II-2

3009 Words
Le chef de rayon eut un bon rire. – Oh ! moi, je ne demande pas mieux… Ça va tripler la vente, et comme mon seul intérêt est d’arriver à de grosses recettes… Mais Bourdoncle restait grave, les lèvres pincées. Lui, touchait son tant pour cent sur le bénéfice total, et son affaire n’était pas de baisser les prix. Justement, le contrôle qu’il exerçait consistait à surveiller la marque, pour que Bouthemont, cédant au seul désir d’accroître le chiffre de vente, ne vendît pas à trop petit gain. Du reste, il était repris de ses inquiétudes anciennes, devant des combinaisons de réclame qui lui échappaient. Il osa montrer sa répugnance, en disant : – Si nous la donnons à cinq francs soixante, c’est comme si nous la donnions à perte, puisqu’il faudra prélever nos frais qui sont considérables… On la vendrait partout sept francs. Du coup, Mouret se fâcha. Il tapa de sa main ouverte sur la soie, il cria nerveusement : – Mais je le sais, et c’est pourquoi je désire en faire cadeau à nos clientes… En vérité, mon cher, vous n’aurez jamais le sens de la femme. Comprenez donc qu’elles vont se l’arracher, cette soie ! – Sans doute, interrompit l’intéressé, qui s’entêtait, et plus elles se l’arracheront, plus nous perdrons. – Nous perdrons quelques centimes sur l’article, je le veux bien. Après ? le beau malheur, si nous attirons toutes les femmes et si nous les tenons à notre merci, séduites, affolées devant l’entassement de nos marchandises, vidant leur porte-monnaie sans compter ! Le tout, mon cher, est de les allumer, et il faut pour cela un article qui flatte, qui fasse époque. Ensuite, vous pouvez vendre les autres articles aussi chers qu’ailleurs, elles croiront les payer chez vous meilleur marché. Par exemple, notre Cuir-d’Or, ce taffetas à sept francs cinquante, qui s*****d partout ce prix, va passer également pour une occasion extraordinaire, et suffira à combler la perte du Paris-Bonheur… Vous verrez, vous verrez ! Il devenait éloquent. – Comprenez-vous ! je veux que dans huit jours le Paris-Bonheur révolutionne la place. Il est notre coup de fortune, c’est lui qui va nous sauver et qui nous lancera. On ne parlera que de lui, la lisière bleu et argent sera connue d’un bout de la France à l’autre… Et vous entendrez la plainte furieuse de nos concurrents. Le petit commerce y laissera encore une aile. Enterrés, tous ces brocanteurs qui crèvent de rhumatismes, dans leurs caves ! Autour du patron, les commis qui vérifiaient les envois, écoutaient en souriant. Il aimait parler et avoir raison. Bourdoncle, de nouveau, céda. Cependant, la caisse s’était vidée, deux, hommes en déclouaient une autre. – C’est la fabrication qui ne rit, pas ! dit alors Bouthemont. À Lyon, ils sont furieux contre vous, ils prétendent que vos bons marchés les ruinent… Vous savez que Gaujean m’a positivement déclaré la guerre. Oui, il a juré d’ouvrir de longs crédits aux petites maisons, plutôt que d’accepter mes prix. Mouret haussa les épaules. – Si Gaujean n’est pas raisonnable, répondit-il, Gaujean restera sur le carreau… De quoi se plaignent-ils ? Nous les payons immédiatement, nous prenons tout ce qu’ils fabriquent, c’est bien le moins qu’ils travaillent à meilleur compte… Et, d’ailleurs, il suffit que le public en profite. Le commis vidait la seconde caisse, pendant que Bouthemont s’était remis à pointer les pièces, en consultant la facture. Un autre commis, sur le bout du comptoir, les marquait ensuite en chiffres connus, et la vérification finie, la facture, signée par le chef de rayon, devait être montée à la caisse centrale. Un instant, encore, Mouret regarda ce travail, toute cette activité autour de ces déballages qui montaient et menaçaient de noyer le sous-sol ; puis, sans ajouter un mot, de l’air d’un capitaine satisfait de ses troupes, il s’éloigna, suivi de Bourdoncle. Lentement, tous deux traversèrent le sous-sol. Les soupiraux, de place en place, jetaient une clarté pâle ; et, au fond des coins noirs, le long d’étroits corridors, des becs de gaz