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PENNY
Je n’aurais jamais imaginé que la country pouvait être aussi fun. Impossible de retenir le sourire sur mon visage ou le fait que je me sente… bien. Je comprenais mieux pourquoi les gens me disaient de me défouler et de m’amuser. J’avais manqué d’amusement ces derniers mois passés la tête dans le guidon à faire des recherches pour ma thèse et écrire l’introduction de mon mémoire. Oh, cela en valait le prix ; on m’avait fait une offre pour travailler au sein d’un groupe pétrolier. D’autres petites sociétés m’avaient également contactée mais la multinationale était aussi sérieuse qu’intéressée. Pourtant, le travail fourni et ces propositions ennuyeuses—quoique bien payées—confirmaient ce que je savais déjà. Je ne voulais pas travailler dans le pétrole ou le gaz. Ce n’était pas ma voie.
On ne m’avait jamais laissé l’occasion de m’amuser. Mes parents—ma mère et l’homme que croyais être mon père—tomberaient à la renverse s’ils me voyaient dans un bar country. Je ris en bougeant mes pieds au rythme de la chanson, apprenant les pas en suivant la rangée de devant. Je tâtonnais, mais je m’en moquais. Personne ne faisait attention à mes erreurs, ne les relevait ou les pointait pour me faire honte. Personne ne savait qui j’étais. Et plus important, personne ne savait qui étaient mes parents. Dieu merci.
Tout le monde tapait des pieds et des mains, se balançait et tournait en rond. La foule donnait un côté vaporeux à l’air déjà enfumé. Shamus croisa mon regard quand je tournai sur moi-même et me fit un clin d’œil accompagné d’un petit sourire. Je ne pus m’empêcher de lui sourire en retour et de lui faire un signe de la main, quitte à manquer le prochain pas. A la fin de la chanson, tout le monde cria et applaudit, certains sifflèrent entre leurs doigts de cette manière assourdissante qu’avait la gouvernante pour appeler les chiens. Je n’avais jamais appris à siffler ainsi, et ma mère trouvait cela grossier et expliquait que c’était pour cette raison que Mme Beauford ne dépasserait jamais sa condition.
Oh mon dieu, ma mère.
Pourquoi pensais-je à elle, à ma famille, tout…le…temps ? Je n’étais ni à l’école, ni en voyage scientifique en Islande. J’étais dans le Montana, hors de leurs griffes oppressantes, au grand dam de ma mère. Impossible qu’ils viennent jusque-là, même pour me tirer hors du bar.
Non. J’étais protégée d’eux, ici. Protégée n’était pas exactement le mot. Ils n’étaient pas dangereux. Ils ne me feraient jamais de mal physiquement. Emotionnellement ? Ouais, ils avaient d’ailleurs laissé des traces. Ce que je risquais à rester avec les Vandervelks, c’était de me perdre moi-même. Et Aiden Steele, paix à son âme, m’avait sauvée. J’aurais souhaité qu’il soit encore en vie pour que je puisse le remercier, le prendre dans mes bras et l’embrasser dans une grande démonstration publique d’affection. Je savais désormais pourquoi je ne trouverais jamais ma place dans ma famille. Je tenais de mon père, un père dont j’ignorais l’existence jusqu’à il y a deux semaines. Cela expliquait tant de choses, peut-être même pourquoi j’aimais danser. Comme lui ? S’il avait arpenté le pays en laissant derrière lui cinq filles illégitimes, il avait bien dû s’essayer à la country.
Je me demandais juste comment un type comme lui avait pu se retrouver dans le lit de ma mère pour une nuit. J’essuyai la sueur de mon sourcil et léchai mes lèvres sèches en retournant auprès des autres, essayant de chasser l’image de ma mère au lit avec qui que ce soit.
« Tu t’amuses ? » demanda Patrick. Il se tenait près d’une table haute, ses avant-bras posés dessus en attendant ma réponse.
« Absolument. » Je tirai sur ma chemise pour essayer de me rafraîchir un peu. Le bar était plein à craquer et danser m’avait donné chaud. « Tu vas la revoir ? »
Il sourit, et même dans la lumière tamisée, je vis qu’il avait rougi. Juste après notre arrivée, il avait repéré une femme pour qui il en pinçait—ses propres mots, pas les miens—et il l’avait abordée.
« Demain soir. Tu veux une bière ? »
J’acquiesçai et il me versa un verre depuis un pichet en plastique posé au centre de la table tout en me parlant d’elle. Elle lui plaisait vraiment. Patrick, Shamus et les autres types du ranch étaient vraiment gentils. Et ils n’étaient pas mal non plus. Tous les habitants du ranch Steele étaient beaux. Il devait y avoir quelque chose dans l’eau. Ou peut-être était-ce la dure vie au ranch qui leur tannait la peau et leur donnait des muscles saillants. Mais aucun d’entre eux n’occupait mes pensées. Pas plus que leur physique avantageux. Ils étaient très bien et tout ça, mais c’étaient plutôt des frères que des types avec lesquels je sortirais… ou coucherais. C’était Jamison et Boone qui me faisaient fondre.
