CHAPITRE II : ÉTRANGES INSTRUCTIONS

3666 Words
CHAPITRE II ÉTRANGES INSTRUCTIONS Le commissaire Dolan alla lentement à la porte ; par suite d’une entente tacite, il avait pris la direction des opérations dans cette chambre. Nous attendions. Il entrouvrit la porte, puis, avec un geste de soulagement évident, il l’ouvrit toute grande et un homme entra. Un homme jeune, rasé de près, grand et mince, avec un visage d’aigle, et des yeux vifs, brillants, qui semblaient tout voir en un instant. Au moment où il entrait, le commissaire s’approcha et les deux hommes échangèrent une poignée de main chaleureuse. – Dès que j’ai eu reçu votre message, monsieur, je suis venu immédiatement. Je suis heureux d’avoir toujours votre confiance. – Vous l’aurez toujours, dit le commissaire avec conviction. Je n’ai pas oublié le bon vieux temps et Bow Street, je ne l’oublierai jamais ! Alors, sans préliminaire, il se mit à raconter tout ce qu’il savait sur ce qui s’était passé jusqu’à l’arrivée du nouveau venu. Le sergent Daw posa quelques questions — très peu — lorsque cela lui paraissait nécessaire pour sa compréhension des circonstances ou des positions respectives des personnes. Mais en général Dolan, qui connaissait son travail à fond, allait plutôt au-devant de toute question, et donnait à mesure toutes les explications nécessaires. De temps en temps, le sergent Daw jetait un rapide coup d’œil sur ce qui l’entourait, tantôt sur l’un de nous, tantôt sur la pièce ou sur une partie de la pièce, tantôt encore sur le blessé qui gisait inanimé sur le sofa. Lorsque le commissaire eut terminé, le sergent se tourna vers moi pour me dire : – Vous vous souvenez peut-être de moi, monsieur. J’ai travaillé avec vous sur l’affaire Hoxton. – Je me souviens très bien de vous, lui répondis-je en lui tendant la main. Le commissaire ajouta : – Il est bien entendu, sergent Daw, que vous êtes entièrement chargé de cette affaire. – Sous vos ordres, j’espère, commissaire, dit-il en l’interrompant. L’autre secoua la tête et répondit : – Il me semble que c’est une affaire qui va accaparer tout le temps d’un homme et tout son esprit. J’ai d’autres occupations, mais je serai plus qu’intéressé à l’affaire et si je peux vous aider d’une manière quelconque, j’en serai heureux ! – Très bien, monsieur, dit l’autre, qui acceptait sa responsabilité en esquissant un salut un peu différent. Il entama directement son enquête. Il s’adressa d’abord au médecin, lui demanda son nom et son adresse, le pria de rédiger un rapport complet dont il pourrait se servir et qu’il pourrait, si nécessaire, communiquer au quartier général. Le Dr Winchester promit de le faire en s’inclinant gravement. Alors le sergent s’approcha de moi et me dit sotto voce : – Votre docteur me plaît. Je crois que nous pourrons travailler ensemble. Puis, se tournant vers Miss Trelawny, il demanda : – Dites-moi, s’il vous plaît, tout ce que vous pouvez me dire sur le compte de votre père. Sa façon de vivre, son histoire : en fait tout ce qui l’intéresse, ou ce qui le concerne. J’étais sur le point de l’interrompre pour lui dire qu’elle avait déjà confessé son ignorance de toutes les questions concernant son père et sa façon de vivre, mais elle avait déjà levé la main pour m’arrêter et elle parla elle-même : – Hélas ! Je ne sais que peu de chose, sinon rien. Le commissaire Dolan et Mr Ross connaissent déjà tout ce que je puis dire. – Alors, mademoiselle, nous ferons ce que nous pourrons, dit aimablement l’officier de police. Je vais commencer par un examen minutieux des faits. Vous dites que vous vous trouviez de l’autre côté de la porte quand vous avez entendu ce bruit ? – J’étais dans ma chambre quand j’ai entendu ce bruit anormal — à dire vrai, ce doit être le début de ce bruit, quel qu’il fût, qui m’a réveillée. Je suis immédiatement sortie de ma chambre. La porte de mon père était fermée, je pouvais voir tout le palier et les marches