La Marinière repartit en auto à onze heures. À minuit, tout paraissait dormir au château. Deux heures du matin sonnaient à l’horloge des communs quand une ombre qui profitait de toutes les ombres pour se dissimuler, au ras des haies, des murs et des clôtures, pénétrait au plus épais du parc. Cette ombre venait du château et en était sortie par la porte basse de la Tour Isabelle. Chose curieuse, les chiens qui s’étaient mis tout à coup à aboyer furieusement se turent lorsque l’ombre passa près des chenils et s’enfonça dans la ténèbre profonde de l’allée des platanes. Elle prit ensuite par la petite futaie et arriva au mur de clôture du parc. Là, elle remonta le sentier pendant deux cents mètres environ, et s’arrêta enfin devant une porte vermoulue et à demi dissimulée sous un rideau épais de lierre et de plantes parasites. Et aussitôt l’ombre ne put retenir une sourde exclamation. Cette porte qu’elle croyait trouver fermée était entrouverte. La stupéfaction que lui causait ce détail imprévu suspendit un instant la marche de Fanny sur le chemin du crime. Cependant, elle n’hésita point longtemps. Elle se serait méprisée d’être venue jusque-là pour reculer… pour reculer devant une porte ouverte !… quand sa vie, sa fortune, l’honneur de son nom, l’avenir de son enfant, tout dépendait du geste à accomplir… du geste si simple… et qui demanderait si peu d’effort… Elle réfléchit que cette porte pouvait être ouverte depuis des semaines… des mois… peut-être livrait-elle ordinairement passage a quelque domestique cherchant aventure au village… Et, patiemment, pendant quelques minutes, Fanny attendit, tapie sous la futaie, l’oreille au guet. Elle n’entendit ni ne vit rien de suspect. Alors elle jugea que le moment était venu de précipiter sa marche vers la petite maison du bord de l’eau, car l’heure s’avançait, l’heure à laquelle Marthe avait rendez-vous avec ses visions. Elle sortit du parc sans avoir rien remarqué d’anormal et, par le sentier qu’elle connaissait bien, qui longeait la lisière de la foret de Sénart, elle descendit jusqu’à la boulaie. À travers les arbres, elle apercevait maintenant, de temps en temps, les murs éclatants et nus de la villa éclairés d’une façon intermittente par la lune. Il y avait de gros nuages au ciel, et le vent les chassait au galop du côté de la forêt qui commençait à chanter d’une façon lugubre. Mais, armée uniquement de son cœur d’airain, Fanny ne tremblait ni physiquement – car elle avait pris soin de s’envelopper d’une cape épaisse qui protégeait jusqu’à son visage – ni, si l’on peut dire, moralement. La forme nocturne des choses ne l’émouvait point. Le geste inattendu d’une branche, la silhouette tourmentée et gémissante de quelque buisson au bord de la route ne l’arrêtaient pas. Elle passait, avec précaution, mais elle passait, et elle se trouva bientôt derrière cette clôture de planches, où elle s’était déjà tapie certain soir, avec son petit chéri, pour surveiller les hantises de Marthe. En ce temps-là, il ne s’agissait que de « savoir ». Maintenant, il fallait « agir ». Et elle attendit. C’était le même décor et à peu près le même temps… avec ses éclaircies de lune… C’étaient les mêmes heures qui sonnaient au clocher prochain du village… C’était le même balancement douloureux des trembles, sur la gauche, au coude du chemin de halage… C’était la même fraîcheur glacée entre les nénuphars de la rive et la racine des saules… C’était le même petit bruit de chaîne venant du bachot… Ah ! ces bruits de chaînes, quelle importance ils avaient pris dans certaines pauvres cervelles malades !… Fanny n’aurait pu s’empêcher, même dans un pareil moment, d’en sourire si son attention n’avait pas été soudain accaparée mais entièrement accaparée – par l’apparition, sur le seuil de la petite porte du jardin, de la pauvre Marthe… Ah ! certes oui, c’était bien elle qui avait l’air d’un fantôme… et plus que jamais !