— Mademoiselle Bryant ?
Encore cette voix.
— Oui.
Résignée, je me tourne et vois un groupe de sept femmes qui me dévisagent avec une curiosité évidente. Elles portent toutes un uniforme gris foncé avec un étrange logo bordeaux sur le sein gauche. J’ai souvent vu ce symbole durant les deux mois écoulés, c’est l’insigne de la Coalition Interstellaire. Elles travaillent toutes au Centre de Traitement des Épouses Interstellaires. Ce sont les Gardiennes, comme si la Coalition était une prison. Les femmes sont noires, blanches, asiatiques, hispaniques. Elles représentent toutes les races de la Terre. Super. Celle qui m’adresse la parole a la peau diaphane, une brune aux yeux gris sympathiques. Je connais son nom, mais ça, elle l’ignore. Je sais beaucoup de choses que je ne suis pas censée savoir. Je me lèche les lèvres et déglutis.
— Je suis réveillée.
Ma voix est éraillée, on dirait que j’ai pleuré. Oh mon Dieu. J’ai vraiment pleuré en jouissant ? J’ai supplié et gémi devant ces femmes, témoins de la scène ?
— Parfait.
La Gardienne doit avoir la petite trentaine, elle est plus jeune que moi d’un ou deux ans.
— Je suis la Gardienne Egara, reprend-elle, je suis chargée du Projet des Épouses Interstellaires ici sur Terre. Les données indiquent qu’une compatibilité parfaite a été trouvée pour vous, mais comme vous êtes la première épouse volontaire entrant dans le cadre des protocoles de recrutement des Épouses Interstellaires, nous allons devoir vous poser des questions complémentaires.
— D’accord.
J’inspire profondément et me décontracte. Le désir s’émousse peu à peu, la sueur sèche sur ma peau. L’air conditionné qui tourne à plein régime pour dissiper la fournaise de Miami au mois d’août me donne la chair de poule. Le fauteuil rigide est collant et la blouse irrite ma peau sensible. Je pose la tête sur mon fauteuil et j’attends.
D’après les extraterrestres qui ont promis de « protéger » la Terre d’une menace présumée portant le nom de la Ruche, ces femmes humaines debout devant moi ont naguère été accouplées à des guerriers extraterrestres, et ce sont désormais des veuves qui se sont portées volontaires pour servir la Coalition, ici sur Terre.
Oh, les forces de la Coalition comptent plus de deux cent soixante races d’extraterrestres, mais une petite partie seulement est compatible pour se reproduire avec des humains. C’est bizarre. Comment pouvaient-ils le savoir, si aucun être humain n’était jamais allé dans l’espace ?
Les vaisseaux de la Coalition sont apparus il y a quelques mois de cela, le mercredi 4 juin à 18 h 53. Oui, je me rappelle parfaitement l’heure, comme si j’allais oublier le moment où j’ai découvert qu’il y avait vraiment des « autres », dans l’espace. Je courais sur un tapis roulant à la salle de sports, et j’en étais à la vingt-troisième minute de mon entraînement, qui en dure quatre-vingt-dix, quand les écrans de télévision placés le long du mur sont devenus fous. Toutes les chaînes montraient des vaisseaux extraterrestres en train d’atterrir dans le monde entier, des putains d’aliens hyper grands mesurant deux mètres dix, des guerriers extraterrestres jaunes avec des armures noires de type camouflage, qui descendaient de leurs petites navettes comme si on leur appartenait déjà.
Bref. Ils parlaient notre langue et avaient décrété avoir gagné une bataille dans notre système solaire. Face à l’équipe de télévision, ils exigeaient de rencontrer les dirigeants les plus influents de la scène mondiale. Quelques jours plus tard, lors d’une rencontre à Paris, les extraterrestres avaient refusé de reconnaître la souveraineté des pays présents et avaient exigé que la Terre désigne un leader suprême, un « Prime », selon leurs propres termes. Un représentant pour le monde entier. Nos pays ne les intéressaient pas. Nos lois ? Idem. Nous faisions désormais partie de la Coalition, nous obéissions à leurs propres lois.
Cette rencontre a été retransmise en direct dans le monde entier, dans toutes les langues, non pas par nos relais télévisés sur Terre, mais par leur propre réseau satellite. Des dirigeants furieux et terrifiés en direct sur les chaînes de télévision internationale dans tous les pays ?
