Sous-bois, 9h34.
Mes pattes foulaient le sol mou que m'offrait les sous-bois. Je courais, l'ivresse de liberté me poussant à aller encore plus vite, à faire ce que je voulais. Je zigzaguais à travers les arbres, sautais par-dessus les troncs morts allongés sur la terre, montrant ma puissance et l'air me fouettant le museau.
Dans cet air, il y avait l'odeur des sous-bois. La mousse, la terre, les feuilles, les arbres, les fleurs, le cerf qui broutait l'herbe grasse, l'écureuil qui grignotait une noisette, l'oiseau qui rapportait de la nourriture à ses oisillons. Une odeur me fit stopper net. Je relevai le museau, et reniflai avidement. Une odeur étrangère était présente.
Je me dirigeai vers la gauche et galopai rapidement, pour voir qui avait osé s'introduire sur notre territoire, le territoire de mon père. Mon ouïe développée me permettait de tout entendre, l'animal en question buvait dans un ruisseau. J'accélérai l'allure. Des buissons me bloquaient le chemin pour atteindre le ruisseau où buvait l'étranger qui avait osé s'introduire ici. Je les franchis en sautant par dessus. Un loup magnifique se trouvait là. C'était lui, l'intrus. Son pelage noir était lisse et brillant, ses yeux verts ressemblaient à des joyaux. Il était grand, imposant. Cependant, il était sur le territoire de la meute de mon père, et il n'avait rien à faire là.
Je poussai un grognement, lui faisant comprendre qu'il n'avait rien à faire là et qu'il devait partir, quand il leva sa grosse tête vers moi. Ses oreilles se plaquèrent sur son crâne et il grogna à son tour, gonflant son corps pour paraître menaçant. Il l'était, mais il ne m'impressionnait pas. Je fis de même, et grognai encore plus fort, montrant mes crocs. Il s'énerva et bondit par-dessus le ruisseau. Je m'écartai sur ma droite alors qu'il retomba à l'endroit où je me trouvais précédemment. Je me mis en position d'attaque, et bondis à mon tour, gueule grande ouverte. Il ne vit pas le coup venir, mes dents se refermèrent sur sa gorge et un gémissement s'échappa de celle-ci. Ne préférant pas lutter, le loup se coucha sur le sol, mes dents toujours refermées au cas où il s'agirait d'un piège.
- Emilie, lâche-le, m'ordonna mon père.
- Il est sur notre territoire ! grognai-je par la pensée.
- C'est un Alpha. Relâche-le ! m'apprit mon père.
Un Alpha ? Qu'est-ce qu'il faisait ici ? Je lâchai prise et me reculai rapidement, honteuse. Le loup noir se releva, et me fixa pendant un instant qui me paru extrêmement long. Un loup gris tout aussi imposant arriva par ma gauche, mon père, Peter Lemon.
Il me fixa de son regard bleu gris, et comprenant l'ordre, je me métamorphosai en humaine. J'étais repliée sur moi-même, en position fœtus lorsqu'un tissu recouvrit mon corps dénudé et j'ouvris les yeux. Ma mère était là, me regardant tendrement. J'attrapai la main qu'elle me tendait, et elle me releva. Je la remerciai du regard et rejetai mon attention sur les deux Alphas présents devant moi, sous leur forme de loup. Ils me regardaient. Mon père de mécontentement, et l'autre me regardait d'une façon que je ne parvenais pas à déchiffrer.
J'haussai un sourcil en sa direction bien que je n'avais pas le droit de faire cela puisque ça pouvait être considéré comme un geste irrespectueux, et ma mère tira doucement sur mon bras avant se transformer en une magnifique louve argentée avec quelques nuances crèmes et rousses. Elle s'allongea et m'invita à grimper sur son dos.
- Je ne vais pas monter sur toi alors que je suis nue ! Surtout devant un inconnu !
- Il y a des vêtements au pied des buissons, indiqua-t-elle.
Je regardai les buissons en question, et y remarquai une pile de vêtements. Je les enfilai tout en veillant à ne pas perdre le drap, quand un grognement se fit entendre. Le loup noir. Il commença à s'approcher quand mon père se plaça devant lui, se dressant de toute sa hauteur. Je me dépêchai d'enfiler le sweat-shirt, le jean et la paire de bottes et grimpai sur le dos de ma mère. Mon père nous regarda avant que ma mère ne fila à toute allure jusqu'à notre manoir.
- Fais attention Emilie. Cet Alpha en a après toi..., m'informa mon père.
Manoir des Lemon, 10h06.
"Cet Alpha en a après toi..." Les paroles de mon père se répétaient sans cesse dans ma tête. Que voulait-il dire par là ? Enfin, en avoir après moi, se faire sauter à la gorge ne devait pas être très plaisant. Surtout pour un Alpha. Ceci dit, il n'avait pas à être sur le territoire.
