Je tirai sur la bête en pleine poitrine et l’atteignis en plein cœur. Elle vacilla à peine.
« Dieu du ciel mais qu’est-ce qu’ils lui ont fait ? » Jack arriva sur ma gauche, Trinity sur ma droite, on tira sur la bête pile au moment où elle tendit les mains et retira son casque. Son visage luisait d’un éclat argenté, on voyait encore de la peau çà et là. Ses yeux étaient sombres, sans la moindre trace argentée.
Je visais sa tête et croisais son regard désespéré et lucide. Il déposa son casque à terre, resta les bras ballants, attendant que je le tue. C’était quoi ce bordel ?
J’hésitai.
« Tue-moi, Mills. » Sa voix grave n’était qu’un grondement sourd exempt de peur. C’était une supplique. Comment diable cet Atlan connaissait mon nom ?
« Vas-y. Je suis le seigneur de guerre Anghar. Tue-moi.
– Merde. Angh ? » J’étais pétrifié. C’était le commandant et meilleur pote du seigneur de guerre Nyko. J’avais servi sous ces ordres pendant deux ans, j’ignorais qu’il avait été capturé par la Ruche. p****n. Merde. « Cessez le feu bordel. »
La douleur et le choc se lisaient dans les yeux de Trinity. Jack me regardait comme si j’avais perdu la tête.
« Tu sais très bien qu’il va crever à la fin du signal, ricana Jack en le tenant en joue.
– Je sais, mais pour le moment, il est là.
– Ne t’avise pas de le tuer, Jack. » Trinity baissa son arme et tua un soldat de la Ruche qui se tenait derrière la bête. On les avait presque tous dégommés.
La bête me fixait du regard, je ne baissai pas les yeux, réfléchissant à des solutions. Il devait exister un moyen de le sauver. Il était hors de question que j’abandonne Angh après son séjour dans les unités d’intégration de la Ruche. Il méritait mieux, il méritait de vivre.
Le signal de la grenade à fragmentation faiblit, les soldats de la Ruche restants reprirent leurs esprits.
Il n’en restait que deux. On allait s’en débarrasser vite fait, exception faite de la bête.
Il poussa un rugissement et s’enfuit en courant, arrachant au passage ce qui restait des portes et se réfugia dans la pièce où se trouvait retenue la patrouille prillon.
« Surveillez-les, récupérez la grenade à fragmentation et assurez-vous que les autres sont bien morts, » ordonnais-je en le suivant. Le seigneur de guerre Anghar. Dieu du ciel. Quel merdier.
Nos camarades Prillons n’avaient pas perdu de temps. Ils avaient installé des barrières et de quoi se défendre dans la pièce mais rien n’arrêterait la bête.
« C’était moins une, Mills, » hurla le Capitaine Dorian, embusqué derrière une table renversée sur ma droite, il menaçait de tirer sur la bête.
La bête gronda et avança sans réfléchir, balançant ses énormes poings semblables à des boules de démolition. C’était déjà beaucoup, vu l’état dans lequel il était. Angh avait perdu toute trace de lucidité. C’était un clone. Un serviteur de la Ruche.
Je savais que le seigneur de guerre atlan sommeillait en lui. Il s’était d’ailleurs brièvement réveillé.
Tout s’était déroulé selon les plans, tout sauf ça. « Ne tirez pas. » Je tendai la main et donnai cet ordre tandis que le reste de la patrouille de reconnaissance numéro trois investissait la pièce.
« Les autres sont morts, » annonça Jack. Je hochais la tête tandis que mon équipe de Prillons embusqués mettait la bête en joue à l’aide de leurs armes laser.
« Cessez le feu, ordonnais-je, histoire d’être clair.
– p****n mais qu’est-ce-que tu branles, Mills ? aboya Dorian tandis que la bête fonçait sur lui.
– Fais-moi confiance. Occupe-toi de lui sans faire de conneries. Nos armes ne servent à rien. Contente-toi d’attirer son attention. Ça me laissera du temps.
– T’es complètement dingue Mills, » lança le grand guerrier prillon. Il hocha la tête et tira sur la bête enragée, en faisant bien attention de viser ses épaules et ses cuisses. Dorian ne s’était pas aperçu qu’il s’agissait du Seigneur de guerre Anghar. Le visage de la bête était quasiment méconnaissable. Je connaissais Angh grâce à Dax et Sarah. Le Prillon n’avait probablement jamais rencontré cet Atlan. Les équipes de combattants se mélangeaient rarement sur le champ de bataille.
3Je sais pas ce que tu comptes faire mais fais-le vite, » cria Dorian sans cesser de tirer. La bête était touchée, de la vapeur s’éleva de son épaule mais il continuait d’avancer. La technologie de la Ruche avait changé la bête en un monstre plus puissant qu’aucune autre créature.