Oui, Jamison et Boone.
C’est à mon retour d’Islande que j’avais trouvé la lettre de Riley Townsend, l’avocat du domaine, dans laquelle il m’annonçait la nouvelle de l’héritage. La missive s’était trouvée au milieu d’une énorme pile de courrier qui m’attendait au bureau de poste. Depuis des mois. C’est à Riley que j’avais fait part de mon intention de venir dans le Montana, mais sans donner de dates précises. J’avais traversé le pays toute seule depuis la Caroline du Nord, et à l’époque je ne savais pas combien de temps cela prendrait. Quand j’étais enfin arrivée devant le bâtiment principal du ranch, j’avais été accueillie par tout un groupe d’hommes. Ils avaient dû m’entendre arriver ou voir le nuage de poussière laissé par ma voiture sur le long chemin de terre. Pour une raison que j’ignore, ma première pensée fut qu’ils étaient en pleine séance photo pour un calendrier de cowboys parce qu’ils étaient tous canons, habillés en jeans, chemises à boutons et Stetsons.
Mais deux d’entre eux avaient particulièrement attiré mon attention. Jamison et Boone. Oui, ils étaient plus que canons, et à leur façon de me regarder de leurs yeux d’acier, c’était comme s’ils pouvaient sentir à quel point j’étais nerveuse, épuisée, excitée et pleine d’espoir. Comme s’ils pouvaient me voir pour ce que j’étais.
Les autres ressemblaient à des petits toutous impatients comparés à eux. Jamison était le contremaître du ranch Steele, le responsable. Boone avait dit qu’il n’habitait pas au ranch comme les autres, il était passé prendre des nouvelles d’un des employés qui se remettait d’une commotion cérébrale.
Je me sentais toute petite à leurs côtés. J’étais effectivement petite et presque toute personne âgée de douze ans était plus grande que moi et Jamison devait bien faire trente centimètres de plus que moi et Boone encore un peu plus. J’aurais dû me sentir nerveuse ils pouvaient facilement me maîtriser et me faire du mal. Je ne le ressentais pas ainsi. Non, je me sentais… protégée. Et un peu stupéfaite parce qu’ils m’excitaient. Beaucoup. Je m’étais sentie palpiter en leur serrant la main, comme s’ils m’examinaient de près. J’avais mouillé ma petite culotte le temps des présentations, la manière dont leurs regards avaient balayé chaque partie de mon corps. Et je n’avais pensé qu’à ça depuis. Deux cowboys plus âgés et expérimentés qui, à n’en pas douter savaient exactement comment se servir de leurs mains… et de toutes les autres grosses parties de leur anatomie.
« Je suis désolé que Kady ait manqué ça, » dit Shamus, en parlant fort pour se faire entendre par-dessus la musique. Il était étudiant en deuxième année à l’université locale où il étudiait la science animale et il y retournerait dans quelques semaines pour entamer sa licence. « Cord et Riley l’ont ramenée à Philadelphie. Une espèce de fête d’adieu. Je sais qu’elle a hâte de te rencontrer. »
Je pris une gorgée de bière fraîche, en essayant d’imaginer Kady. Je ne savais presque rien sur elle, juste qu’elle était institutrice et engagée dans une très sérieuse relation avec l’avocat, Riley, et un autre homme. Un ménage à trois. J’aurais dû être surprise et je l’étais peut-être mais seulement parce que j’en pinçais aussi pour deux cowboys. Je ne les avais côtoyés que dix minutes au total, mais pourtant j’étais… attirée par Jamison et Boone. Dingue ? Oui.
Je voulais les revoir, pour vérifier si tout ceci n’était qu’une impression, ou plus. Jamison n’avait pas l’air de traîner avec les autres gars—vu qu’il n’était pas là—peut-être parce qu’il était plus âgé, ou juste qu’il n’aimait pas danser. Je supposais qu’il était plus proche de la quarantaine que de la trentaine. Comme Boone. Ça ne me dérangeait pas qu’ils soient tellement plus âgés. Rien de ce que j’avais vu ou entendu ne me posait le moindre problème.
Quant à Kady, si elle pouvait avoir une relation épanouissante avec deux types sans que personne n’y trouve rien à redire, peut-être que moi je le pourrais aussi. Mon dieu, je parlais de relation et je n’avais même pas eu le début d’une discussion avec Jamison ou Boone. J’étais ridicule. Le fait que je ne les ai pas revus depuis mon arrivée ne faisait que prouver qu’ils ne pensaient même pas à moi. Ils avaient joué les gentlemen en m’accueillant. Rien de plus.