… Vraiment, si fragile, si fragile, si frissonnante… si peu de chose vraiment que Fanny elle-même, au cœur d’airain, en eût peut-être eu pitié si elle n’avait tout à coup, la pauvre folle, prononcé le nom de sa folie : « André !… André ! » Elle appelait son fantôme chéri… elle appelait sa vision fidèle… Et elle devait sans doute le voir, car, puisqu’elle entendait des choses que personne n’entendait, elle pouvait voir des choses que personne ne voyait… Et la pauvre femme, les mains tendues vers son rêve, s’avançait vers le fleuve… en appelant : « André !… André ! es-tu là ?… » Alors, derrière elle, avec des mouvements de tigresse à l’affût, Fanny se glissa. Elle n’avait plus qu’un pas à faire pour toucher sa victime, qu’un geste à accomplir pour la jeter au fleuve. Mais ce pas, elle ne le fit point, et son geste retomba… et Fanny faillit crier d’horreur : Le fantôme était là !…
Elle le reconnut à sa blessure à la tempe et aussi à toute sa figure visible dans le rayon de lune qui passait à travers les branches. C’était André. C’était bien ses beaux yeux qui semblaient encore avoir grandi et qui regardaient Marthe avec une tristesse infinie, c’était sa pâle et belle figure, si pâle, et qu’une souffrance surnaturelle semblait avoir encore allongée, bien qu’elle n’en distinguât point les contours perdus dans le flou de la nuit toujours humide et toujours brumeuse sur les bords. Il paraissait vêtu d’une sorte de manteau vague ou plutôt d’une loque incolore qui lui tombait des épaules et se continuait dans la vapeur du fleuve. Et il était assis sur le bord du vieux canot. Il ne voyait que Marthe. Si Fanny, en apercevant le fantôme d’André, n’avait pas hurlé d’épouvante c’est que de sa bouche ouverte le son s’était refusé à sortir. Le cri d’horreur des vivants à l’aspect des morts resta dans sa gorge contractée ; et, après avoir reculé en chancelant comme si elle avait subi un choc dont la violence l’eût étourdie, elle tourna sur elle-même et s’enfuit, éperdue. Elle traversa d’abord le petit bois de trembles, remonta en courant dans la boulaie, et courut, courut encore quand elle eût atteint la lisière de la forêt. Elle n’osait se retourner pour savoir si elle était suivie par la terrible apparition, et, cependant, il lui semblait parfois entendre derrière elle le bruit fantastique des chaînes secouées… Un instant, elle dut s’arrêter, s’appuyer au tronc d’un arbre pour y reposer – un instant, un instant – tout son pauvre corps haletant, tout son être misérable en déroute… Mais elle repartit aussitôt, plus folle que jamais dans sa fuite, et telle qu’une bête traquée par les chiens, car elle avait entendu près d’elle, derrière elle, autour d’elle, les chaînes, les chaînes qui sautaient, qui grinçaient, tintinnabulaient au pied des morts !… Et quand elle arriva tout en haut du plateau, au coin du mur du parc, elle eut encore un sursaut de terreur, car le chemin était traversé par une forme étrange qui faisait des gestes immenses sous la lune… Cependant, ce fut cette forme-là qui la ramena des limites de la folie. Elle reconnut Prosper le bancal, qui agitait sa béquille. Elle l’appela, heureuse de se trouver en face d’un corps vivant… de quelqu’un qui n’était pas encore allé chez les morts !… Mais il la regarda comme s’il ne la connaissait pas et s éloigna rapidement dans un déhanchement monstrueux et grotesque toujours agitant audessus de sa tête l’une de ses béquilles et faisant entendre ce son sinistre, le seul que pût proférer sa bouche informe, son bec de lièvre hideux : « Hou ! Hou ! Hou ! Hou ! » Elle toucha le mur du parc ; elle était presque chez elle. Elle venait de reconnaître cet être misérable, ce pauvre idiot, qu’elle avait fait soigner chez elle ; elle se souvenait qu’il n’avait pas attendu le lendemain de son accident pour se sauver comme s’il avait peur qu’on lui fît du mal… Enfin, ses oreilles ne lui chantaient plus la stupéfiante chanson des chaînes… Elle se reprenait à raisonner et elle retrouva la petite porte, rentra dans le parc et regagna sa chambre par la porte basse de la Tour Isabelle… Alors, quand elle fut dans sa chambre et qu’elle eut fait autour d’elle de la lumière, et qu’elle se rappela tous ses gestes et… et ce qu’elle avait vu… elle se dit qu’elle avait eu peur d’une ombre…