brûlaient, continuellement. C’était dans ces corridors que se trouvaient les réserves, des caveaux barrés par des palissades, où les divers rayons serraient le trop-plein de leurs articles. En passant, le patron donna un coup d’œil au calorifère qu’on devait allumer le lundi pour la première fois, et au petit poste de pompiers qui gardait un compteur géant, enfermé dans une cage de fer. La cuisine et les réfectoires, d’anciennes caves transformées en petites salles, étaient à gauche, vers l’angle de la place Gaillon. Enfin, à l’autre bout du sous-sol, il arriva au service du départ. Les paquets que les clientes n’emportaient point, y étaient descendus, triés sur des tables, classés dans des compartiments dont chacun représentait un quartier de Paris ; puis, par un large escalier débouchant juste en face du Vieil Elbeuf, on les montait aux voitures, qui stationnaient près du trottoir. Dans le fonctionnement mécanique du Bonheur des Dames, cet escalier de la rue de la Michodière dégorgeait sans relâche les marchandises englouties par la glissoire de la rue Neuve-Saint-Augustin, après qu’elles avaient passé, en haut, à travers les engrenages des comptoirs. – Campion, dit Mouret au chef du départ, un ancien sergent à figure maigre, pourquoi six paires de draps, achetées hier par une dame vers deux heures, n’ont-elles pas été portées le soir ? – Où demeure cette dame ? demanda l’employé. – Rue de Rivoli, au coin de la rue d’Alger… Madame Desforges. À cette heure matinale, les tables de triage étaient nues, les compartiments ne contenaient que les quelques paquets restés de la veille. Pendant que Campion fouillait parmi ces paquets, après avoir consulté un registre, Bourdoncle regardait Mouret, en songeant que ce diable d’homme savait tout, s’occupait de tout, même aux tables des restaurants de nuit et dans les alcôves de ses maîtresses. Enfin, le chef du départ découvrit l’erreur : la caisse avait donné un faux numéro et le paquet était revenu. – Quelle est la caisse qui a débité ça ? demanda Mouret. Hein ? vous dites la caisse 10… Et, se retournant vers l’intéressé : – La caisse 10, c’est Albert, n’est-ce pas ?… Nous allons lui dire deux mots. Mais, avant de faire un tour dans le magasin, il voulut monter au service des expéditions, qui occupait plusieurs pièces du deuxième étage. C’était là qu’arrivaient toutes les commandes de la province, et de l’étranger ; et, chaque matin, il allait y voir la correspondance. Depuis deux ans, cette correspondance grandissait de jour en jour. Le service, qui avait d’abord occupé une dizaine d’employés, en nécessitait plus de trente déjà. Les uns ouvraient les lettres, les autres les lisaient, aux deux côtés d’une même table ; d’autres, encore les classaient, leur donnaient à chacune un numéro d’ordre, qui se répétait sur un casier ; puis, quand on avait distribué les lettres aux différents rayons et que les rayons montaient les articles, on mettait au fur et à mesure ces articles dans les casiers, d’après les numéros d’ordre. Il ne restait qu’à vérifier et qu’à emballer, au fond d’une, pièce voisine, où une équipe d’ouvriers clouait et ficelait du matin au soir. Mouret posa sa question habituelle : – Combien de lettres, ce matin, Levasseur ? – Cinq cent trente-quatre, monsieur, répondit le chef de service. Après la mise en vente de lundi, j’ai peur de ne pas avoir assez de monde. Hier, nous avons eu beaucoup de peine à arriver. Bourdoncle hochait la tête de satisfaction. Il ne comptait pas sur cinq cent trente-quatre lettres, un mardi. Autour de la table, les employés coupaient et lisaient, avec un bruit continu de papier froissé, tandis que, devant les casiers, commençait le va-et-vient des articles. C’était un des services les plus compliqués et les plus considérables de la maison : on y vivait dans un coup de fièvre perpétuel, car il fallait règlementairement que les commandes du matin fussent toutes expédiées le soir. – On vous donnera le monde dont vous aurez besoin, Levasseur, finit par répondre Mouret, qui