CHAPITRE PREMIER : UN APPEL DANS LA NUIT-2

1027 Words
Il y eut un long silence, et je me hasardai à lui prendre la main et à la garder dans la mienne un instant. Sans ajouter un mot, nous avons ouvert la porte et nous avons été retrouver le commissaire dans le vestibule. Il se précipita sur nous en disant : – J’ai tout examiné moi-même, et j’ai envoyé un message à Scotland Yard. Vous voyez, Mr Ross, il m’a paru y avoir tant de choses étranges dans cette affaire que j’ai jugé préférable qu’on nous adjoigne le meilleur homme du Criminal Investigation Department. J’ai donc demandé qu’on nous envoie immédiatement le sergent Daw. Vous vous souvenez de lui, monsieur, vous l’avez connu dans cette affaire d’empoisonnement d’un Américain à Hoxton. – Oh oui, dis-je, je me souviens très bien de lui. Dans cette affaire et dans d’autres, j’ai eu plusieurs fois à me féliciter de son habileté et de sa clairvoyance. Il a un esprit qui fonctionne avec autant de sûreté que tous ceux que je connais. Quand je me suis trouvé sur le banc de la défense avec la conviction que mon client était innocent, j’ai toujours été heureux de l’avoir contre nous ! – Voilà une belle marque d’estime, monsieur ! dit le commissaire, comblé. Je suis heureux que vous approuviez mon choix ; j’ai donc bien fait de l’appeler. – Vous ne pouviez pas trouver mieux, répondis-je avec chaleur. Je ne doute pas que grâce à vous deux nous n’arrivions aux faits — et à ce qui se cache derrière ! Nous sommes alors montés dans la chambre de Mr Trelawny, que nous avons trouvée exactement telle que sa fille me l’avait décrite. On sonna alors à la porte d’entrée et une minute après on fit entrer dans la chambre un jeune homme au nez aquilin, aux yeux gris pénétrants, au front large et carré évoquant un penseur. Il portait un sac noir qu’il ouvrit immédiatement. Miss Trelawny fit les présentations : – Docteur Winchester, Mr Ross, commissaire Dolan. Nous échangeâmes un rapide salut et il se mit aussitôt au travail. Nous attendions tous et nous le regardions faire anxieusement tandis qu’il pansait la blessure. Il se tournait par moment pour attirer l’attention du commissaire sur quelque particularité de la blessure, et ce dernier en prenait aussitôt note dans son carnet. – Regardez ! plusieurs coupures ou égratignures parallèles commençant sur le côté gauche du poignet et dans certains endroits mettant en danger l’artère radiale. « Ces petites blessures que vous voyez ici, profondes et déchiquetées, semblent avoir été faites par un instrument contondant. Celle-ci en particulier semblerait avoir été faite par une sorte de coin coupant ; tout autour les chairs ont l’air d’avoir été arrachées par une pression latérale. Il se tourna ensuite vers Miss Trelawny pour lui dire : – Croyez-vous que nous puissions retirer ce bracelet ? Cela n’est pas absolument nécessaire, car il va tomber plus bas sur le poignet en un endroit où il ne serrera pas, mais cela peut par la suite faire que le patient se sente plus à l’aise. La pauvre fille devint écarlate et répondit à mi-voix : – Je ne sais pas… je… je ne suis venue vivre avec mon père que récemment, et je sais si peu de chose de sa vie ou de ses idées que je crains de n’être pas bon juge en la matière. Après lui avoir lancé un regard pénétrant, le médecin dit avec beaucoup de douceur : – Excusez-moi. J’ignorais. Mais en tout cas vous n’avez pas à vous inquiéter. Il n’est pas nécessaire de le retirer pour le moment. Si cela l’était, je l’aurais fait aussitôt en prenant la chose sous ma responsabilité. Si cela devient nécessaire par la suite, nous pouvons facilement le retirer avec une lime. Votre père a sans doute une raison de le garder ainsi. Regardez ! une clef minuscule y est attachée… Il s’arrêta de parler, se pencha, me prit la bougie que je tenais à la main et la baissa de telle sorte qu’elle éclaire le bracelet. Il me fit signe ensuite de tenir la bougie dans la même position, sortit une loupe de sa poche. Quand il eut procédé à un examen minutieux, il se releva et tendit la loupe à Dolan en lui disant : – Il serait préférable que vous l’examiniez vous-même. Ce n’est pas un bracelet ordinaire. L’or est travaillé sur des maillons triples en acier. Regardez les endroits où il est arraché. Ce bracelet n’est pas destiné à être ôté à la légère, et il faudrait plus qu’une lime ordinaire pour y parvenir. Le commissaire plia son grand corps, mais comme il n’arrivait pas assez près, il s’agenouilla à côté du sofa comme avait fait le docteur. Il examina minutieusement le bracelet, en le faisant tourner lentement pour ne laisser passer aucun détail. Puis il se leva et me tendit la loupe : – Quand vous aurez regardé vous-même, dit-il, que la dame regarde elle aussi, si elle le désire. Et il se mit à écrire longuement dans son carnet. Je n’apportai qu’un léger changement à sa suggestion. Je tendis la loupe à Miss Trelawny en disant : – Ne serait-il pas mieux que vous regardiez la première ? Elle recula, leva légèrement la main pour décliner ma proposition, et dit en même temps avec élan : – Oh non ! Mon père me l’aurait montré sans aucun doute s’il avait désiré que je le voie. Je n’aimerais pas le regarder sans son consentement. Et elle ajouta, craignant sans aucun doute que cette délicatesse de sa part ne prenne un caractère offensant pour les autres personnes présentes : – C’est naturellement très bien que vous l’ayez vu. Vous devez tout examiner et étudier, et en vérité… en vérité je vous suis reconnaissante… Elle se détourna. Je pus voir qu’elle pleurait doucement. Il était évident à mes yeux que même au milieu de ses ennuis et de son anxiété, elle éprouvait du chagrin de ne pas en savoir davantage sur le compte de son père, et que cette ignorance apparaisse en un pareil moment et devant tant d’étrangers. Le fait qu’il n’y eût que des hommes n’atténuait pas sa honte, mais lui apportait cependant un certain soulagement. En essayant d’interpréter ses sentiments, je pouvais seulement penser qu’elle devait être heureuse de ne pas être vue en ce moment par des yeux de femmes qui comprennent les choses mieux que les hommes. Lorsque je me relevai, après avoir procédé à mon examen, conforme à celui du docteur, celui-ci reprit sa place à côté du divan et poursuivit ses opérations. Le commissaire Dolan me dit à voix basse : – Je crois que nous sommes bien tombés avec notre docteur ! J’acquiesçai et j’étais sur le point d’ajouter quelques mots d’appréciation pour sa clairvoyance quand on frappa discrètement. 1. En français dans le texte. (N.d.T.)
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