Mais, en vérité, avait-elle eu peur d’une ombre ? Voilà la question redoutable que Fanny se posait le lendemain matin de cette étrange expédition. Comment, saine d’esprit comme elle était, n’ayant encore ressenti, et cela en aucune façon, et à aucun moment, la maladive influence de Marthe ni celle de son mari, comment avait-elle pu, elle, Fanny, qui ne croyait pas à grand-chose et qui n’était effrayée par rien, avoir une vision ! En y réfléchissant bien, elle jugeait la chose impossible. Elle se rappelait, du reste, l’état d’esprit avec lequel elle était arrivée sur la berge. Il était des plus criminels, mais des plus sensés. Comment, en une seconde, sa raison avait-elle pu chavirer à ce point ?… … Et si André n’était pas mort ? Car enfin, puisqu’elle l’avait formellement reconnu, il était moins absurde de penser qu’elle s’était réellement trouvée en face de lui qu’en face de son fantôme. Si André n’était pas mort, bien des choses se trouvaient alors expliquées et, en particulier, la précision des renseignements donnés a Marthe sur le crime du rond-point de la Fresnaie… D’autre part, si André n’était pas mort, bien des choses restaient inexplicables : où était-il ?… Comment vivait-il ?… Pourquoi n’était-il pas revenu chasser son frère et la famille de son frère du château ?… Pourquoi restait-il séparé de ses enfants ?… Que signifiaient ses apparitions nocturnes ? Le mystère s’éclaircissait d’un côté et s’épaississait singulièrement de l’autre ! Enfin, comment n’eût-il pas été mort après ce que Jacques lui avait raconté du drame ? Jacques avait enfermé à clef le cadavre de son frère dans la malle ; et la malle avait été immédiatement enterrée par Jacques au fond de la cave de Héron ! Alors ?… Alors, elle ne pensa plus qu’à la malle, et, avec son esprit pratique, ennemi de toute fantasmagorie, elle résolut d’aller voir elle-même si le cadavre était bien dedans ! Jacques devait partir dans la matinée et elle devait le rejoindre, le soir, à Paris, avec le petit Jacques. Il convenait, tout de même, en l’occurrence, de savoir ce qu’ils laissaient derrière eux ! Des fantômes ou une victime encore vivante qui préparait dans l’ombre une bien singulière et effrayante revanche ?… Toute la question était là. Fanny ne quitterait point la Roseraie avant de l’avoir résolue. Jacques partit pour Héron, à 9 heures, au bras de son valet de chambre. Il avait désiré cette promenade à pied dans la belle matinée un peu froide. Il se trouvait bien, déjà solide, et heureux de faire un tour à l’usine, ce qui ne lui était pas arrivé depuis quelques semaines. Il embrassa Fanny en la priant qu’elle ne tardât pas à le rejointe au Terminus où il descendrait sous un faux nom pour déjouer la curiosité des journalistes. Il ajouta qu’il passerait deux heures environ à Héron pour prendre les dernières dispositions avant le voyage ; à 11 heures, il monterait dans l’auto et déjeunerait à Paris. Toute la matinée fut occupée par Fanny à donner des ordres pour les bagages, à régler la situation de ses gens pendant son absence, à recevoir une vieille demoiselle de Juvisy qui devait prendre auprès de Germaine et du petit François la place de Mlle Hélier et qui, tout en protestant qu’elle était d’esprit sain et qu’elle n’avait jamais cru aux fantômes et qu’elle n’avait jamais fait tourner de tables, regardait toutes choses autour d’elle avec