d’un regard avait constaté le bon état du service. Vous les savez, quand il y a du travail, nous ne refusons pas des hommes. En haut, sous les combles, se trouvaient les chambres où couchaient les vendeuses. Mais il redescendit, et il entra à la caisse centrale, installée près de son cabinet. C’était une pièce fermée par un vitrage à guichet de cuivre, dans laquelle on apercevait un énorme coffre-fort, scellé au mur. Deux caissiers y centralisaient les recettes, que, chaque soir, montait Lhomme, le premier caissier de la vente, et faisaient ensuite face aux dépenses, payaient les fabricants, le personnel, tout le petit monde qui vivait de la maison. La caisse communiquait avec une autre pièce, meublée de cartons verts, où dix employés vérifiaient les factures. Puis venait encore un bureau, le bureau de défalcation : six jeunes gens, penchés sur des pupitres noirs, ayant derrière eux des collections de registres, y arrêtaient les comptes du tant pour cent des vendeurs, en collationnant les notes de débit. Ce service, tout nouveau, fonctionnait mal. Mouret et Bourdoncle avaient traversé la caisse et le bureau de vérification. Quand ils passèrent dans l’autre bureau, les jeunes gens qui riaient, le nez en l’air, eurent une secousse de surprise. Alors, Mouret, sans les réprimander, leur expliqua le système de la petite prime qu’il avait imaginé de leur payer, pour chaque erreur découverte dans les notes de débit ; et, quand il fut sorti, les employés, cessant de rire et comme fouettés, se remirent passionnément au travail, cherchant des erreurs. Au rez-de-chaussée, dans le magasin, Mouret alla droit à la caisse 10, où Albert Lhomme se polissait les ongles, en attendant la clientèle. On disait couramment : « la dynastie des Lhomme », depuis que madame Aurélie, la première des confections, après avoir poussé son mari au poste de premier caissier, était parvenue à obtenir une caisse de détail pour son fils, un grand garçon pâle et vicieux, qui ne pouvait rester nulle part et qui lui donnait les plus vives inquiétudes. Mais, devant le jeune homme, Mouret s’effaça : il répugnait à compromettre sa grâce dans un métier de gendarme, il gardait par goût et par tactique son rôle de dieu aimable. Légèrement du coude, il toucha Bourdoncle, l’homme chiffre, qu’il chargeait d’ordinaire des exécutions. – Monsieur Albert, dit ce dernier sévèrement, vous avez encore mal pris une adresse, le paquet est revenu… C’est insupportable. Le caissier crut devoir se défendre, appela en témoignage le garçon qui avait fait le paquet. Ce garçon, nommé Joseph, appartenait, lui aussi, à la dynastie des Lhomme, car il était le frère de lait d’Albert, et il devait sa place à l’influence de madame Aurélie. Comme le jeune homme voulait lui faire dire que l’erreur venait de la cliente, il balbutiait, il tordait la barbiche qui allongeait son visage couturé, combattu entre sa conscience d’ancien soldat et sa gratitude pour ses protecteurs. – Laissez-donc Joseph tranquille, finit par crier Bourdoncle, et surtout ne répondez pas davantage… Ah ! vous êtes heureux que nous ayons égard aux bons services de votre mère ! Mais, à ce moment, Lhomme accourut. De sa caisse, située près de la porte, il apercevait celle de son fils, qui se trouvait au rayon de la ganterie. Déjà tout blanc, alourdi par sa vie sédentaire, il avait une figure molle, effacée, comme usée au reflet de l’argent qu’il comptait sans relâche. Son bras amputé ne le gênait nullement dans cette besogne, et l’on allait même par curiosité le voir vérifier la recette, tellement les billets et les pièces glissaient rapidement dans sa main gauche, la seule qui lui restât. Fils d’un percepteur de Chablis, il était tombé à Paris comme employé aux écritures, chez un négociant du Port-aux-Vins. Puis, demeurant rue Cuvier, il avait épousé la fille de son concierge, petit tailleur alsacien ; et, depuis ce jour, il était resté soumis devant sa femme, dont les facultés commerciales le frappaient de respect. Elle se faisait plus de douze