supérieures de l’escalier. Personne n’aurait pu sortir par cette porte sans être vu de moi, si c’est ce que vous voulez dire ! – C’est exactement ce que je veux dire, mademoiselle. Si tous ceux qui savent quelque chose me le disent aussi bien, nous ne tarderons pas à aboutir. Alors, je dois comprendre que l’agresseur, quel qu’il soit, se trouve encore dans cette chambre ? Il avait dit cette phrase sur un ton à demi interrogatif, mais nul ne répondit. Il en savait autant que nous sur ce point. Il s’approcha alors du lit, le regarda attentivement, et demanda : – A-t-on touché au lit ? – Pas à ma connaissance, dit Miss Trelawny, mais je vais demander à Mrs Grant, la gouvernante, ajouta-t-elle en sonnant. Mrs Grant arriva en personne. Entrez, dit Miss Trelawny. Ces messieurs veulent savoir, Mrs Grant, si ce lit a été touché. – Pas par moi, mademoiselle. – Alors, dit Miss Trelawny en se tournant vers le sergent Daw, personne n’a pu y toucher. Mrs Grant ou moi-même, nous avons été constamment présentes et je ne crois pas qu’aucun des domestiques qui sont accourus après que j’ai donné l’alarme se soit trouvé à aucun moment près du lit. Vous voyez, mon père était étendu ici, exactement sous le grand coffre-fort, et l’on était rassemblés autour de lui. Nous avons très rapidement renvoyé tout le monde. De la main, Daw nous intima à tous de rester de l’autre côté de la chambre pendant qu’il scrutait le lit avec une loupe, prenant soin de remettre exactement en place chaque pli des draps après l’avoir déplacé. Puis, toujours à l’aide de sa loupe, il examina le sol sous le lit, s’attardant là où le sang avait goutté du bord du lit en bois du brésil finement sculpté. À genoux, pouce après pouce, évitant absolument tout contact avec les taches par terre, il suivit les traces de sang jusqu’à l’endroit, juste sous le grand coffre-fort, où s’était trouvé le corps. Il entreprit alors un examen du sol dans un rayon de plusieurs yards à partir de ce point, mais sans trouver apparemment de quoi retenir son attention. Sur ce, il vérifia le devant du coffre, autour de la serrure, en haut et en bas des doubles portes, et plus particulièrement là où celles-ci se touchaient en avant. Il s’approcha ensuite des fenêtres qui étaient fermées au loquet. – Les volets étaient-ils fermés ? demanda Daw à Miss Trelawny sur un ton détaché qui appelait une réponse négative. Celle-ci lui fut donnée. Pendant tout ce temps, le Dr Winchester s’était occupé de son malade, tantôt pansant les blessures de ses poignets, tantôt procédant à un examen minutieux de sa tête, de son cou et de son cœur. À plusieurs reprises, il approcha le nez de la bouche de l’homme inconscient et renifla. Chaque fois, il faisait inconsciemment des yeux le tour de la chambre, comme s’il avait cherché quelque chose. Nous entendîmes alors la voix forte et grave du détective : – Autant que je peux le voir, le but à atteindre était d’approcher cette clef de la serrure du coffre. Il semble y avoir dans son mécanisme quelque secret que je suis incapable de deviner, bien qu’ayant travaillé un an chez Chubb avant d’entrer dans la police. C’est une serrure à combinaison de sept lettres, mais il y a, semble-t-il, un moyen de bloquer la combinaison elle-même. Elle est de chez Chatwood, je me rendrai dans cette maison pour voir si je ne peux pas trouver quelque chose. Il se tourna alors vers le docteur, comme s’il en avait pour le moment terminé avec son propre travail, et lui dit : – Y a-t-il quelque chose que vous puissiez me dire dès maintenant, docteur, sans vous gêner dans l’établissement de votre rapport complet ? S’il subsiste le moindre doute, je peux attendre, mais le plus tôt je saurai quelque chose de précis, le mieux cela vaudra. – En ce qui me concerne, répondit immédiatement le Dr Winchester, je ne vois aucune raison d’attendre. Je ferai, bien sûr, un rapport complet. Mais entre-temps, je vous dirai tout ce