un air d’égarement comme si elle redoutait de voir sortir du plancher ou des murs le diable en personne. Le valet de pied, la femme de chambre anglaise et l’aide de cuisine devaient s’en aller, eux, dès le soir. Il prétendaient avoir vu, la nuit précédente, le fantôme se glisser dans le parc et pénétrer dans le château par la porte basse de la Tour Isabelle. La cuisinière et Lydia haussaient les épaules en entendant de pareilles sornettes et elles avaient avec elles tous les esprits forts de la domesticité. Fanny déjeuna seule, à midi, en lisant les journaux de Paris, qui ne parlaient que du « monsieur qui revient de chez les morts ». Le petit Darbois d’Excelsior avait tenu parole. Il publiait une excellente interview, remettant toutes choses au point et dépeignant la châtelaine de la Roseraie sous les plus agréables couleurs : elle était belle et intelligente, mais c’était une maîtresse femme qui n’aimait point les mauvaises plaisanteries. Aussi mettait-elle en fuite les fantômes, et à la porte Mlle Hélier… Après déjeuner, Fanny entra dans le bureau de son mari et passa une grande partie de l’après-midi à ranger des papiers d’affaires et de famille, et à chercher, dans les tiroirs, la grosse clef du garage qu’elle ne trouva pas. Jacques l’avait emportée, comme il avait emporté la clef de la cave de Héron. Mais Fanny était bien décidée à faire sauter la serrure de cette cave et à la remplacer en sortant par un cadenas dont elle s’était déjà munie. Quant à la porte du garage, elle décida qu’elle demanderait à Ferrand (le gardien de Héron) de lui trouver une clef qui l’ouvrirait. Un peu avant 4 heures, elle se fit atteler la petite charrette anglaise, et conduisant elle-même, elle se dirigea sur Héron en faisant le tour du parc pour dépister les curieux ou les reporters qui pouvaient se trouver devant la grille… Elle était enveloppée d’un gros manteau d’auto et coiffée d’une casquette retenue par une gaze. Sous son manteau, elle emportait un cache-poussière avec lequel elle devait « travailler » dans la cave !… Elle se rappelait qu’il y avait là-bas une pioche, une pelle… sans doute celles qui avaient servi autrefois… Sitôt qu’elle fut arrivée à Héron, elle jeta les guides à Ferrand. – Eh bien, mon brave Ferrand, vous avez vu Monsieur ? – Oui, madame, et nous avons été tous bien contents de le voir si bien portant !… Monsieur est parti à Paris avec M. de la Marinière… – M. de la Marinière est donc venu ce matin ? – Ma foi oui !… Il savait bien que Monsieur devait s’absenter et comme il passait par là avec son auto, se rendant à Paris, il est venu lui dire bonjour et l’a emmené, de sorte que le chauffeur que Monsieur avait commandé n’a eu qu’à rentrer… – Dites-donc, Ferrand, j’aurai besoin de pénétrer dans l’ancien garage pour prendre des objets qui me sont utiles et Monsieur a emporté la clef… Vous ne pourriez pas m’en trouver une qui ouvrirait la porte ?… Ça ne doit pas être bien difficile. – Mon Dieu, madame… j’ai là des tas de clefs, on va toujours essayer… je crois bien que Monsieur y est allé aussi ce matin à l’ancien garage… je l’ai rencontré par là, il devait en sortir, il avait justement la clef à la main… si j’avais su… Fanny pensa tout de suite : « Lui aussi n’a pas voulu quitter le pays sans avoir vu la malle et constaté que le cadavre est toujours dans la malle !… » Elle sauta de la charrette assez rassurée. Si Jacques, après une visite pareille, était parti sans lui donner de ses nouvelles, c’est évidemment que tout s’était normalement passé. Un quart d’heure plus tard, la porte de garage était ouverte par les soins de Ferrand qui avait fini par trouver une vieille clef rouillée ne servant plus à rien et qui s’adaptait parfaitement à cette serrure. – Je la garde, dit Fanny. – C’est comme Madame voudra. Si Madame a besoin de moi ?