèrement madame Belfry au garçon qui avait crié. Elle se tourna vers le tableau et commença à écrire sur Katharine Blodgett. En son for intérieur, Oliver sourit. Après le bibliothécaire qui lui avait offert le livre sur les inventeurs, madame Belfry était l’adulte la plus gentille qu’il ait jamais rencontré. Son enthousiasme ressemblait à un bouclier pare-balles qu’Oliver pouvait enrouler autour de ses épaules, faisant dévier le reste des mots cruels de ses camarades. Il se glissa dans le cours, plus à l’aise qu’il ne l’avait été depuis des jours. * Plus tôt que ce à quoi il s’attendait, la cloche sonna pour signaler la fin de la journée. Tout le monde se précipita dehors en courant et en criant. Oliver ramassa ses affaires et se dirigea vers la sortie. — Oliver, je suis très impressionnée par vos connaissances, dit madame Belfry quand il la croisa dans le couloir. Où avez-vous appris tant de choses sur tous ces gens ? — J’ai un livre, expliqua-t-il. J’aime les inventeurs. Je veux en être un. — Créez-vous vos propres inventions ? demanda-t-elle, l’air enthousiaste. Il acquiesça mais ne lui parla pas du manteau d’invisibilité. Et si elle pensait que c’était idiot ? Il ne pourrait pas supporter de voir quoi que ce soit qui ressemble à de la moquerie sur son visage. — Je pense que c’est fantastique, Oliver, dit-elle en hochant la tête. C’est très important d’avoir des rêves. Qui est votre inventeur préféré ? Oliver se rappela le visage d’Armando Illstrom sur la photo fanée de son livre. — Armando Illstrom, dit-il. Il n’est pas très célèbre mais il a inventé beaucoup de super choses. Il a même essayé de fabriquer une machine à remonter dans le temps. — Une machine à remonter dans le temps ? dit madame Belfry en haussant les sourcils. C’est excitant. Oliver acquiesça Il se sentait plus à même de s’ouvrir grâce à ses encouragements. — Sa fabrique est près d’ici. Je pensais aller lui rendre visite. — Vous devez le faire, dit madame Belfry avec son sourire chaleureux. Vous voyez, quand j’avais votre âge, j’adorais la physique. Tous les autres enfants se moquaient de moi, ils ne comprenaient pas pourquoi je voulais fabriquer des circuits au lieu de jouer avec des poupées. Mais un jour, mon physicien préféré est venu en ville pour enregistrer un épisode de son émission télévisée. Je suis allé le voir et je lui ai parlé ensuite. Il m’a dit de ne jamais abandonner ma passion. Même si d’autres personnes me disaient que j’étais bizarre de m’y intéresser, j’avais un rêve, et je devais le suivre. Je ne serais pas ici aujourd’hui sans cette conversation. Ne sous-estimez jamais à quel point il est important de recevoir des encouragements de la part de quelqu’un qui vous comprend, surtout quand il semble que personne d’autre ne le fait. Les paroles de madame Belfry frappèrent Oliver avec force. Pour la première fois de la journée, il se sentit plein d’entrain. Il était maintenant entièrement déterminé à trouver l’usine et à rencontrer son héros face à face. — Merci, madame Belfry, dit-il en lui souriant. On se voit au prochain cours ! Et comme il s’éloignait à toute vitesse, le pas bondissant, il entendit madame Belfry crier : — Suivez toujours vos rêves !
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