Préface
PréfaceLe Crime de lord Arthur Savile, ici traduit en français pour la première fois, est, dans l’œuvre d’Oscar Wilde, une des pages les plus curieuses.
Quand cette nouvelle parut, en 1891, dans le sillage triomphal du Portrait de Dorian Gray, la critique anglaise ne fut frappée que de son caractère paradoxal. C’est ainsi que la classèrent, alors, beaucoup de revues et de journaux sur l’appréciation desquels pesait l’apparence ironique du sous-titre appliqué à un projet d’assassinat : étude de devoir.
Quelques notes, volontairement semées par Oscar Wilde dans son récit, achevèrent d’égarer les juges.
Puis, on chercha des parentés à l’idée inspiratrice de ce récit. Il est évident, se disait-on, qu’Oscar Wilde a lu le Bonheur dans le crime de Barbey d’Aurevilly et il a également emprunté quelque chose à À Rebours.
C’est possible, mais ces reflets, s’ils sont sensibles, ne sont pas capitaux.
Aujourd’hui, les faits ont éclairé l’œuvre et l’on peut dire que Le Crime de lord Arthur Savile est pathologiquement le plus caractéristique des écrits d’Oscar Wilde.
L’écrivain y intervertit les notices du Bien et du Mal dans le cerveau de son héros, non en écrivain paradoxal mais en véritable malade.
La distinction est aisée à faire.
Lisez plutôt le très curieux roman de Georges Darien, Le Voleur, qui est un long et amusant paradoxe, et vous verrez tout de suite la différence entre les deux notes. Dans le volume de Darien, Georges Randal, a choisi le vol comme profession : il se fait voleur comme on se fait banquier, médecin ou avocat, et il a des idées de voleur sur toutes choses. Il lutte contre la société avec des armes qu’il a choisies et que Darien a fourbies logiquement d’après la mentalité de son héros. Randal, qui n’est pas un monstre, a exactement la sensibilité d’un outlaw.
Il en est tout autrement de lord Arthur Savile que de Georges Randal. Le point excepté où ses idées déraillent et s’intervertissent, on ne saurait raisonner plus normalement.
« En contemplant en ce moment le portrait de Sybil, lord Arthur, écrit Wilde, fut rempli de cette terrible pitié qui naît de l’amour. Il sentit que l’épouser avec le fatum du meurtre suspendu sur sa tête serait une trahison pareille à celle de Judas, un crime pire que tous ceux qu’ont jamais rêvé les Borgia.
Quel bonheur y aurait-il pour eux, quand à tout moment il pourrait être appelé à accoupler l’épouvantable prophétie écrite dans sa main ?
À tout prix il fallait reculer le mariage…
Bien qu’il aimât ardemment cette jeune fille, bien que le seul contact de ses doigts quand ils étaient assis l’un près de l’autre, fit tressaillir tous les nerfs de son corps d’une joie exquise, il n’en reconnut pas moins clairement où était son devoir et eut pleine conscience de ce fait qu’il n’avait pas le droit de l’épouser jusqu’à ce qu’il eût commis le meurtre.
Cela fait, il pourrait se présenter devant les autels avec Sybil Merton et remettre sa vie aux mains de la femme qu’il aimait, sans crainte de mal agir.
Cela fait, il pourrait la prendre dans ses bras, sachant qu’elle n’aurait jamais à courber sa tête sous la honte.
Mais avant, il fallait faire cela et le plus tôt serait le meilleur pour tous deux ».
Le héros de Wilde, en vertu de cet étrange raisonnement, commet donc son crime par devoir. Or, si l’on lit avec soin les ouvrages que de savants médecins ont consacrés au cas du romancier, on verra quelle illustration cette nouvelle apporte aux théories les plus récentes.
***Les contes qui complètent ce volume sont, tout au contraire, de pures fantaisies littéraires, des pages de l’exquis dilettante que fut Wilde. Il y a là quelques traits de cette ironie que les critiques d’Outre-Manche appelaient des Wildismes.
Le lecteur aura ainsi un point de comparaison qui lui permettra de rejeter ou d’admettre les considérations présentées plus haut.
LE TRADUCTEUR.
La première édition de la nouvelle Crime de lord Arthur Savile a paru en juillet 1891 chez l’éditeur Osgood. Cette nouvelle a été réimprimée à 300 exemplaires pour les seuls curieux. Cette édition, sans date, ne porte aucun nom d’éditeur ni d’imprimeur.
Le crime de lord Arthur Savile