« — Enfin,...................la voilà,...................... Elle est si petite !!
Je m'approche doucement de cette vitre qui protège les minuscules berceaux.
Des bébés humains, plein de bébés humains.
Certains seront photographes, pères ou mères à leur tour, auront de grands ou de petits destins, des égos à leur mesure et parmi tous ces petits êtres adorés de leurs géniteurs,
je la vois, calme, sage, toute rose. Personne à part moi ne la regarde ici, ses parents ne sont pas là.
Ho ma douce, je dois déjà t’abandonner, mais je ne serai jamais loin. Tiens le coup cette fois, que je puisse enfin te servir.
Je l'observe encore un peu : elle est si petite.
Comme j'ai hâte… déjà des milliers d'années qu'on essaie. »
Dix ans plus tard
— Ariel... Yusticia Sameth !!! Amène tes petites fesses ici tout de suite !!!
Oups, maman n'est pas contente. Je glousse toute seule : qu'est-ce que j'ai bien pu faire encore ?
— Oui maman ?
— Peux-tu m'expliquer pourquoi ta sœur est recouverte de peinture bleue ??
Ma sœur, petite peste de 6 ans qui n'a pas fini de me pourrir la vie... Tu parles de complicité dans une fratrie, pff. Du haut de mes dix ans, je le sais : c'est que dans les films et les bouquins. Ma fratrie m'insupporte ! Un grand frère de cinq ans mon aîné, persuadé de la suprématie du sexe fort (beurk !!), et une sœur de quatre ans de moins, la 7ᵉ merveille pour ma mère, mais une plaie pour moi.
— Je ne sais pas, maman. Je fais mes devoirs !!, dis-je avec le regard le plus innocent du monde.
— Ne me mens pas, Ariel. Elle vient de me dire que tu lui as demandé de prendre des bonbons cachés dans le garage !!! Je ne te comprendrai jamais… bla bla bla...
Et elle va continuer à me vanter les qualités de la Peste et me comparer, toujours le même refrain… Pas grave, je n'écoute plus. Je vais encore être punie, j'ai l'habitude. Avec un peu de chance, je ne subirai pas le week-end complet : papa rentre de son voyage ce soir, et comme c'est son week-end, enfin un peu de douceur.
Ma Peste (sœur) arrive un peu plus tard. Son regard exprime toute la malice de son âge... à condition d'aimer Chucky, c'est la même ! Le mal incarné : manipulatrice avec ses parents, deux billes bleues à la place des yeux, des cheveux fins châtains et une gueule d'ange devant les adultes. Mais c'est un monstre. Elle est petite et menue, ce qui amplifie son côté "doux bébé". Moi, à côté, avec mes 1,60 m à dix ans, mes cheveux bruns presque noirs coupés au rasoir comme mon frère... « C'est plus pratique », avait dit ma mère !! Mais bien sûr, les « Bonjour, jeune homme » qu'on me balance à chaque fois aussi, c'est pratique ? Je suis une fille !! Pas un canon, ça, j'en suis consciente : grande, trop grande, mince, même maigre, une peau blanche digne d'une bougie et des yeux de la couleur qu'ils choisissent : bruns, verts, jaunes.
Mon frère, c'est sa fierté : le premier, grand, épaules larges. En plus, il fait du sport, du foot. Super !! Mon beau-père l'adore. Il est châtain aussi, deux grands yeux marron très expressifs, le visage bien dessiné, et du haut de ses 15 ans, il commence déjà les conquêtes (à vomir, quoi !!!).
Comme à chaque fois, je me réfugie dans ma chambre, le casque sur les oreilles, à attendre que 18 h arrive. Papa, viens me chercher, s'il te plaît !!
J'adore mon père. Il m'a raconté les origines de mes prénoms. Ariel, parce qu’il me surnomme sa petite sirène (maintenant ce serait plutôt la grande girafe), et Yusticia, parce que, dès le départ, j'avais de la chance. Donc, soit l'infirmière ne savait pas écrire ou lire, mais elle a pris le J initial pour un Y. Voilà comment on se retrouve avec un prénom original (ouais, youpi). Mes parents se sont séparés quand j’avais quatre ans. Ma mère a refait sa vie avec Diego, son Rital à deux balles. La seule chose valable, c'était peut-être son prénom, mais je ne le supporte pas. De leur union est née la Peste. Tous les deux semaines, mon frère et moi partions chez mon père, où je redevenais enfin la fille de la famille (pas le vilain petit canard). Mais depuis six mois, Josh (mon frère) n'avait plus le temps : il était devenu capitaine de son équipe. Donc il n'avait plus le temps, bien sûr. Le foot, c'est vital, hein ?? 22 crétins qui courent après un ballon, c'est capital. Mais ça m'arrangeait : j’avais mon Papounet pour moi seule. Il louait des vieux films d’aventure, de sorcières, de vampires et autres. On commandait des pizzas, on parlait de son travail, il me posait plein de questions sur mes cours, me donnait plein de conseils, etc., etc., etc. Mon Papounet, simplement.