Je pris une grosse gorgée de bière.
« Pas de souci. Elle sera vite rentrée et ce n’est pas comme si j’allais m’en aller. »
Ce n’était pas mon intention. J’avais pour projet de rester à Barlow. Il fallait juste que je gère ma mère. Chaque chose en son temps. Pour l’instant, je m’amusais bien. Et ce n’est pas le Montana qui allait me contredire.
« Tu as des frères et sœurs ? demanda-t-il entre deux chansons.
— A part Kady, on m’a dit que j’avais trois autres demi-sœurs que je n’ai jamais rencontrées. Sinon, j’ai deux beaux-frères et une belle-sœur. Tous plus âgés. » Il s’agissait des enfants du précédent mariage de mon père—non, mon beau-père—et nous n’étions pas proches, pas le moins du monde. Après tout, nous n’étions pas unis par les liens du sang. Comme nous étions demi-sœurs, j’espérais que Kady et moi pourrions au moins bien nous entendre.
« C’est sympa de m’avoir proposé de venir avec vous, dis-je pour changer de sujet. Je me rends compte que j’adore la danse country. »
Quand je leur avais demandé quelle tenue porter pour ce genre d’activité, ils s’étaient tous regardés les uns les autres dans leurs jeans et t-shirts, avant de me parler de la boutique de vêtements en ville. Betty, la propriétaire avait été d’une grande aide pour trouver les habits appropriés, y compris les bottes de cowboy et la jolie jupe en jean.
« C’est la première fois pour toi ? » demanda Patrick, en s’installant sur un des tabourets et remplissant son verre.
Je hochai la tête. « Oui. Ce n’est pas une activité en vogue à la fac et le reste du temps, j’étais en Islande. » Comme si c’était une raison. J’avais fréquenté la même association étudiante que ma mère et la danse country ne collait pas avec ce public. Elle n’aurait pas non plus aimé l’Islande—trop sauvage—mais c’était là que je devais aller faire des recherches pour mon Master alors c’était acceptable. J’imaginai ma mère dans un bar country et l’image me fit sourire. Ensuite, celle de ma mère invitant Aiden Steele dans son lit resurgit. Gah ! Je descendis mon verre et replaçai une mèche de cheveux derrière mon oreille. « Je fais vais un tour aux toilettes. A tout de suite. »
Ils hochèrent la tête quand je les abandonnai, me frayant un chemin à travers la foule dense vers l’arrière du bar. Je passerais au magasin remercier Betty. Je me fondais parfaitement dans la masse et les bottes étaient chouettes, si éloignées de mon style habituel. Non, en fait, elles étaient le symbole de mon renouveau.
Un type s’avança vers moi et me prit par la taille. « Salut toi, » dit-il. Il avait autour de vingt-cinq ans, grand. Mais son sourire n’avait rien de charmant et son étreinte était dure. Je donnai un coup de rein pour me dégager mais il serra plus fort.
« Salut, dis-je sans le regarder. J’allais aux toilettes. »
Je fis un pas sur le côté pour essayer de le contourner. Il étendit le bras et posa sa main contre le mur pour m’empêcher de passer.
« Je t’ai vue danser. J’aime tes mouvements. » Son souffle chaud arrivant sur mon cou me hérissa.
« Merci. Maintenant, tu vois, je vais pisser. » Je me baissai rapidement pour passer sous son bras—un avantage d’être petite—et filai vers les toilettes, soulagée. Je restai plus longtemps que nécessaire, pas fâchée qu’il y ait la queue pour une fois, en espérant qu’il lâche l’affaire ou trouve quelqu’un qui serait vraiment intéressé. Ce n’était certainement pas mon cas.
Mais en sortant, il était toujours là, adossé au mur, les bras croisés. « Tu en a mis du temps ! »
Je fronçai les sourcils, en remontant le couloir et fis le choix de l’ignorer mais il m’emboîta le pas. « Attends bébé.
—Je ne m’appelle pas bébé. » Je tournai à gauche. Il se plaça devant moi.
« C’est quoi alors ton petit nom ? ‘faut que je le sache pour le crier quand je te baiserai. »
Berk.
« Même pas en rêve. » Je secouai la tête en obliquant à gauche, puis à droite dans l’espoir de le contourner. Ce n’était pas le premier c*****d que j’avais eu à gérer mais celui-ci était particulièrement collant. Quand il me rentra dedans pour me plaquer contre le mur de toute la rigidité de son corps, je commençai à paniquer. Il sentait la bière rance et la transpiration.
Et quand sa grosse patte se posa sur l’arrière de ma cuisse, je commençai à me débattre. Ce n’était qu’une question de temps avant qu’il ne remonte vers le haut.
« Lâche-moi. » Mes mains se posèrent sur son torse pour le repousser, mais il était trop grand. Trop fort.
« Pas avant d’avoir un petit aperçu. »