CHAPITRE II
Grands périls et petits voyageurs
Le soleil était brillant, et la mer était toute parsemée d’étincelles. Césaro, à mesure qu’il s’éloignait du rivage, sentait son cœur moins oppressé ; il éprouvait une joie si pure en admirant son beau pays, qu’il aimait tant !
Il n’y avait dans le ciel d’autre nuage que la fumée grise qui s’échappait du Vésuve ; Naples et son riche amphithéâtre de maisons blanches descendant jusqu’à la mer, avec ses terrasses couvertes de treilles et d’orangers, semblait de loin un colossal escalier de jardins, une immense cascade de fleurs. De grands vaisseaux, parés de toutes leurs voiles, se balançaient sur les flots ; c’était un spectacle admirable, et il fallait être aveugle ou criminel pour n’être pas heureux en ce moment. Césaro oubliait ses chagrins, et s’enivrant d’une espérance vague, il ne pouvait se défier de la bonté de Dieu, qui avait créé une nature si belle : aussi, malgré tous ses malheurs, en ce moment il aimait la vie.
Césaro ramait avec agilité ; le petit joufflu n’admirait rien, ne faisait rien, et se plaignait à chaque instant de la chaleur ; quant au jeune lazzarone, il dormait, se croyant encore à Naples, et sans se douter que c’était dans sa barque et avec lui qu’on voyageait.
Tout à coup, comme ils s’avançaient en pleine mer, le vent s’éleva, et les flots, d’abord si calmes, commencèrent à s’agiter : on entendait comme de grands coups de canon dans les brisants ; c’est le bruit que font les vagues en se jetant avec violence dans les grottes ou contre les rochers. Césaro fronça le sourcil, et regarda de tous côtés autour de lui avec inquiétude ; le petit joufflu pâlit. – Je vous donne dix carlins, s’écria-t-il, si vous nous faites aborder ! J’ai peur, j’ai peur, je ne veux pas rester dans ce bateau.
– Il y faudra pourtant bien rester, vraiment, reprit Césaro ; car si nous approchons du rivage, la barque se brisera contre les rocs, et vous ne m’avez pas trop l’air de savoir nager ; mais patience, restons en pleine mer, ce n’est peut-être qu’un grain ; peut-être ce soir le vent tombera.
Césaro cherchait à rassurer son compagnon, mais il ne se faisait pas illusion sur leur danger, Il résolut d’éveiller le pêcheur, espérant de lui quelques secours : – Santa Maria ! s’écria le pauvre jeune homme en voyant le péril où il se trouvait subitement, vous m’avez réveillé trop tard !
En effet, la tempêta s’annonçait terrible, et déjà les vagues furieuses s’élevaient au-dessus de la barque, et l’inondaient. Césaro et le pêcheur, n’ayant plus l’espoir de diriger la barque, s’empressèrent de la vider à mesure que les lames d’eau la remplissaient. Le petit joufflu venait d’être pris du mal de mer ; heureusement, car ses douleurs l’occupèrent assez pour l’empêcher d’entraver la manœuvre par ses contorsions. D’ailleurs, il ne savait rien faire que gémir, et offrir de l’argent à tout le monde : je crois que s’il avait conservé sa présence d’esprit il eût offert aussi des carlins à la tempête pour l’apaiser.
La nuit les surprit dans ces angoisses, et le pêcheur, perdant tout espoir, tomba à genoux, et fit un vœu à la Madone pour sortir de ce danger.
Césaro pria aussi, non pour lui, mais pour Thérésina, et pensant qu’il ne la reverrait plus, il pleura.
Tantôt la barque s’élevait rapidement sur une vague comme sur une haute montagne, puis elle retombait comme précipitée dans un gouffre avec une horrible secousse ; c’était comme d’effroyables montagnes russes, que nulle main prudente ne dirigeait.
Les malheureux enfants (car le jeune pêcheur avait à peine quinze ans) furent ainsi ballottés toute la nuit. Ils se cramponnaient aux bancs de la chétive barque, et s’attendaient à chaque instant à être emportés par les vagues : leurs forces commençaient à les abandonner. Ils ne savaient plus dans quelles régions ils se trouvaient ; un bruit faible annonçait pourtant un voisin rivage. – Nous allons périr, dit le pêcheur, nous sommes sur des rochers. – Mais ses compagnons n’entendaient pas sa voix, que la voix de la tempête étouffait. Au même instant, la barque reçut un choc terrible et se brisa.
– Santa Maria ! – Thérésina ! – s’écrièrent les pauvres enfants.