- Emilie, ton père va bientôt arriver avec l'autre Alpha. Pourrais-tu aller t'occuper des enfants pour leur faire cours ? me demanda-t-elle, bien que son ton laissait deviner qu'il s'agissant d'un ordre.
- Oui maman, obéis-je.
Mon regard quittait la fenêtre pour tomber sur celui de ma mère. Son regard ambré me surprenait à chaque fois, non pas par sa couleur inhabituelle, mais pour sa facilité à lire en une personne, comme si tout ce qu'elle pensait était affiché rien que pour elle. Elle avait le don de toujours deviner ce que je voulais faire, lorsque je mentais ou lui cachais quelque chose. C'était très frustrant. Mais il n'y avait pas que son regard qui me surprenait non. Sa beauté saisissante également. De longs cheveux blonds tombaient en cascade dans son dos et sur ses épaules, sa peau était bronzée juste comme il faut, il n'y avait pas de contraste avec sa blondeur. Elle était grande et fine, elle pourrait devenir mannequin tant elle est belle.
Il fallait l'avouer, ma mère ressemblait à un ange. Elle avait le physique et le caractère de cet être parfait. Elle était ma référence, mon modèle.
Maintenant je devais remplir mon devoir de fille d'Alpha, même si j'étais la fille du loup le plus puissant de la meute, je devais participer à son organisation. Avant ma naissance, ma mère se chargeait de donner des cours aux enfants loups, on leur apprenait à contrôler ses émotions, on leur expliquait également comment se passerait leur première transformation, l'âge à laquelle elle se ferait et comment se comporter sous sa forme de louve. On leur donnait également des cours sur notre histoire. Après ma naissance, ma mère m'avait élevé jusqu'à mes dix ans, ma première transformation. En général, elle se déroulait à l'âge de quinze ans mais étant une fille d'Alpha, j'échappais à la règle. Étant donné que ma mère devait reprendre son devoir d'épouse d'Alpha à plein temps soit accompagnée mon père lors de ses nombreux conseils, la femme du second de mon père, Gabriella, se chargeait de m'apprendre les règles de vie dans le haut rang. Elle était vraiment très gentille avec moi, mais j'étais de nature très capricieuse et voulais ma maman, ce qui m'avais valu la première réprimande de mes deux parents. Après ça, j'écoutais et obéissais à Gabriella.
Depuis mes dix huit ans, je devais transmettre mon savoir aux plus jeunes, les loups de quatre à neuf ans. À partir de l'âge de dix ans, l'éducation devait être prise en charge par les parents. Les petits étaient très sympas avec moi, et me respectaient, à la plus grande surprise de mes parents. Je ne suivais pas les cours traditionnels, je préférais m'amuser. Je me transformais en loup à des moments, sous leur demande et grâce à la télépathie je les faisais étudier l'anatomie d'un loup, ainsi que ses capacités. Les petits montaient sur mon dos, et je galopais doucement autour des autres tout en leur enseignant ce que j'avais appris. C'était un véritable plaisir d'être avec eux.
Je sortis par l'arrière de la maison, saluant ma mère au passage, et me dirigeai vers la colline qui était à quelques mètres de chez moi. De son sommet, on pouvait apercevoir mon manoir, ainsi que quelques maisons des loups de la meute. Je me mis à marcher d'un pas énergique vers la colline, joyeuse de rejoindre mes petits loups. Sur le chemin, le chant des oiseaux était une musique agréable à mes oreilles, le temps était ensoleillé. Il faisait bon pour une fin d'été. J'arrivai à la colline, et aucun des élèves n'étaient là. Je les appelai en imitant un jappement, un signal qu'ils devaient faire si ils ne me trouvaient pas, mais aucun ne me répondit. Je tournais sur moi-même, inspectant chaque endroit, commençant à paniquer. Un craquement de brindille m'extirpa de ma recherche, suivi de petites voix énervées et une qui protestait. Les filous.
- Si vous vouliez m'attaquer par surprise, c'est raté les loulous ! dis-je en riant.
Ils sortirent de leur cachette en courant vers moi et nous fîmes un câlin groupé. C'était notre dernier jour de cours de l'année, et certains resteraient chez eux avec leurs parents. Une petite fille brune, aux yeux bleus azur s'approcha de moi, et affichait une moue triste.
- Tu vas me manquer Emilie..., dit-elle tristement.
- Tu vas me manquer toi aussi Laure..., avouai-je.
Un pincement au cœur se fit ressentir dans ma poitrine. Cette petite fille était très attachante. Ne voulant pas me laisser submerger par l'émotion, une idée me vint à l'esprit. Une idée qui leur plaira et leur fera oublier l'espace d'une journée la fin des cours.