La parfaite petite vie d'enfant de divorcés, quoi.
18 h 30.
Papounet est en retard. Ce n’est pas normal : il est toujours à l'heure.
J’enlève mes écouteurs. La maison est trop calme. Je devrais entendre ma mère se plaindre que cela bouscule ses plans, ma sœur n'est pas encore venue me narguer !!
Diego est sûrement parti chercher Josh à son entraînement.
Je me lève de mon lit, rouvre mon sac de voyage pour vérifier que j'ai l'essentiel.
Je vérifie mon cartable pour les devoirs à faire et pour m'assurer que j'ai tout pour lundi matin.
19 h.
J’entends ma mère et Diego rentrer. Ha, ben, j'étais seule. C'est pour ça, le silence. Mais personne ne parle. C'est trop calme.
Je me décide à quitter le refuge de ma chambre et appelle ma mère pour savoir pourquoi Papounet est en retard.
— Mamannnnn !!! Tu sais p.…, je vois son visage gonflé. Elle a pleuré ???
Diego fait une mine de déterré. Même la Peste est calme et fait semblant d’être triste.
— Qu'est-ce qu'il se passe ??? Ne voyant pas Josh, je panique. Il s’est blessé ? Il va bien ??
Je le vois entrer à son tour dans la maison. Lui aussi a pleuré, le visage fermé.
Lorsqu'il me voit, il se précipite sur moi et m’écrase dans ses bras en disant des mots que je ne comprends pas.
— Désolé, petite sœur….......... je suis là pour toi............... C'est trop dur........
Je m'énerve et le repousse violemment.
— Ho, tu m’écrases, grosse brute ! Qu’est-ce qu'il t'arrive ? Maman, qu'est-ce qu'il y a ???
Je vois la surprise sur le visage de mon frère. Diego tourne la tête de l’autre côté. Ma mère repleure de plus belle !
— P...in !! Môman, tu lui as rien dit ??? T’as rien dit à Ariel ? Elle l'attend encore ??? Tu me dégoûtes, lui crache mon frère.
— Je ne te permets pas de parler à ta mère comme ça, Josh ! le prévient Diego. Elle est bouleversée et tu es l’aîné. On voulait te prévenir au plus vite, tu peux le comprendre, non ????
— Heu ??? Pardon, mais il se passe quoi ?? je demande, toujours surprise de toute cette scène.
Josh me regarde droit dans les yeux en prenant mes épaules dans ses mains et, après quelques secondes ; minutes ; éternité ; il me lâche :
— Ariel, papa ne viendra pas ce soir, ni demain, ni plus jamais.
Tu dois être forte : on n’a plus que maman, et elle a besoin de nous !!!
HEIN ??? Qu’est-ce qu'il raconte ? La daronne, elle a son mec, toi et la Peste ?
Et pourquoi papa ne viendra plus ?
Et pourquoi tout le monde pleure ?
Et pourquoi,,,pourquoi…pour... ????
Toutes ces questions tournent à une vitesse folle dans ma tête. Je suis sous le choc.
Il vient de dire quoi ???
Je ne comprends pas. Je sens mon petit cœur de gamine se glacer. Je l'entends battre dans mes oreilles : TA DAM... TA DAM… TA DAM... lentement… TA DAM... encore plus doucement… TA DAM… Et puis plus rien.
Je le vois, comme dans les films : une couche de glace le pétrifie. Je suis là, debout, pâle, plus un mouvement. Je vois la bouche de Josh qui me parle, mais pas de son. Plus de son. Ma vue se trouble un peu : c’est comme des mini-vagues qui troublent ma vision.
Je ne pleure pas. Je vois juste mouiller, mais plus de son, plus rien. J’entends mon frère m'expliquer. Enfin, je devine des mots :... travail... arrêt du cœur... papa... mort !!!
C'est trop pour ma petite tête. Je tombe dans un trou noir qui m'absorbe, m'enveloppe.
Je ne suis plus là !!