que je sais — ce qui, après tout, n’est pas énorme — et tout ce que je pense — ce qui est moins précis. Le patient n’a aucune blessure à la tête qui puisse expliquer l’état de stupeur dans lequel il se trouve. Je dois donc admettre ou bien qu’il a été drogué, ou bien qu’il se trouve soumis à quelque influence hypnotisante. Autant que je puisse en juger, il n’a pas été drogué — du moins au moyen d’un produit dont je connaisse les propriétés. Il y a habituellement dans cette pièce, une odeur de momie telle qu’il est naturellement bien difficile d’avoir une certitude quelconque quand il s’agit de quelque chose ayant une odeur très subtile. Je pense que vous avez remarqué des odeurs particulièrement égyptiennes, bitume, nard, gommes aromatiques, épices, et ainsi de suite. Il est tout à fait possible que quelque part dans cette pièce, parmi les antiquités et masquée par des odeurs plus fortes, se trouve une substance ou un liquide qui puisse produire l’effet que nous observons. Il est possible que le patient ait absorbé quelque d****e, et qu’il se soit blessé alors qu’il se trouvait soumis à son influence narcotique. Je ne crois pas que ce soit vraisemblable, et des circonstances, autres que celles que j’ai moi-même examinées, peuvent prouver l’inexactitude de cette conjecture. Mais, en attendant, c’est possible, et cela doit donc, jusqu’à preuve du contraire, rester dans nos perspectives. Ici le sergent Daw l’interrompit : – Cela est possible, mais si tel est le cas, nous devrions pouvoir trouver l’instrument avec lequel le poignet a été blessé. Il y aurait des traces de sang quelque part. – Parfaitement exact, dit le docteur, en ajustant ses lunettes comme s’il se préparait à une discussion. Mais si l’on admet que le patient a utilisé une d****e mystérieuse, il faut que c’en soit une dont l’effet n’est pas immédiat. Comme nous ignorons encore ses possibilités — si, en vérité, l’ensemble de la conjecture est le moins du monde correct —, nous devons être prêts à tout envisager. Miss Trelawny se joignit à cet instant à la conversation : – Ce serait tout à fait bien, en ce qui concerne l’action de la d****e, mais aux termes de la seconde partie de votre conjecture, la blessure peut avoir été faite par le patient lui-même, et cela après que la d****e a fait son effet. – Exact ! dirent simultanément le détective et le médecin. – Cependant, docteur, continua-t-elle, comme votre hypothèse n’épuise pas toutes les possibilités, nous devons garder présente à l’esprit l’idée que quelque autre variante du point de départ puisse être exacte. Je note donc que la première chose que nous ayons à chercher, en partant de cette hypothèse, doit être l’arme avec laquelle le poignet de mon père a été blessé. – Il a peut-être mis l’arme dans le coffre avant de perdre complètement conscience, dis-je, en exposant stupidement une pensée n’ayant pris corps qu’à moitié. – Cela ne serait pas possible, s’empressa de dire le docteur. Du moins je crois que ce ne serait guère possible, ajouta-t-il plus prudemment, en s’inclinant légèrement de mon côté. Vous voyez, la main gauche est couverte de sang, mais il n’y a aucune trace de sang sur le coffre. – Parfaitement exact ! dis-je, et il y eut alors un long silence. Le docteur fut le premier à le rompre. – Il va nous falloir une infirmière le plus tôt possible et je connais celle qui convient. Je vais aller la chercher immédiatement, en admettant que je puisse l’avoir. Je dois demander que l’un d’entre vous reste constamment avec le malade jusqu’à mon retour. Il sera peut-être nécessaire de le transporter par la suite dans une autre pièce, mais en attendant, il vaut mieux qu’il reste ici. Miss Trelawny, puis-je être sûr que vous allez, vous ou Mrs Grant, rester ici jusqu’à mon retour ? Non pas seulement dans la chambre, mais tout près du malade et sans le quitter des yeux ? Elle s’inclina en guise de réponse et prit un siège à côté