mille francs aux confections, tandis que lui touchait seulement cinq mille francs d’appointements fixes. Et sa déférence pour une femme apportant de telles sommes dans le ménage, s’élargissait jusqu’à son fils, qui venait d’elle. – Quoi donc ? murmura-t-il, Albert est en faute ? Alors, selon son habitude, Mouret rentra en scène, pour jouer le rôle de bon prince. Quand Bourdoncle s’était fait craindre, lui soignait sa popularité. – Une bêtise, murmura-t-il. Mon cher Lhomme, votre Albert est un étourdi qui devrait bien prendre exemple sur vous. Puis, changeant de conversation, se montrant plus aimable encore : – Et ce concert, l’autre jour ?… Étiez-vous bien placé ? Une rougeur monta aux joues blanches du vieux caissier. Il n’avait que ce vice, la musique, un vice secret qu’il satisfaisait solitairement, courant les théâtres, les concerts, les auditions ; malgré son bras amputé, il jouait du cor, grâce à un système ingénieux de pinces ; et, comme madame Lhomme détestait le bruit, il enveloppait son instrument de drap, le soir, ravi quand même jusqu’à l’extase par les sons étrangement sourds qu’il en tirait. Au milieu de la débandade forcée de leur foyer, il s’était fait dans la musique un désert. Ça et l’argent de sa caisse, il ne connaissait rien autre, en dehors de son admiration pour sa femme. – Très bien placé, répondit-il, les yeux brillants. Vous êtes trop bon, monsieur. Mouret, qui goûtait une jouissance personnelle à satisfaire les passions, donnait parfois à Lhomme les billets que des dames patronnesses lui avaient mis sur la gorge. Et il acheva de l’enchanter, en disant : – Ah ! Beethoven, ah ! Mozart… Quelle musique ! Sans attendre une réponse, il s’éloigna, il rejoignit Bourdoncle, entrain déjà de faire le tour des rayons. Dans le hall central, une cour intérieure qu’on avait vitrée, se trouvait la soie. Tous deux suivirent d’abord la galerie de la rue Neuve-Saint-Augustin, que le blanc occupait d’un bout à l’autre ; Rien d’anormal ne les frappa, ils passèrent lentement au milieu des commis respectueux. Puis, ils tournèrent dans la rouennerie et la bonneterie, où le même ordre régnait. Mais, aux lainages, le long de la galerie qui revenait perpendiculairement à la rue de la Michodière, Bourdoncle reprit son rôle de grand exécuteur, en apercevant un jeune homme assis sur un comptoir, l’air brisé par une nuit blanche ; et ce jeune homme, nommé Liénard, fils d’un riche marchand de nouveautés d’Angers, courba le front sous la réprimande, ayant la seule peur, dans sa vie de paresse, d’insouciance et de plaisir, d’être rappelé en province par son père. Dès lors, les observations tombèrent dru comme grêle, la galerie de la rue de la Michodière reçut l’orage : à la draperie, un vendeur au pair, de ceux qui débutaient et qui couchaient dans leurs rayons, était rentré après onze heures ; à la mercerie, le second venait de se laisser prendre au fond du sous-sol, achevant une cigarette. Et ce fut surtout à la ganterie que la tempête éclata, sur la tête d’un des rares Parisiens de la maison, le joli Mignot, ainsi qu’on l’appelait, bâtard déclassé d’une maîtresse de harpe : son crime était d’avoir fait un scandale au réfectoire, en se plaignant de la nourriture. Comme il y avait trois tables, une à neuf heures et demie, l’autre à dix heures et demie, et l’autre à onze heures et demie, il voulut expliquer qu’étant de la troisième table, il avait toujours des fonds de sauce, des portions rognées. – Comment ! la nourriture n’est pas bonne ? demanda d’un air naïf Mouret, ouvrant enfin la bouche. Il ne donnait qu’un franc cinquante par jour et par homme au chef, un terrible Auvergnat, lequel trouvait encore moyen d’emplir ses poches ; et la nourriture était réellement exécrable. Mais Bourdoncle haussa les épaules : un chef qui avait quatre cents déjeuners et quatre cents dîners à servir, même en trois séries, ne pouvait guère s’attarder aux raffinements de son art. – N’importe, reprit le patron bonhomme, je veux que tous nos employés aient une nourriture