Franchement, la rencontre ne s’était pas déroulée au mieux.
Mon sang n’avait fait qu’un tour. Des émeutes avaient éclaté. Les gens avaient peur. Le Président avait convoqué la Garde nationale, et toutes les forces de police et les casernes du pays avaient œuvré sans relâche pendant deux semaines. C’était le laps de temps qu’il avait fallu aux citoyens pour comprendre que les extraterrestres n’avaient pas l’intention de nous exterminer et de s’emparer de ce qu’ils voulaient.
Mais ensuite... ça. Les épouses. Les soldats. Ils disaient ne pas vouloir de notre planète, prétendaient vouloir nous protéger, mais ils souhaitaient enrôler nos soldats pour combattre dans leur propre guerre, ainsi que des femmes humaines pour qu’elles se reproduisent avec leurs guerriers. Et j’étais la tarée qui s’était portée volontaire pour être le premier sacrifice humain.
Du sexe avec des extraterrestres géants et tout jaunes ? Car c’était ça que faisaient les épouses, elles avaient des rapports sexuels avec leur partenaire. Ouais, ils appellent pas ça un mari, mais un partenaire. Attention, j’arrive !
Ouais, moi.
Cette pensée cynique me fait frissonner, et je secoue la tête pour l’en chasser. Je suis en mission, une tâche délicate. L’idée de b****r avec l’un de ces guerriers gigantesques, au torse massif, à la peau dorée et à l’air dominateur ne devrait théoriquement pas m’exciter. Je ne sais pas sur qui je vais tomber, mais d’après les reportages TV, ils sont géants de partout. Et tous dominateurs.
Mais ça m’excite, et je compte bien retirer du plaisir de cette mission. Sinon, ce serait un cauchemar. Ce ne serait pas mal si je pouvais m’empaler sur leurs énormes sexes et avoir un o*****e de folie, non ? C’est l’un des avantages du métier. Je dois tirer un trait sur ma vie, ma maison, ma p****n de planète pour les années à venir. J’ai bien droit à quelques orgasmes pour compenser, non ?
Je sers mon pays depuis des années. J’ai confiance en mes capacités à gérer n’importe quelle situation, je m’adapte à tout. Je suis une survivante et qui plus est, je ne crois pas du tout ce qu’ils racontent. Mes supérieurs non plus. Quelles sont les preuves ? Où se cachent ces horribles créatures de la Ruche ?
Les commandants de la Coalition ont montré à nos dirigeants des vidéos que n’importe quel lycéen équipé d’un bon logiciel aurait été capable de créer. Personne sur Terre n’avait jamais vu de soldat de la Ruche en chair et en os, et la Coalition refusait de nous donner les armes et la technologie nécessaires pour nous défendre nous-mêmes contre cette menace mortelle.
Moi ? Je suis d’un naturel sceptique et extrêmement pragmatique. Si je peux faire quelque chose pour protéger mon pays, je le ferai. Le terrorisme, le réchauffement climatique, les trafiquants d’armes, le trafic de drogue, les hackers d’envergure internationale qui prennent le contrôle de notre énergie et de nos systèmes bancaires. Et maintenant ? Des extraterrestres. J’ai visionné des heures de vidéos et d’interviews avec leurs immenses commandants dorés venus d’une planète appelée Prillon Prime, mais je n’arrive toujours pas à m’y faire. Deux mètres dix de sexe à l’état pur.
Donc… une seule. Je ne connais qu’une seule race d’extraterrestres, sur les centaines supposées exister. Même les employée de leur centre de traitement, leurs Gardiennes, sont des humaines ayant vraisemblablement subi un lavage de cerveau. Pour un premier contact, les guerriers Prillon ne se sont pas montrés très convaincants. Leur stratégie de propagande aurait pu s’avérer plus efficace. Soit ça, soit ils n’en ont rien à foutre de ce que l’on pense parce qu’ils nous disent la vérité, et qu’une sale race d’extraterrestres très agressifs descendant en droite ligne des Borg de Star Trek menace effectivement d’éradiquer toute trace de vie sur Terre.
Je penche plutôt pour la théorie numéro un, mais la théorie numéro deux n’est pas à exclure. La Terre ne se soumettra pas.
Mon boulot ? Découvrir la vérité. Et le seul moyen de le faire, c’est d’aller dans l’espace. Ils ne réquisitionnent pas encore les soldats, j’ai de la chance, je fais partie de l’autre catégorie. Le Programme des Épouses Interstellaires.