- Aujourd'hui, je vous propose d'aller dans les sous-bois faire des bouquets de fleurs ! informai-je les louveteaux. Ça vous permettra d'apprendre quelle fleur est toxique ou non pour nous, c'est d'accord ? Et à la fin, celui qui aura le plus gros bouquet pourra l'offrir à la femelle de l'Alpha.
- Ouiiiiii !! crièrent-ils tous en chœur.
Les enfants n'avaient jamais vu mes parents de près. Et ils m'avaient demandé à de nombreuses reprises si ils pourraient un jour les rencontrer et parler avec eux. Les rencontrer étaient un honneur dans la meute.
Alors que les enfants commencèrent à se diriger vers les sous-bois, je les rappelai à l'ordre.
- Les enfants, vous restez derrière moi ! On ne sait jamais ce qu'il se trouve dans les bois.
Ils attendirent que je passe devant eux, se mirent en rang et nous partîmes vers les sous-bois. Il y avait une clairière pleines de fleurs, dans un endroit qui n'était pas dangereux pour eux. Cette clairière était paisible et très ensoleillée. Les rayons du soleil rendaient les fleurs encore plus belles et colorées.
Les petits étaient très excités, et leur esprit de compétition était à son apogée. J'entendais leurs paroles si innocentes : "C'est moi qui gagnerais !", "Tu rêves ! C'est moi qui aura le privilège de la rencontrer !" et je riais de bon cœur.
Nous arrivâmes à la clairière à onze heures moins dix, les enfants avaient jusque midi pour faire leur bouquet. J'avais établi quelques règles de sécurité, et un périmètre de sécurité pour ne pas les perdre de vue. Je me transformai en louve pour intervenir directement en cas de danger. Mon pelage roux reflétait les rayons du soleil, et la chaleur de ce dernier était très agréable.
Les enfants avaient fini leur bouquet. Tous étaient aussi beau les uns que les autres, colorés, parfumés, le choix serait difficile. J'avais laissé des vêtements de rechange à la colline, et cette fois-ci se fut les enfants qui étaient devant pour le retour. Leur sens de l'orientation était mis à l'épreuve et ils réussirent à retrouver la colline en observant et en écoutant. Lorsque nous arrivâmes à la colline, je me mis derrière un rocher et me transformai de nouveau. J'enfilai mon sweat-shirt violet et mon jean noir et rejoignis les enfants, qui étaient disposés en cercle, chacun de leur bouquet devant eux, attendant mon choix. Je me mis au centre du cercle, et analysais chacun des bouquets avec attention.
Après plusieurs minutes de réflexion, mon choix se porta sur un bouquet aux couleurs vives et bien garni. Ce bouquet était l'œuvre du garçon le plus discret de tous, Yanis. Un petit garçon brun aux yeux charbons et la peau très bronzé.
- Yanis, j'ai le bonheur de t'annoncer que tu remettras ton bouquet en main propre à Lucie, la femelle de l'Alpha ! annonçai-je avec joie.
Le regard du petit garçon s'illumina et Yanis atterri dans mes bras. Les autres élèves étaient contents pour lui et cachaient leur déception de ne pas avoir été choisi. Cette décision marqua la fin du cours, et les enfants repartirent, bouquet en main pour les offrir à leurs parents. La petite main fragile de Yanis se retrouva dans la mienne, et nous rentrâmes au manoir.
J'ouvris la porte de la cuisine, et notre gouvernante, Giselle, nous accueillit tout sourire. Je lui rendis son sourire poliment, lorsque son regard se posa sur le petit garçon elle lui sourit également, il lui sourit très timidement et je conduisis Yanis au salon. Ma mère était sur le canapé, entrain de remplir divers papiers.
- Maman ? l'appelai-je. Ce petit garçon a quelque chose pour toi.
Ma mère leva le nez de sa paperasse et dirigea son attention vers moi et Yanis. Son visage sérieux laissa place à un visage attendrit et heureux. J'encourageai Yanis en le poussant gentiment et il parti fièrement donner le bouquet à ma mère.
- Oh, quel joli bouquet mon petit, merci ! remercia ma mère en prenant le bouquet. Comment t'appelles-tu ?
- Yanis, répondit-il timidement.
- Et bien merci Yanis pour ce magnifique bouquet. J'en prendrais grand soin, tu as ma parole.
Elle déposa un b****r tendre sur le front de Yanis, qui souriait de bonheur. Je ramenai le petit chez lui, et il annonça fièrement à ses parents qu'il avait rencontré la femelle de l'Alpha et ses parents me remercièrent. Je retournai à la maison, et lorsque j'entrai ma mère était dans la cuisine, visiblement inquiète.
- Oh Emilie ! Ton père t'attend dans le salon... Il n'est pas seul, l'Alpha de ce matin est avec lui, rajouta-t-elle par pensée.
J'hochai la tête et me dirigeai vers ma chambre pour porter des vêtements plus corrects, en me demandant pourquoi mon père avait rencontré cet Alpha et l'avait ensuite invité chez nous.