… – Oh ! j’ai des recherches à faire parmi ces bibelots… allumez-moi la lanterne de la charrette, elle me servira… là… merci… et retournez à votre ouvrage, mon bon Ferrand… je vous appellerai si j’ai besoin de vous… Elle referma sur elle la porte du garage, sérieusement, cette fois, à clef… elle écouta s’éloigner les pas du gardien… puis courut à la porte de la cave. C’était une porte à claire-voie faite de grosses planches. La serrure avait été choisie par Jacques d’un modèle assez compliqué, mais était par cela même assez délicate… Elle ne résista pas à la pesée de la pince que Fanny avait apportée dans la poche intérieure de son manteau d’auto avec le cadenas et les pitons. Et Mme de la Bossière descendit, tendant sa lanterne allumée devant elle. Au bas de l’escalier tournant, elle se heurta presque tout de suite à un grand désordre. C’étaient des caisses qui encombraient le chemin. Une grosse barrique avait été déplacée. Décidément, elle avait bien fait de venir ; Jacques n’avait pas eu le temps de remettre les choses en place… sans doute avait-il été dérangé par un appel… avait-il eu peur d’être surpris par Ferrand ou encore La Marinière était-il venu le chercher jusque dans la cour, frappant à la porte du hangar… Elle avança encore, elle était dans ce coin de la cave que n’éclairait pas encore le soupirail et elle se trouva tout de suite sur le bord d’un trou dont la terre fraîchement enlevée avait été entassée sur l’autre bord… Une partie de cette terre avait été rejetée au fond du trou et recouvrait déjà la malle dont on apercevait encore cependant, çà et là, le cuir fauve et les boutons de cuivre terni… Jacques n’avait même pas eu le temps de finir de rejeter la terre dans le trou ! C’était bien cela !… On était venu le déranger en pleine besogne ! Mais elle aurait la force de l’achever, se disait-elle… Elle enleva, d’un geste rapide et décidé, son manteau, qu’elle mit à l’abri de toute souillure ; puis, à genoux sur son cache-poussière… elle se pencha au-dessus de cette tombe, au fond de laquelle il y avait une malle. Elle avait planté sa lanterne dans le terreau près d’elle. Elle retira d’abord la pelle du trou. Puis, elle se pencha à nouveau. Il n’y avait point tant de terre sur cette malle que la main de Fanny ne pût se glisser jusqu’à la serrure… C’est donc à la serrure que la main de Fanny alla ! Jacques avait-il pris le temps de refermer la malle à clef ?… Fanny se rendit compte tout de suite qu’il n’avait pas pris ce temps-là… Alors, elle n’avait plus, pour savoir, qu’à faire un dernier effort, qu’à se pencher davantage et à tirer à elle le couvercle… le lourd couvercle, recouvert en partie de terre, de l’énorme malle… Et le couvercle fut soulevé… Et, quand Fanny laissa retomber le couvercle, elle avait vu le cadavre !… En revenant au château dans la petite charrette anglaise, Fanny, contente de la bonne besogne « terminée » et l’esprit débarrassé d’un doute formidable, réfléchissait à cet étrange état psychique qui, à de certaines minutes et dans de certaines conditions, vous fait voir les fantômes de votre propre imagination. Ainsi, elle en avait été victime elle-même, pensait-elle. Pour trouver quelque excuse à une faiblesse dont elle se serait crue incapable et qui la ravalait à ses propres yeux au rang de cette névropathe de Marthe, elle se rappelait que cette minute de défaillance avait failli être la minute d’un crime. Toutefois cette défaillance-là, elle la regretterait. Ah ! si elle ne l’avait pas eue, le fantôme ne serait plus apparu à personne ! Que ne l’avait-elle noyé dans le fleuve avec son redoutable médium !… Dès qu’elle eut franchi la grille elle pressentit quelque nouveau malheur !… Tous les domestiques, la Fräulein et les enfants et la vieille institutrice étaient groupés sur le perron, faisant des gestes incompréhensibles et i’interpellant avec la plus grande agitation.