Je n’avais pas vraiment imaginé ma journée ainsi. Non, je voulais la sempiternelle robe blanche atrocement chère, des fleurs, de la musique mièvre à la harpe et tout un tas de membres de ma famille à l’église, que j’allais devoir nourrir et qui me coûteraient un bras, bien que je ne les aie pas vus depuis dix ans. En parlant de mariage, comment diable les femmes qui se tiennent devant moi ont-elles pu être accouplées avec des extraterrestres, alors qu’on ignorait, il y a encore quelques mois de cela, l’existence même des extraterrestres ?
— Comment vous sentez-vous ? me demande la Gardienne Egara, et je réalise que j’étais perdue dans mes pensées pendant quelques minutes.
— Comment je me sens ? répété-je.
Vraiment ? Mon corps a mis un moment à récupérer. Ma chatte est trempée et cette blouse qui me démange est toute mouillée. Mon c******s palpite au rythme de mon cœur, et je viens d’avoir les deux orgasmes les plus incroyables de toute ma vie. Sympa, le boulot d’espionne.
— Comme vous le savez, vous êtes la première femme humaine volontaire participant au Programme des Épouses Interstellaires. Nous sommes curieuses de savoir comment vous avez vécu cette expérience.
— Je suis votre cobaye ?
Elles sourient toutes, mais on dirait que seule la Gardienne Egara a droit à la parole.
— Dans une certaine mesure, oui. S’il vous plaît, dites-nous comment vous vous sentez après le test.
— Bien.
Elles ont toutes un air sérieux au visage. La brune qui m’a réveillée de mon rêve, la Gardienne Egara, s’éclaircit la gorge.
— Pendant la, hum, simulation...
Ah, c’est comme ça qu’ils l’appellent.
— … vous avez assisté au rêve en tant que tierce personne ? Ou vous avez eu l’impression que c’était réel ?
Je soupire. Comment aurais-je pu faire autrement ? J’ai l’impression d’avoir baisé comme un bonobo avec deux immenses guerriers… et j’ai adoré.
— J’étais là. C’était réel.
— Vous aviez l’impression d’être son épouse ? Votre partenaire vous voyait comme étant sa propriété ?
Sa propriété ? C’était bien plus que lui appartenir. C’était… ouah.
— Partenaires au pluriel. Eh oui.
Merde. Le rouge me monte aux joues. Au pluriel ? Pourquoi avoir avoué ?
Les épaules de la Gardienne Egara se relâchent.
— Deux partenaires ? Vraiment ?
— Je viens de vous le dire.
Elle applaudit. Je me tourne et vois qu’elle est soulagée.
— Excellent ! Vous êtes compatible avec Prillon Prime, alors tout semble marcher à la perfection.
Un grand guerrier doré rien que pour moi, comme ceux qu’on voit à la télé ? Je valide. Heureusement que je n’ai pas été accouplée à des guerriers d’autres races. D’ailleurs, je me demande si elles existent vraiment.
La Gardienne s’adresse à l’une des autres femmes :
— Gardienne Gomes, pouvez-vous informer la Coalition que le protocole a été validé dans la population humaine et semble fonctionner parfaitement ? Nous serons en mesure d’enrôler des épouses volontaires dans nos sept centres d’ici quelques semaines.
— Bien sûr, Gardienne Egara. Avec plaisir, répond la Gardienne Gomes avec un fort accent portugais. J’ai hâte de retourner voir ma famille à Rio.
La Gardienne Egara pousse un soupir de soulagement. Elle prend une tablette posée sur la table à l’autre bout de la pièce et revient vers moi.
— Très bien. Étant donné que vous êtes la première femme participant au Programme des Épouses Interstellaires, j’espère que vous ferez preuve de patience durant l’élaboration des protocoles.
Elle sourit, elle est rayonnante, m’envoyer loin de la planète pour épouser un extraterrestre inconnu la galvanise. Toutes ces femmes ont vraiment été épouses d’extraterrestres ? Pourquoi est-ce que ce sont elles qui posent les questions ? Je veux en savoir plus. Quelques mois en arrière, les extraterrestres n’étaient que des petits bonshommes verts comme dans les films, des petites créatures dégoûtantes avec des tentacules qui squattaient notre corps et déposaient des larves faisant éclater notre poitrine.