du sofa. Le docteur lui donna quelques directives sur ce qu’elle devrait faire au cas où son père reprendrait connaissance avant son retour. Le premier à bouger ensuite fut le commissaire Dolan, qui s’approcha du sergent Daw et lui dit : – Il vaut mieux maintenant que je retourne au commissariat — à moins, naturellement, que vous ne désiriez me voir rester encore un moment. – Johnny Wright appartient-il toujours à votre division ? lui demandat-il en guise de réponse. – Oui ! Vous aimeriez l’avoir avec vous ? (L’autre fit un signe de tête pour acquiescer.) Alors je vais vous l’envoyer dès que possible. Il restera avec vous aussi longtemps que vous le désirerez. Je lui dirai de prendre entièrement ses instructions de vous. Le sergent l’accompagna jusqu’à la porte en lui disant : – Merci, monsieur, vous êtes toujours plein d’attentions pour ceux qui travaillent avec vous. C’est un plaisir pour moi de vous retrouver. Je vais retourner à Scotland Yard rendre compte à mon chef. Ensuite, j’irai chez Chatwood, et je reviendrai ici dès que possible. Je suppose que je peux, si nécessaire, m’installer ici pour un ou deux jours. Cela vous aidera peut-être un peu, et vous réconfortera de me savoir dans les parages, tant que nous n’avons pas éclairci ce mystère. – Je vous en serai très reconnaissante. Avant de reprendre la parole, il la regarda pendant quelques secondes d’un œil pénétrant. – Avant de partir, ai-je la permission de jeter un coup d’œil sur la table et le bureau de votre père ? Il peut y avoir quelque chose qui nous fournisse un indice — ou en tout cas un fil conducteur. Sa réponse fut si catégorique qu’il en fut presque surpris. – Vous avez toutes les permissions possibles de faire quoi que ce soit de nature à nous aider dans ces terribles ennuis — pour découvrir ce qui ne va pas pour mon père, ou ce qui est susceptible de le protéger dans l’avenir ! Il entama immédiatement un examen systématique de la coiffeuse, et ensuite de la table à écrire. Dans l’un des tiroirs, il trouva une lettre cachetée ; il traversa la chambre pour la remettre à Miss Trelawny. – Une lettre — adressée à moi — et de l’écriture de mon père ! dit-elle en s’empressant de l’ouvrir. Je surveillai son visage tandis qu’elle commençait à lire, mais, voyant immédiatement que le sergent Daw ne quittait pas le visage de Miss Trelawny de ses yeux pénétrants, en guettant sans sourciller ses expressions les plus fugitives, je gardai à partir de ce moment les yeux fixés sur les siens à lui. Lorsque Miss Trelawny eut terminé sa lecture, j’avais acquis une conviction que je gardai, cependant, enfouie au fond de mon cœur : parmi les soupçons qui avaient pris naissance dans l’esprit du détective, il y en avait un, appartenant peut-être au domaine des possibilités et n’étant guère précisé, mais qui concernait Miss Trelawny elle-même. Pendant plusieurs minutes Miss Trelawny, les yeux baissés, garda la lettre à la main, et réfléchit. Puis elle la lut de nouveau avec soin ; cette fois ses différentes expressions prenaient plus d’intensité, et je crus pouvoir les suivre aisément. Quand elle eut achevé sa deuxième lecture, elle s’arrêta de nouveau. Alors, comme à contrecœur, elle tendit la lettre au détective. Il la lut avec empressement mais sans que son expression change ; il la lut une seconde fois et la lui rendit en s’inclinant. Elle marqua encore un temps, puis me tendit la lettre. En même temps elle me regarda dans les yeux et eut, pendant un court instant, une expression suppliante ; une légère rougeur se répandit rapidement sur ses joues pâles et sur son front. Je pris la lettre avec des sentiments mitigés, mais, tout compte fait, j’étais heureux. Elle ne laissa paraître aucun trouble en remettant la lettre au détective — il en aurait été probablement de même avec n’importe qui d’autre. Mais avec moi… j’eus peur de suivre plus avant le fil de ma pensée ; je me mis à lire, en sentant