Chapitre 1-7

1152 Words
— La réponse est déjà derrière toi ! Es-tu prêt à l’accepter ? Si la porte est apparue, je reste, si ce n’est pas le cas, je t’aiderai à changer la gravure, je te le promets. Pardon n’avait nul besoin de se retourner. Dans les prunelles sombres de son garçon dansait le reflet d’une nouvelle lumière : les ondes s’étaient réveillées ; le labyrinthe l’avait définitivement choisi avec Naaly. Accablé par cet échec supplémentaire, il tenta, cependant, d’offrir un visage impassible pour ne pas rendre la séparation encore plus difficile. Après tout, que risquait son enfant dans ce monde inerte ? Rien. Et, néanmoins, il ne pouvait chasser l’angoisse qui le tenaillait… Comme une réponse à son anxiété, le vent reprit, son souffle léger balayant leurs cheveux et leur peau d’une brise fraîche, presque apaisante. Parallèlement, Pardon cherchait à surmonter la détresse qui brisait son cœur, son regard fixé sur son fils dont l’attitude sereine ne le convainquait pas ; personne n’aimerait rester ici. — C’est quoi, ce bruit ? demanda soudain Naaly. Un bruit ? Non, pas tout à fait, plutôt une vibration infime sous leurs pieds, quasi indétectable, de fréquence si faible qu’ils n’auraient même pas dû la percevoir. Pourtant, peu à peu, elle gagna en puissance. L’examen du paysage autour d’eux ne leur apprit rien de particulier. Cependant, un seul endroit résistait à leur analyse, celui dont les gravures immatérielles brouillaient la perspective. Si Pardon décida de contourner cet étrange écran translucide, Tristan ne bougea pas. Étonnamment, il n’avait pas besoin de voir pour savoir que son destin avançait vers lui, inexorablement. Quand son regard croisa celui de Naaly, son cœur se contracta tant elle paraissait ravagée par le désespoir ; leur séparation finirait inévitablement de façon dramatique. Subitement, elle se précipita vers lui et l’enserra. Surpris par cette effusion si éloignée de l’attitude habituelle de sa sœur, il resta un instant immobile avant de l’étreindre avec douceur, le corps de Naaly frémissant de chagrin. — Tout ira bien, ne t’inquiète pas… — Je ne veux pas que tu meures, murmura-t-elle, pas maintenant, pas ici, pas comme ça… Aussi soudainement qu’elle avait atterri dans ses bras, elle se recula, une larme coulant encore sur sa joue. — Tristan, tu possèdes la magie ! Tu dois détourner le danger ! — C’est trop tard… — Comment ça ? résonna la voix grave de Pardon derrière lui. Le fils se tourna vers le père. — Je te l’ai offerte… — Quoi ? Quand ? s’insurgea celui-ci. — Au moment où j’ai saisi ta main. — Mais, par les fées, pourquoi ? Et pourquoi à moi ? — Parce que tu en feras un meilleur usage que moi et parce que Naaly ne la souhaitait pas. — As-tu la moindre idée du péril qui fonce sur toi à une vitesse colossale ? Je ne te laisserai pas mourir ! C’est hors de question ! Pardon jeta un coup d’œil à la porte dont les anneaux s’éclairaient peu à peu. Se concentrer ! Chasser ce trouble qui étreignait son âme, puis se donner les moyens de contrôler cette magie ! Puisque son fils lui avait offert la sienne, il ne pouvait que se sentir plus fort et compétent. Insensible au grondement sous ses pieds, il ferma les paupières. Appeler cette entité, l’attendre, renouer avec ses réflexes d’antan, s’imprégner de son essence si particulière en ce lieu, appréhender pleinement sa nature pour pouvoir en jouer, devenir chaque parcelle de ce labyrinthe pour en comprendre la structure et puis se souvenir de celui qu’il avait été, sa dextérité comme sa facilité déconcertante pour se lier à elle, sa puissance enchanteresse… Son esprit se lança à l’assaut du monde autour de lui, parcourant des distances incroyables à toute vitesse. — Papa ! s’écria Naaly. Nous devons nous presser, elle arrive sur nous ! Sa concentration brisée, Pardon ouvrit les yeux. Impossible ! Un instant plus tôt, elle quittait à peine l’horizon ! Effectivement, en dépit de l’aspect troublé de l’air devant eux, nul ne pouvait plus ignorer