« Trinity, prépare les tranquillisants.
– Combien ?
– Tous, je veux endormir Angh et le ramener. S’il ne s’endort pas, tu l’embarques.
– Tu plaisantes, » grommela Jack, mais Trinity cherchait déjà les tranquillisants dans son paquetage tandis que la Jack la couvrait.
Je reculais et pris les seringues au moment où la bête fonçait droit sur Dorian. Il se mis à l’étrangler, souleva du sol ce guerrier Prillon de deux mètres dix comme un fétu de paille et l’envoya valdinguer contre le mur.
Dorian tomba par terre et s’accroupit instantanément, il saignait de la tête, son regard luisait d’un éclat vengeur. Il poussa un cri de bataille muet, en signe de défi pour attirer l’attention de la bête tandis que j’avançais vers lui.
La distraction produisit l’effet escompté, la bête recula afin de terminer ce qu’elle avait commencé.
Je lançais mon arme par terre et me débarrassais de mon attirail. J’avais besoin de filer vite fait sans m’encombrer d’un poids supplémentaire. J’ignorai les jurons de Jack et vérifiai que mes seringues étaient correctement positionnées dans ma main.
« Maintenant ! » L’ordre de Dorian résonna tel un coup de tonnerre, je courus tandis qu’il maintenait la bête, usant de ses forces pour empêcher Angh de bouger pendant de précieuses secondes, le temps que je passe à l’attaque.
Je m’élançais en silence, bondis sur le dos de la bête et enfonçais les seringues dans le cou du seigneur de guerre.
La bête poussa un rugissement, m’attrapa par mon armure et me jeta sur le mur sur lequel avait atterri Dorian. Je m’effondrai comme une merde et luttai pour me redresser, ma tête tournait, une douleur atroce me vrillait le crâne. Le goût métallique du sang emplit ma bouche mais je n’en fis pas cas, Trinity ouvrit le feu afin que la bête s’éloigne, elle tirait sur ses jambes.
« Cessez le feu ! » je hurlai mais mon ordre se mua en croassement. Inutile de m’inquiéter. La bête vacilla sur ses pieds, luttant contre les effets du sédatif, je lui avais injecté une dose de cheval. Aucun Atlan n’aurait pu résister.
Jack tira une fois, deux fois. Comme Trinity, il visait les implants de la Ruche situés sur les jambes et les épaules de la bête, jusqu’à ce qu’elle tombe, inconsciente.
Trinity retira son casque, un éclat passa dans ses yeux tandis qu’elle contemplait l’Atlan à terre. « Pourquoi t’as fait ça Seth ? Pourquoi l’avoir sauvé ?
– Parce que c’est mon ami. » L’un des seuls encore en vie, si on peut encore s’estimer vivant avec des implants de la Ruche. Il méritait sa chance. Les médecins pourraient retirer cette f****e technologie et l’envoyer vivre sur la Colonie. Il ne combattrait plus jamais mais au moins, il vivrait.
Je savais au fond de moi qu’il me détesterait mais j’avais vu la mort de trop près. Il devait s’en sortir, se marier, comme ma sœur Sarah m’avait poussé à le faire l’année dernière. Dans un moment de faiblesse, après avoir abusé de whisky et à l’évocation de notre Terre bien-aimée, je l’avais laissée me conduire au centre de recrutement, en guise de cadeau de Noel. Elle était raide dingue de Dax, son seigneur de guerre, je n’avais pas pu refuser. Elle avait risqué sa vie pour sauver la mienne, il était hors de question que je refuse.
Le test ? Ah pour ça oui, une belle erreur. Primo, ça faisait déjà un an que j’avais pris place dans ce foutu fauteuil et toujours personne en vue. Secundo, je doutais d’être encore en vie à la fin de ma mission et trouver chaussure à mon pied. Et si je trouvais la femme de ma vie avant la fin de mon service, j’avais pas envie de la voir finir en veuve éplorée ou enceinte. Hors de question. Si je me mariais ce serait tout ou rien, c’était impossible. Ce serait trop cruel, faudrait être sacrément égoïste.
Sarah ne pouvait pas comprendre. Sa vie état totalement différente. Le seigneur de guerre Dax avait pris sa retraite après leur mariage et était retourné à la vie civile sur Atlan. Ils vivaient à l’aise dans une immense maison avec des domestiques, il avait été grassement récompensé pour ses bons et loyaux services au sein de la Flotte de la Coalition. Ils donnaient des dîners et s’amusaient avec leurs filles. Je ne serai jamais en mesure d’offrir une vie pareille à une femme.