les yeux de Miss Trelawny et du détective fixés sur moi. Ma chère fille, Je désire que tu considères comme absolues et impératives les instructions contenues dans cette lettre ; elles ne devront subir aucune modification d’aucune sorte. Elles s’appliquent au cas où il m’arriverait à partir de maintenant quoi que ce soit, une chose à laquelle ni toi ni personne ne s’attendrait. Si j’étais soudainement et mystérieusement atteint — soit par la maladie, soit par un accident, ou par une agression — tu devrais suivre à la lettre ces instructions. Si je ne suis pas dans ma chambre au moment où tu constateras l’état dans lequel je me trouve, il faudra m’y transporter aussi vite que possible. Même si je suis mort, cela est vrai de mon corps. À partir de ce moment, et jusqu’au moment où je serai conscient et en mesure de donner des instructions à mon propre compte, ou enterré, on ne devra pas me laisser seul un instant. Deux personnes au moins devront rester dans la chambre depuis la chute du jour jusqu’au lever du soleil. Il sera bon qu’une infirmière diplômée vienne de temps en temps dans la chambre et note tous les symptômes, permanents ou passagers qui pourraient se manifester en moi. Mes solicitors, Marvin & Jewkes, 27 B Lincoln’s Inn, ont des instructions complètes pour le cas de décès, et Mr Marvin s’est engagé à veiller personnellement à la réalisation de mes désirs. Je dois te conseiller, ma chère fille, du fait que tu n’as aucun parent sur qui te reposer, d’avoir auprès de toi dans la maison un ami en qui tu puisses avoir pleine confiance. Tu devras pouvoir entrer immédiatement en communication avec lui, il pourra participer à la garde de nuit, ou être appelé instantanément. Peu importe le s**e de cet ami, mais il faudra en tout cas qu’un veilleur ou un assistant du s**e opposé soit toujours disponible. Comprends-moi bien : je souhaite essentiellement qu’il y ait toujours une intelligence masculine et une intelligence féminine en éveil et prêtes à s’exercer dans le sens que je désire. Permets-moi d’insister une fois de plus, ma chère Margaret, sur la nécessité d’observer mes instructions et de raisonner avec exactitude sur mes conclusions, si étranges qu’elles puissent paraître. Si je tombe malade ou que je sois blessé, ce ne sera pas une circonstance ordinaire, et je désire te mettre en garde, pour que ta surveillance soit parfaite. Rien de ce qui se trouve dans ma chambre — je parle des objets de collection — ne doit être retiré ou déplacé de quelque façon que ce soit, ou pour quelque cause que ce soit. La place de chaque objet a été déterminée par une raison spéciale et dans un but déterminé ; tout déplacement contrarierait mes plans. Si tu as besoin d’argent ou d’un conseil quelconque, Mr Marvin fera ce que tu désires ; il a reçu dans ce but des instructions complètes de ma part. Abel Trelawny Avant de parler, je lus la lettre une seconde fois, car je craignais de me trahir. Le choix qu’elle avait à faire d’un ami pouvait être pour moi une occasion capitale. J’avais déjà des raisons d’espérer car elle m’avait demandé de l’aider dès le début de ses ennuis, mais l’amour engendre ses propres doutes, et j’avais peur. Mes pensées tourbillonnaient à la vitesse de l’éclair, et en quelques secondes un raisonnement complet apparut dans mon esprit. Je ne pouvais pas de moi-même proposer à Miss Trelawny d’être cet ami que son père lui suggérait d’appeler à l’aide en cas de besoin, et pourtant le regard qu’elle avait eu portait en lui quelque chose que je ne devais pas ignorer. Et puis, n’avait-elle pas fait appel à moi quand elle avait eu besoin d’aide ? Moi, un étranger qu’elle n’avait vu qu’une seule fois pendant une danse et une autre fois, au cours d’un bref après-midi de sortie sur une rivière ? Ne serait-ce pas l’humilier que de l’obliger par deux fois à me demander de vouloir l’aider ? L’humilier ! Non ! Cette peine-là, je pouvais en tout cas