qu’une vague gigantesque s’avançait à toute allure, un mur massif qui emporterait tout reliquat de vie dans ce monde cruel. Malgré lui, un frisson glacé le traversa. Son regard revint vers les ondes dont le dernier anneau clignotait toujours. Le visage grave, Tristan s’inclina vers sa sœur et, sa bouche près de son oreille, dominant le bruissement de la robe liquide sur le sable, lui murmura : — Ne change jamais… Elle cilla légèrement, puis déposa une bise empreinte de tendresse sur sa joue avant de se rapprocher de la porte, le cœur battant tant la menace se précisait. À présent qu’une ombre immense voilait le ciel presque en totalité, une troublante interrogation la traversa : l’accès s’ouvrirait-il à temps ? Songeant au sort de son frère, elle frissonna, puis, son chagrin contrôlé, concentra sa volonté sur la nécessité de quitter ce labyrinthe pour modifier leur avenir, si injuste et atroce. Après, si elle s’en sortait, peut-être prendrait-elle le temps de se lamenter. Pardon s’adressa à son fils. — Tu dois essayer de passer… — Tu ne la tromperas pas. — Comment peux-tu exiger de moi que je renonce à toi ? — Au contraire, j’attends que tu continues à te battre, à te montrer courageux, pour toi, pour moi et Naaly, pour parvenir à inverser notre présent et nous rendre tout ce que nous avons perdu… — Pourquoi m’as-tu donné ta magie ? Elle aurait pu te sauver… — Grâce à elle, tu conserveras une part de moi qui restera en toi, toujours… — Papa ! s’exclama Naaly. Elle est ouverte ! Vite ! Sans tarder, elle attrapa la main de Pardon, mais ce dernier résista encore, son regard douloureux fixé sur son enfant. Cependant, comme désormais chaque seconde comptait, Tristan le poussa vers l’accès. La vague absorbait toute lumière à l’exception de celle qui miroitait sur les ondes, leurs peaux parsemées par ses auréoles claires, presque irréelles. Les sourcils froncés, Naaly observa son frère qui lui prêta un bref moment d’attention avant de la reporter sur son père dévasté de l’abandonner à ce cruel destin. — Vas-y, papa ! s’exclama Tristan. — Mon fils, je… — Je sais tout ça ! Foncez ! Décidée, après un ultime coup d’œil à Tristan, Naaly tira Pardon à travers la porte qui s’effaça aussitôt, révélant de nouvelles gravures l’espace d’un instant ; près des cercles et des bâtons dansaient des flammes infernales. Puis tout disparut. À présent, dans les prunelles de Tristan ne se reflétait plus qu’un mur d’eau gigantesque. Le garçon déglutit, étreint par une peur indicible. Puis il s’en souvint, le labyrinthe lui avait fait vivre sa noyade et ainsi, il en connaissait déjà tous les effets. Dans un incompréhensible silence, la vague le recouvrit, entraînant avec violence son corps dans un bouillonnement d’écume. S’il avait encore maîtrisé la magie, peut-être aurait-il développé des branchies, comme avant, quand il était vraiment Tristan… Un regret profond le traversa. Non pas celui d’avoir transféré ses maigres pouvoirs à son père, mais plutôt celui d’avoir été insuffisamment puissant pour vaincre le lieu et ses facéties. Ballotté et tourmenté, Tristan perdit toute notion de gravité jusqu’au moment où sa peau racla le sable devenu meurtrier. Alors qu’il tentait toujours de retenir son souffle sans s’affoler, il bascula dans la cuvette quittée plus tôt, frappant les premières pierres de la fascinante cité qu’elle abritait. Sous l’effet de la collision, l’adolescent ouvrit la bouche qui, aussitôt, s’emplit d’eau. Malgré l’angoisse qui s’emparait de lui, il avala une première fois, puis une seconde. Malheureusement, l’enchaînement des chocs acheva de briser sa résistance et le flot s’engouffra dans sa gorge, puis ses poumons. Dans un ultime essai désespéré, Tristan s’agrippa à une roche, mais, l’instant d’après, la lâchait, tandis que son cerveau, privé d’oxygène, s’éteignait peu à peu. Sa dernière parcelle de conscience flotta vers celle qu’il avait aimée plus que sa vie : la magie.
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