Dans le présent :
— Alors, on sera de corvée de baby-sitting pendant combien de temps selon toi ? demanda Calo en faisant rouler ses épaules pour en apaiser la tension et la douleur causées par le fait d’être en présence de Carmen Walker toute la journée. Rappelle-moi de me porter volontaire pour le service de nuit la prochaine fois.
Cree sourit face à l’expression de souffrance sur le visage de son jumeau.
— Qu’est-ce qu’elle t’a fait aujourd’hui ?
— En plus de me mettre une raclée ? dit Calo avec un rire contrit. Elle m’a demandé de lui montrer différents mouvements. Dame Carmen apprend vite.
— Je sais, répondit Cree en levant son couteau. J’ai mis une semaine à le récupérer. Tu lui as montré des mouvements qu’on utilise. Tiens-toi-en à ceux que les autres utilisent la prochaine fois.
Carmen Walker était une énigme pour les deux hommes. Creon Reykill, le plus jeune des cinq princes valdiers les avait assignés à sa garde personnelle. Ils s’étaient d’abord sentis légèrement insultés, en particulier lors de leur première rencontre avec elle. Bien sûr, ils auraient dû considérer comme un honneur qu’on leur demande de faire quelque chose d’aussi important que protéger l’âme sœur du prince valdier, ils s’attendaient simplement à ce qu’elle soit… plus grande… d’allure moins fragile.
Cree secoua la tête au souvenir de leur première rencontre. Calo et lui l’avaient tous les deux provoquée. Ils auraient dû tenir compte des avertissements de Creon, ou au moins les prendre plus au sérieux. Il toucha du bout des doigts les mèches de cheveux légèrement plus courtes sur le côté de sa tête.
Calo avait la même mèche raccourcie sur le côté. Carmen avait pris le couteau à sa taille et leur avait mis une raclée à tous les deux. Pour couronner le tout, Ha’ven Ha’darra s’était joint à eux. Calo et lui avaient fini avec le prince curizan en travers du torse, ce qui les mit une nouvelle fois au tapis avant que Carmen ne vienne s’asseoir sur eux trois et ne prenne une mèche de leurs cheveux en signe de victoire. Bien évidemment, le fait qu’elle soit sous sa forme de dragon avait aidé.
Depuis ce jour, le respect que Calo et lui portaient à la femelle humaine ne cessait de croître. Son intelligence, son habileté et une tristesse troublante tiraillaient leur besoin de la protéger. Le seul problème était que cela faisait aussi ressortir le vide grandissant que ressentaient leurs dragons.
— C’est une femelle incroyable, murmura Cree en faisant glisser son pouce sur les dragons sculptés sur le manche de son couteau. J’aimerais…
Calo soupira et posa une main sur l’épaule de son jumeau.
— Je sais. On en a déjà parlé, dit-il doucement. Moi aussi, je sens les ténèbres. Mon dragon devient de plus en plus difficile à contrôler. Il désire ardemment une compagne et refuse de se satisfaire des femelles que j’utilise pour essayer de calmer l’agitation qui me ronge.
— Pareil pour le mien, reconnut Cree. Ça empire, Calo. Je ne sais pas encore combien de temps je vais pouvoir le contrôler. Je…
Il détourna le regard de son jumeau, honteux d’admettre ce qu’il avait failli faire.
— Ça a failli m’arriver aussi, dit Calo. Je ne suis pas passé loin non plus de me battre avec Creon pour Carmen. Chaque jour devient plus difficile. Mon dragon sait qu’elle n’est pas notre âme sœur, mais il en est arrivé à un stade où il ne s’en soucie même plus. Il est attiré par sa férocité, par l’impression de fragilité qui lui colle à la peau même si elle s’efforce de la cacher.
— On devrait peut-être le dire à Creon, au cas où, suggéra Cree avant de se passer les mains dans les cheveux et de gémir quand un éclair de douleur le traversa. Par la déesse, mon dragon me déchire les entrailles. Il a besoin d’une compagne, Calo.
Calo ferma les yeux alors que son propre dragon lui grognait dessus et le lacérait également. Un frisson le parcourut quand il s’imagina prendre Carmen. En tant qu’homme, il appréciait Carmen, mais il n’était pas attiré par elle sexuellement.
Veux une compagne, grogna son dragon en poussant contre lui. Besoin compagne. Prends femelle.
Elle ne nous appartient pas, nous ne sommes pas en droit de la prendre, répondit sèchement Calo, repoussant la créature agitée enfouie en lui.
Il rouvrit les yeux quand il sentit la chaleur apaisante de son symbiote qui se pressait contre lui. Il ne l’avait même pas entendu entrer dans leurs quartiers. Il devait avoir senti sa détresse. Il laissa tomber ses doigts sur la créature lisse et dorée. Un sourire tendu se dessina sur ses lèvres lorsqu’il réalisa qu’il avait pris une forme très similaire à celle du symbiote de Creon qui restait aux côtés de Carmen.
— Comment est-ce qu’elle appelle cette forme, déjà ? demanda Calo en regardant le symbiote de Cree qui avait pris une forme identique.
— Un chien, répondit Cree d’une voix bourrue. Quand cette mission est terminée, j’arrête, Calo. Je… Ça va devenir trop dangereux. Je suis désolé, mon frère. J’ai atteint la limite.
Calo ne protesta pas. Il s’était décidé la veille et essayait seulement de trouver le meilleur moyen de le dire à son frère. Une vague de soulagement et de tristesse l’envahit.
— Je veux voir mère et père une dernière fois, dit-il d’une voix dénuée d’émotion. J’ai promis à mère.
— Tout comme j’ai promis à père, répondit Cree avant de tendre la main. Ensemble.
— Pour toujours, murmura Calo, saisissant la main de son frère et l’attirant vers lui. Nous irons ensemble, mon frère.
La gorge de Cree se serra et il hocha la tête, enlaçant Calo avant de reculer.
— Repose-toi. J’ai parlé à Creon un peu plus tôt. Nous serons à la zone minière antrox à la périphérie du système stellaire de Cardovus dans quelques heures. Il veut qu’on reste tous les deux aux côtés de Carmen pendant qu’il fouille l’astéroïde avec l’aide d’une équipe.
— Ce serait peut-être mieux que nous y allions, suggéra Calo d’une voix fatiguée. Nous pourrions…
— Non, je l’ai déjà suggéré, l’interrompit Cree. Creon a insisté pour qu’on reste avec Carmen. Il dit qu’il ne fait confiance à personne d’autre.
Calo laissa échapper un petit rire amer.
— S’il savait, marmonna-t-il avant de retirer sa chemise et de se diriger vers l’unité de purification. Je serai prêt.
Cree vit son frère claquer sa main sur le panneau d’accès de la porte de l’unité de purification. Le fait que Calo admette perdre le contrôle de son dragon était alarmant. Son frère avait toujours été le plus facile à vivre des deux.
Il toucha le couteau à sa taille. Quand le moment serait venu, il trancherait la gorge de Calo avant qu’il ne comprenne ce qui se passait. Il savait que son jumeau pensait pouvoir s’en tenir à leur accord, mais il pouvait également sentir sa réticence.
Repoussant ces sombres pensées dans un coin de son esprit, il appuya sur le bouton du module de communication qui le reliait à Carmen. Il soupira lorsqu’il lui montra qu’elle se trouvait dans leurs quartiers à Creon et elle. Il espérait qu’elle y resterait pour le reste de la soirée. Il ne tenait plus qu’à peine et avait besoin de faire de l’exercice. Il pourrait peut-être persuader Ha’ven de participer à un match dans la salle d’entraînement.