saine et abondante… Je parlerai au chef. Et la réclamation de Mignot fut enterrée. Alors, revenus à leur point de départ, debout près de la porte, au milieu des parapluies et des cravates, Mouret et Bourdoncle reçurent le rapport d’un des quatre inspecteurs, chargés de la surveillance du magasin. Le père Jouve, un ancien capitaine, décoré à Constantine, encore bel homme avec son grand nez sensuel et sa calvitie majestueuse, leur signala un vendeur qui, sur une simple remontrance de sa part, l’avait traité de « vieux ramolli » ; et le vendeur fut immédiatement congédié. Cependant, le magasin restait vide de clientes. Seules, les ménagères du quartier traversaient les galeries désertes. À la porte, l’inspecteur qui pointait l’arrivée des employés, venait de refermer son registre et inscrivait à part les retardataires. C’était le moment où les vendeurs s’installaient dans leurs rayons, que les garçons avaient balayés et époussetés dès cinq heures. Chacun casait son chapeau et son pardessus, en étouffant un bâillement, la mine blanche encore de sommeil. Les uns échangeaient des mots, regardaient en l’air, semblaient se dérouiller pour une nouvelle journée de travail ; d’autres, sans se presser, retiraient les serges vertes, dont ils avaient, la veille au soir, couvert les marchandises, après les avoir repliées ; et les piles d’étoffe apparaissaient, rangées symétriquement, tout le magasin était propre et en ordre, d’un éclat tranquille dans la gaieté matinale, en attendant que la bousculade de la vente l’ait une fois de plus obstrué et comme rétréci d’une débâcle de toile, de drap, de soie et de dentelle. Sous la lumière vive du hall central, au comptoir des soieries, deux jeunes gens causaient à voix basse. L’un, petit et charmant, les reins solides, la peau rose, cherchait à marier des couleurs de soie, pour un étalage intérieur. Il se nommait Hutin, était fils d’un cafetier d’Yvetot, et avait su, en dix-huit mois, devenir un des premiers vendeurs, par une souplesse de nature, une continuelle caresse de flatterie, qui cachait un appétit furieux, mangeant tout, dévorant le monde, même sans faim, pour le plaisir. – Écoutez, Favier, je l’aurais giflé à votre place, parole d’honneur ! disait-il à l’autre, un grand garçon bilieux, sec et jaune, qui était né à Besançon d’une famille de tisserands, et qui, sans grâce, cachait sous un air froid une volonté inquiétante. – Ça n’avance guère, de gifler les gens, murmura-t-il avec flegme. Il vaut mieux attendre. Tous deux parlaient de Robineau, qui surveillait les commis, tandis que le chef du comptoir était au sous-sol. Hutin minait sourdement le second, dont il voulait la place. Déjà, pour le blesser et le faire partir, le jour où la situation de premier qu’on lui avait promise, s’était, trouvée libre, il avait imaginé d’amener Bouthemont du dehors. Cependant, Robineau tenait bon, et c’était maintenant une bataille de chaque heure. Hutin rêvait d’ameuter contre lui le rayon entier, de le chasser à force de mauvais vouloirs et de vexations. D’ailleurs, il opérait de son air aimable, il excitait surtout Favier, qui venait à sa suite comme vendeur, et qui paraissait se laisser conduire, mais avec de brusques réserves, où l’on sentait toute une campagne personnelle, menée en silence. – Chut ! dix-sept ! dit-il vivement à son collègue, pour le prévenir par ce cri consacré de l’approche de Mouret et de Bourdoncle. Ceux-ci, en effet, continuaient leur inspection en traversant le hall. Ils s’arrêtèrent, ils demandèrent à Robineau des explications, au sujet d’un stock de velours, dont les cartons empilés encombraient une table. Et, comme celui-ci répondait que la place manquait : – Je vous le disais, Bourdoncle, s’écria Mouret en souriant, le magasin est déjà trop petit ! Il faudra un jour abattre les murs jusqu’à la rue de Choiseul… Vous verrez l’écrasement, lundi prochain !
Free reading for new users
Scan code to download app
Facebookexpand_more
  • author-avatar
    Writer
  • chap_listContents
  • likeADD