Dorian s’accroupit à côté de moi, je croisais son regard. « T’es vraiment un enfoiré, Mills. »
Je ne pus m’empêcher de sourire. C’était pas la première fois que Dorian me sortait ça et ce serait pas la dernière.
« Merci de m’avoir sauvé la vie, ainsi que celle de mon équipe. Combien de temps avant l’explosion ? » demanda Dorian en s’essuyant le front.
Je regardais le compte à rebours dans le viseur de mon casque. « Deux minutes. »
Il me rendit mon sourire. « On a largement le temps. »
On se précipita vers la navette d’évacuation d’urgence, six guerriers prillons portaient l’Atlan inconscient. Les sas de téléportation grouilleraient de soldats de la Ruche, on n’avait pas le temps de lancer un deuxième assaut.
Dorian s’installa dans le fauteuil du pilote, je pris place derrière lui tandis que Trinity s’assit à sa droite. Elle savait piloter, ce qui n’était pas mon cas.
Ils passèrent les commandes en revue en quelques secondes, mes genoux se dérobèrent lorsque la navette s’arracha de l’avion-cargo, ceux n’étant pas attachés perdirent l’équilibre.
« Ok ? demanda Dorian.
– Ok, » confirma Trinity, ses mains voletaient sur le pupitre de commandes, question d’habitude. J’étais trop fatigué pour essayer de suivre ses gestes. La navette fit une embardée sous l’effet du souffle de l’explosion de l’avion-cargo, m’envoyant valdinguer contre le pupitre situé derrière Dorian.
Des alarmes retentirent du panneau situé sur la gauche, Dorian tendit une main rageuse. « Pas touche, Mills.
– Ta gueule et pilote, » grommelais-je.
Il haussa les épaules, Trinity se détendit, la tension ambiante se relâchait au fur et à mesure que nous nous éloignions de l’épave de l’avion-cargo tombé aux mains de la Ruche.
Nous étions de nouveau en sécurité dans l’espace, dans la zone de protection défendue par les patrouilles du bataillon Karter. Trinity établit le contact.
« ReCon 3 pour Karter.
– Cuirassé Karter. Au rapport ReCon 3. »
Trinity regarda Dorian, qui soupira. « On a perdu huit membres d’équipage et le chargement de l’avion-cargo.
– Y’a que sept survivants ? » Elle avait raison et le savait. p****n, c’était déjà une chance que sept membres aient survécu.
Dorian acquiesça, elle relaya l’information au poste de commande du Cuirassé Karter. Le Commandant Karter s’était sans aucun doute posté derrière l’officier afin d’écouter la communication.
« Ici le Commandant Karter. »
Je levai les yeux au ciel, bon sang il m’écoutait.
« J’aimerais savoir comment va le Capitaine Seth Mills. »
Trinity me regarda l’air choqué, c’était la première fois que Karter prenait des nouvelles d’un membre de l’équipe en particulier. Je me penchais, elle me fit signe de parler. « Tout va bien, Commandant.
– Excellent. » On entendit comme une bruissement et le Commandant Karter parla de nouveau, tranquillement, comme s’il s’adressait à quelqu’un d’autre. « Contactez la Terre et dites-leur d’amorcer le transport.
– La Terre ?
– Votre épouse arrive d’ici quelques heures Capitaine. Félicitations. » Le Commandant avait l’air content. J’avais l’impression qu’un poids et une menace pesaient sur ma poitrine. Oh merde. Comme si affronter un Atlan embrigadé par la Ruche ne suffisait pas.
Une Epouse Interstellaire.
Une Terrienne.
« J’en veux pas, » lança-t-il.
Dorian se retourna dans son fauteuil, retira son casque, ses yeux couleur de miel écarquillés sous le choc. « Mais p****n qu’est-ce qui te prends Mills ? Une épouse est une récompense inespérée.
– Pas pour moi. » Je regardais le pupitre de commande comme si je pouvais ordonner au Commandant de m’obéir. « Renvoyez-la Commandant. Je ne peux pas accepter.
– Vous n’avez pas votre mot à dire, Capitaine. » La voix du commandant était sévère, toute légèreté ayant disparu face à ma réponse. Tout autre guerrier prillon aurait accepté avec joie. « Vous avez passé le test et on vous a attribué une épouse. Votre femme a trente jours pour accepter ou refuser cette union. Vous n’avez pas le choix. Votre sort est entre ses mains, Mills. Je vous suggère de réintégrer le Karter et de passer un examen cérébral, pont numéro trois.
– Bien Commandant» répondit Dorian avant que la communication ne coupe. Il se tourna vers Trinity. « Vous pouvez nous déposer ?
– Oui Capitaine.
– Alors allez-y. » Il se leva, me pris par le bras et m’attira hors du cockpit. « Suivez-moi Mills. »