la lui épargner ; ce ne serait pas une humiliation pour elle que de refuser. Si bien, qu’en lui rendant la lettre, je lui dis : – Je sais que vous me pardonnerez, Miss Trelawny, si je fais preuve de présomption, mais si vous me permettez de participer à cette surveillance, j’en serai fier. Bien que les circonstances soient tristes, je serai tellement heureux que ce privilège me soit accordé. Malgré l’effort aussi évident que douloureux qu’elle fit pour se contrôler, une rougeur passa sur son visage et son cou. Ses yeux eux-mêmes paraissaient injectés de sang, en net contraste avec la pâleur de ses joues une fois que la rougeur eut refluée. Elle me répondit à voix basse : – Je vous serai très reconnaissante de votre aide ! Puis elle ajouta, comme à la réflexion : – Mais vous ne devez pas me permettre de faire preuve de trop d’égoïsme ! Je sais que vous avez de nombreuses occupations, et bien que j’apprécie considérablement — très considérablement — votre aide, il ne serait pas correct de ma part d’accaparer tout votre temps. – S’il s’agit de cela, répondis-je aussitôt, mon temps vous appartient. Pour aujourd’hui, je peux facilement m’arranger dans mon travail de manière à venir ici dans l’après-midi et rester jusqu’à demain matin. Ensuite, si les circonstances l’exigent toujours, je pourrai m’arranger pour avoir encore plus de temps disponible. Elle était très émue. Je pouvais voir ses yeux se remplir de larmes, elle détourna la tête. Le détective prit la parole : – Je suis heureux de savoir que vous serez ici, Mr Ross. Je serai moi-même dans la maison, avec l’accord de Miss Trelawny, si mes chefs de Scotland Yard m’y autorisent. Cette lettre fait apparaître la situation sous un jour différent ; cependant le mystère est plus grand que jamais. Si vous pouvez attendre ici une heure ou deux, je vais aller au quartier général, et ensuite chez les fabricants de coffres. Puis, je reviendrai, et vous pourrez partir avec l’esprit plus libre, car je serai ici. Quand il fut parti, Miss Trelawny et moi, nous sommes restés silencieux. Elle finit par lever les yeux et par me regarder un moment ; ensuite, je n’aurais pas changé de place avec un roi. Pendant un moment elle s’occupa près du chevet de son père, installé provisoirement. Puis, en me demandant de ne pas le quitter des yeux jusqu’à son retour, elle sortit précipitamment. Elle revint au bout de quelques minutes avec Mrs Grant, deux femmes de chambre et deux domestiques mâles, qui portaient le châssis et la literie d’un lit de fer léger. Ils se mirent à l’installer et à le faire. Quand ce travail fut achevé, et lorsque les domestiques furent partis, elle me dit : – Il sera bon d’être prêts pour le retour du docteur. Il demandera certainement qu’on mette mon père au lit, et un lit convenable sera mieux pour lui que le sofa. Elle prit alors un siège à côté de son père, et s’installa sans le quitter des yeux. Je me mis à parcourir la pièce, notant fidèlement tout ce je voyais. Et il y avait vraiment de quoi éveiller la curiosité de n’importe qui en ce lieu ! Les circonstances présentes semblaient elles-mêmes moins étranges… Hormis ce qu’on était censé trouver dans une chambre bien meublée, toute la pièce regorgeait de magnifiques objets, principalement d’origine égyptienne. Et comme elle était immense, il y avait toute la place voulue pour en exposer un grand nombre, même si leur taille était respectable, ainsi que c’était le cas ici. Pendant que je faisais des recherches dans la chambre, on entendit au-dehors le bruit de roues sur le gravier. On sonna ; quelques minutes après, on frappa à la porte. « Entrez ! » répondit-on, et le Dr Winchester fit son apparition suivi d’une jeune femme habillée en infirmière. – J’ai eu de la chance ! dit-il en entrant. Je l’ai tout de suite trouvée, et elle était libre. Miss Trelawny, je vous présente Nurse Kennedy !
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